Excepté quelques soubresauts ici
ou là et quelques initiatives courageuses prises par certains pays, la création
filmique du monde arabe semble en stand-by, cédant, ici, à la facilité, là, à
la débilité, voire au nihilisme.
Hormis quelques célébrités, les cinéastes arabes ne sont pas très connus
hors de leurs frontières. Pourtant, ils offrent généralement des Å“uvres de
qualité, en dépit de structures cinématographiques souvent déplorables. Et
pourtant, le monde arabe ne manque ni de créateurs de talent, ni de
compétences, ni de savoir-faire technique. Mais, malgré tous ces atouts, le
moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne brille pas par sa cinématographie.
La production, la distribution et l'exploitation se trouvent dans une situation
des plus précaires.
Comment pardonner cette
négligence, disons plutôt cette absence totale de préoccupation de dirigeants à
l'égard d'un secteur dont l'importance pour le développement, culturel, social,
économique et politique est considérée comme étant des plus cruciales ? Comment
est-il possible que des cinéastes de talent qui ont réalisé des films de haute
facture technique, esthétique et thématique soient réduits à l'inactivité ? La
culture iconique et sonore arabe serait-elle plus à craindre que la production
parachutée qui charrie pêle-mêle, des « love stories » insipides et des
dramatiques stéréotypées où se succèdent des scènes de sexe et de violence ?
Loin d'être considéré comme un
champ d'activité prioritaire, le cinéma dans cette contrée est toujours
appréhendé comme un fardeau à risques pour les responsables politiques qui s'en
délestent avec empressement. La réduction des libertés et des capacités de
manÅ“uvre des professionnels du 7ème art a grandement contribué à restreindre
l'exercice du métier. Combien de cinéastes, d'artistes et de créateurs ont fini
par laisser leurs ambitions se dégrader ? Combien d'autres ont opté pour le
silence, alors qu'ils avaient tant à dire, tant à exprimer ? Combien de
Fellini, de Jancso, de Bunuel et de Bergman arabes ont été sacrifiés sur
l'autel de la bêtise ? Parler aujourd'hui de cinéma arabe ne veut point dire
l'isoler, et encore moins le ghettoïser à l'intérieur de ses frontières, mais
plutôt l'aider à émerger et à survivre en l'intégrant au monde culturel duquel
il est exclu. A l'origine, par « Cinéma arabe », on entendait le cinéma
égyptien. L'Egypte, qui dès les années 20 s'était dotée d'une infrastructure
industrielle, a longtemps dominé et domine toujours commercialement le reste du
monde arabe, à tel point que le parler au Caire s'est imposé de l'Indonésie au
Maroc.
Cet hégémonisme a fini par
s'estomper du fait de l'avènement des nouvelles technologies. La proximité
linguistique et géographique a fait que les pays arabes étaient les seuls
destinataires de cette industrie avant que le Liban, en raison de sa proximité
avec les capitaux, puis la Syrie, l'Irak, la Jordanie et les pays maghrébins
n'émergent au grand jour.
Chercher un dénominateur commun à
toute la production filmique arabe serait un leurre. Du fait de la diversité
fondamentale des Å“uvres, de la singularité de leurs thématiques, de leurs
langages et accents et de leur orientation spécifique, les cinématographies
arabes sont difficilement réductibles à une classification schématique. Il va
de soi que l'Å“uvre de chaque cinéaste est unique. Chaque auteur ayant une
origine sociale, une formation et des motivations personnelles. D'autre part,
les films produits sporadiquement ne sont pas en nombre suffisant pour que nous
puissions parler d'un mouvement ou d'une école ayant ses propres particularités
à l'instar des cinémas cubain ou latino-américain. Les traits distinctifs de ce
cinéma se dessinent donc à partir de la diversité des imaginaires et de
l'originalité des productions, mais sont aussi fonction des influences
diverses, des pesanteurs sociales et des mentalités et du contexte politique,
économique, culturel et commercial de chaque espace géographique. Les valeurs
intrinsèques de cette production ne peuvent donc, en aucun cas, refléter un
même état d'esprit.
L'art cinématographique en général, et le 7ème art arabe en particulier,
se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins Durant les années 70, on a
assisté au développement d'un cinéma qui se voulait critique et qui cherchait à
contribuer aux transformations que le sous-développement exigeait, un cinéma
qui s'efforçait de refléter la réalité du quotidien. Mais les réalisateurs
engagés dans la création produisaient, bien malgré eux parfois en raison du
contrôle tatillon de la bureaucratie, des films en apparence progressistes,
mais qui se révélaient être, en réalité, des films de dénonciation
superficielle, sans orientation politique définie, confus, paternalistes pour
ne pas dire populistes. L'Algérie, microcosme des pays arabes, n'a pas fait
exception à la règle. Après avoir développé des Å“uvres de grandes factures,
sérieuses, graves, pleines d'humour et de talent, notre pays a longtemps laissé
ses ambitions se dégrader. Qui faut-il rendre responsable du gâchis de talents
et de créativité ? La chape de plomb politique, l'ostracisme bureaucratique,
l'opportunisme, l'acculturation des responsables, la réduction drastique des
sources de financement, l'absence de logistique et d'infrastructure
cinématographiques, l'essoufflement des créateurs, ou tout à la fois ? L'autre
aspect, non moins négligeable, est celui de la visibilité de cette production
et de l'accès aux films. Les films arabes ne bénéficient d'aucune campagne
publicitaire et ne circulent pour ainsi dire pas. De ce fait, mal connus et
même méconnus par ceux-là mêmes à qui ils se destinent, ils demeurent
inexistants. La jeunesse, qui constitue le public privilégié des salles, et
dont le goût a été façonné par des années de consommation de navets, boude les
films arabes et leur préfère le monde de simulacre et de leurres que lui
procurent les films d'évasion occidentaux. Depuis lors, le cinéma arabe a
évolué au rythme des mutations de la société. Si nous nous félicitons de ce que
des Å“uvres de qualité aient été produites durant cette dernière décade, nous déplorons
malheureusement l'absence de solidarité et de cohésion entre pays arabes que
rien ne distingue, sinon des régimes politiques très différents. Revivifier ce
secteur ne relève ni du miracle, ni du hasard. En plus d'une ferme volonté
politique et du soutien indéfectible, moral et financier de l'Etat, la réussite
d'une activité culturelle de cette envergure nécessite du temps, de la
persévérance de la compétence et de l'esprit d'initiative.
Ce qui renvoie à cette question
fondamentale : à quoi peut bien servir un festival de cinéma arabe, dans un
pays arabe ? Un festival de cinéma arabe n'a de sens que si l'arabité se
traduit par une mise en commun des moyens de production afin de rompre avec la
dépendance économique et technologique actuelle. Le combat sur ce front est
décisif. Les films produits par les institutions publiques se doivent de
participer à la promotion et au développement de la culture et de la
civilisation arabe. Certes, les productions pertinentes et de qualité se sont
raréfiées. Des Å“uvres riches et passionnantes telles celles d'un Salah Abou
Seif, d'un Chahine ou d'un Tewfiq Salah font partie du passé ; cela dit,
certains films récents atteignent une grande capacité expressive et esthétique
tout en exprimant les préoccupations identiques à l'égard de la culture
vernaculaire, de la mémoire populaire et des libertés fondamentales des
citoyens.
Ainsi, le premier mérite du
Fifao, manifestation d'envergure internationale entièrement consacrée au 7ème
Art, qui vient de souffler sa 4ème bougie, est la volonté affichée de rendre
visible les cinématographies arabes qui n'arrivent même plus à franchir le
seuil de leurs propres salles de spectacle. Le second mérite, et non des
moindres, est que, au-delà des signes d'amitié et de solidarité, des cinéastes
et artistes arabes présents à Oran, ont prouvé à l'évidence les qualités
artistiques de leurs Å“uvres, leur talent. Ceci dit, il est urgent et même
impérieux d'organiser nos forces et de rassembler nos potentialités créatrices.
Une politique cinématographique commune au monde est tout à fait
concevable
Encore faut-il que les responsables se mettent autour d'une table pour la
mettre en action au lieu de se tourner le dos et d'amplifier les querelles
stériles, comme c'est le cas actuellement. Il nous manque la volonté d'agir.
Beaucoup de batailles restent à mener. Il est temps de faire quelque chose,
d'agir et d'adopter des mesures concrètes pour mettre fin à la situation
incohérente qui prévaut. Cette situation qui risque de perdurer tant que nos
responsables n'auront pas saisi l'importance capitale des enjeux sur les plans
culturel et économique, tant que le monde arabe ne se décidera pas à se libérer
progressivement de toutes sortes de monopoles. Qu'est-ce qui empêche les Etats
membres de commencer à développer la circulation des Å“uvres culturelles et des
films en dehors des festivals afin que les peuples arrivent à voir les films
arabes produits dans les différents pays? Qu'est-ce qui les empêche de
promouvoir les coproductions et de coordonner le développement d'une politique
commune de production d'importation et de distribution de films, sans pour
autant porter préjudice aux initiatives des organismes nationaux de cinéma ?
Certes, le cinéma ne peut à lui seul changer les choses. Formulons
toutefois le vÅ“u, en ce début d'année 2011, que cette grande nation riche et
prospère qui plus est, dispose de nombreux atouts et de grandes potentialités,
émerge cinématographiquement au grand jour et affiche ses ambitions.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 30/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohamed Bensalah
Source : www.lequotidien-oran.com