Juste en dépassant une sorte de caserne des « Harass el baladi » à la
sortie de Chhairia, une pancarte en tôle rouillée porte l'inscription « Enasel
». A droite du chemin vicinal, on relève les lagunes de sel. A gauche, des
petits lopins de terre cultivés notamment de petits pois. Sur l'un d'eux, une
nuée d'enfants, des filles et des garçons s'activent presque à mains nues à
désherber autour des plants. Les occupants de deux fourgons, immatriculés dans
une autre wilaya, ne semblent pas concernés par la besogne des gosses.
Pourtant, leur présence sur ces lieux peu fréquentés n'est pas fortuite. Ce
sont des potentiels acquéreurs de cette légumineuse, nous explique le
propriétaire du champ. Notre arrivée coïncide avec le moment de la pause. Aux
petits travailleurs, venus du douar dit « El Ararba », on sert du couscous avec
du petit lait. Les garçons se mettent entre eux et les filles se retirent plus
loin. Quant au « patron » et son jeune associé, ils préfèrent ne pas se
mélanger avec le reste pour garder intacte leur autorité.
Nous profitons de ce moment de détente pour engager la discussion avec
les gosses. Personne d'entre eux ne nous invite à partager leur « pitance »
tellement le repas était frugal. La plupart d'entre eux viennent d'entamer leur
adolescence. Excepté un, pris pour attardé mental, tous nous confirment qu'ils
fréquentent le CEM. Ils sont tous en première année moyenne et avouent
l'existence d'un lien de parenté entre eux. Ils reconnaissent qu'ils sont des
travailleurs occasionnels. Quant à leur motivation, elle est apparente : venir
en aide à leurs familles qui doivent se trouver dans le dénuement. Leurs
guenilles en disent long sur l'infortune de leur extraction. Interrogés sur
leur gain, ils affirment toucher 500 DA pour une journée de travail qui
commence à 7 heures du matin et se termine à 17 h, avec une pause en milieu de
journée. Certains d'entre eux indiquent qu'ils n'hésitent pas à sécher les
cours quand le travail est disponible. Affichant une fierté toute masculine,
ils récusent, à tort ou à raison, le caractère pénible de leur tâche. Attiré
par l'attroupement, leur employeur se joint à nous. On retiendra de ses dires
que les prix de vente au détail du petit pois sont excessifs. Sans les indiquer
du doigt, il laisse entendre que ce sont ceux qui achètent la production sur
pied qui tirent le maximum de profit. On apprendra de sa bouche que son lopin
de terre est une EAC. Profitant de la familiarité avec l'employeur, nous nous
faufilons vers le groupe de filles qui font bande à part. L'une d'elle rejette
carrément l'offre d'être prise en photo. « Nous refusons que nous soyons
affichées sur la page d'un journal », lance-t-elle sur un ton catégorique.
Celui que ses camarades jugent de débile vient à leur rescousse. « Si vous le
faites, nous vous poursuivrons en justice ». Même les filles nous affirment
qu'elles sont scolarisées et qu'elles fréquentent le CEM. Elles proviennent du
même douar que les garçons. Elles touchent la même solde et semblent fournir le
même travail que leurs voisins garçons. Avec malice, elles évacuent certaines
de nos questions, jugées peut-être trop personnelles. Elles refusent par
exemple de s'exprimer sur l'usage qu'elles feront de leurs pécules. « C'est
pour moi », lance presque avec agacement celle qui assure le leader du groupe.
Elles ne semblent pas très soucieuses de leur accoutrement. Pourtant, la beauté
de certaines d'entre elles n'échappe pas au regard. Mais de leur propos, on
retirera que Béthioua, distante de moins de 20 km, représente l'horizon pour
elles. Apparemment, elles ne doivent pas nourrir de grands rêves concernant les
études.
En allant chercher sa sape, l'employeur donne le signal de la reprise du
travail. Filles et garçons se mettent debout et rompent le cercle qui s'est
formé autour de nous. Chacun attaque un sillon. La fin de l'après-midi semble
très loin. D'autres journées de travail se profilent à l'horizon. La cueillette
ne semble pas très lointaine, nous explique l'exploitant de ce champ. Ce qui
explique peut être la correction de ces enfants... Projetés à leur insu dans le
monde du travail occasionnel.
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Posté Le : 26/04/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com