Algérie

Cinq cents dinars pour une journée de travail de 10 heures: Des collégiens dans les champs



Juste en dépassant une sorte de caserne des « Harass el baladi » à la sortie de Chhairia, une pancarte en tôle rouillée porte l'inscription « Enasel ». A droite du chemin vicinal, on relève les lagunes de sel. A gauche, des petits lopins de terre cultivés notamment de petits pois. Sur l'un d'eux, une nuée d'enfants, des filles et des garçons s'activent presque à mains nues à désherber autour des plants. Les occupants de deux fourgons, immatriculés dans une autre wilaya, ne semblent pas concernés par la besogne des gosses. Pourtant, leur présence sur ces lieux peu fréquentés n'est pas fortuite. Ce sont des potentiels acquéreurs de cette légumineuse, nous explique le propriétaire du champ. Notre arrivée coïncide avec le moment de la pause. Aux petits travailleurs, venus du douar dit « El Ararba », on sert du couscous avec du petit lait. Les garçons se mettent entre eux et les filles se retirent plus loin. Quant au « patron » et son jeune associé, ils préfèrent ne pas se mélanger avec le reste pour garder intacte leur autorité.

Nous profitons de ce moment de détente pour engager la discussion avec les gosses. Personne d'entre eux ne nous invite à partager leur « pitance » tellement le repas était frugal. La plupart d'entre eux viennent d'entamer leur adolescence. Excepté un, pris pour attardé mental, tous nous confirment qu'ils fréquentent le CEM. Ils sont tous en première année moyenne et avouent l'existence d'un lien de parenté entre eux. Ils reconnaissent qu'ils sont des travailleurs occasionnels. Quant à leur motivation, elle est apparente : venir en aide à leurs familles qui doivent se trouver dans le dénuement. Leurs guenilles en disent long sur l'infortune de leur extraction. Interrogés sur leur gain, ils affirment toucher 500 DA pour une journée de travail qui commence à 7 heures du matin et se termine à 17 h, avec une pause en milieu de journée. Certains d'entre eux indiquent qu'ils n'hésitent pas à sécher les cours quand le travail est disponible. Affichant une fierté toute masculine, ils récusent, à tort ou à raison, le caractère pénible de leur tâche. Attiré par l'attroupement, leur employeur se joint à nous. On retiendra de ses dires que les prix de vente au détail du petit pois sont excessifs. Sans les indiquer du doigt, il laisse entendre que ce sont ceux qui achètent la production sur pied qui tirent le maximum de profit. On apprendra de sa bouche que son lopin de terre est une EAC. Profitant de la familiarité avec l'employeur, nous nous faufilons vers le groupe de filles qui font bande à part. L'une d'elle rejette carrément l'offre d'être prise en photo. « Nous refusons que nous soyons affichées sur la page d'un journal », lance-t-elle sur un ton catégorique. Celui que ses camarades jugent de débile vient à leur rescousse. « Si vous le faites, nous vous poursuivrons en justice ». Même les filles nous affirment qu'elles sont scolarisées et qu'elles fréquentent le CEM. Elles proviennent du même douar que les garçons. Elles touchent la même solde et semblent fournir le même travail que leurs voisins garçons. Avec malice, elles évacuent certaines de nos questions, jugées peut-être trop personnelles. Elles refusent par exemple de s'exprimer sur l'usage qu'elles feront de leurs pécules. « C'est pour moi », lance presque avec agacement celle qui assure le leader du groupe. Elles ne semblent pas très soucieuses de leur accoutrement. Pourtant, la beauté de certaines d'entre elles n'échappe pas au regard. Mais de leur propos, on retirera que Béthioua, distante de moins de 20 km, représente l'horizon pour elles. Apparemment, elles ne doivent pas nourrir de grands rêves concernant les études.

En allant chercher sa sape, l'employeur donne le signal de la reprise du travail. Filles et garçons se mettent debout et rompent le cercle qui s'est formé autour de nous. Chacun attaque un sillon. La fin de l'après-midi semble très loin. D'autres journées de travail se profilent à l'horizon. La cueillette ne semble pas très lointaine, nous explique l'exploitant de ce champ. Ce qui explique peut être la correction de ces enfants... Projetés à leur insu dans le monde du travail occasionnel.




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