On y arrive par bateau depuis Stresa en Italie, après avoir fait escale aux superbes îles Borromées, pour revoir le fameux jardin botanique et le château de la famille Borroméo, fondatrice de la ville de Milan. Coulant des jours d'été tranquilles sur les rives du lac Majeur, Locarno est soudain envahie par une peuplade excitée de cinéphiles, cinéastes, acteurs, producteurs venus se délecter d'images du festival et bouleverser la vie paisible des quelques touristes quasiment tous des Suisses- allemands : la Suisse est si chère que seuls les Suisses peuvent aller en...Suisse ! La nuit venue, tout le monde se retrouve sur la Piazza Grande, devant son écran géant, où la fréquentation est supérieure à toutes les salles de la ville réunies. Depuis quelques années déjà, le Festival de Locarno a passé la vitesse supérieure et sa programmation, confiée cette année à son nouveau directeur artistique Olivier Père, ancien responsable de la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, est devenue exceptionnellement très variée et très internationale, plus du tout européocentriste. Dans la section Open Doors, il y a cette année, toute une série de films venus du Kazakhstan et du Kurdistan. Pardo di Domani a sélectionné en concours le film de Yannis Koussim ,Khouya, projeté en mai dernier au Short corner à Cannes.Ouverture en costumes'A l'ouverture, ce sera un film en costumes du XIXe siècle du cinéaste français Benoit Jacquot. L'équipe sympathique, qui entoure Olivier Père et Marco Solari, président du Festival de Locarno, a décidé, cette année, de rendre un hommage très mérité à Alain Tanner, l'un des plus célèbres cinéastes suisses, fréquent visiteur de La Cinémathèque d'Alger au temps de sa splendeur. De cet auteur exceptionnel, les écrans du festival ressortiront notamment Jonas, La Ville Blanche, Les Années lumières, Paul s'en va... Au même programme, on retrouvera le portrait de Zidane filmé par Douglas Gordon et Philippe Parreno : Zidane, portrait du XXIe siècle. De même que le chef d''uvre Conte d'été, du grand cinéaste français Eric Rohmer, disparu récemment. La rétrospective consacrée à Ernest Lubitsh sera un pari déjà gagné d'avance, vu le talent inouï de ce cinéaste classique d'Hollywood qui raconte toujours ses histoires avec une drôlerie contagieuse. Le spectateur avide de sujets étonnants, décapants, un brin provocateurs mais où partent souvent des fous rires, se réjouira de la présence au programme de Locarno, cette année, d'une série de films de Luc Moullet. Le cinéma de ce dernier brille en effet par son humour, assez féroce parfois, mais sans méchanceté. Auteur inclassable, proche de la Nouvelle vague (Truffaut, Godard et toute la clique),ancien critique aux Cahiers du cinéma, Luc Moullet appartient aussi à la tribu des Buster Keaton, Jacques Tati...Godard l'a comparé à Courteline ou peut-être au Douanier Rousseau. Voir Genèse d'un repas ,enquête réjouissante et un peu effrayante à la fois, où l'on voit Luc Moullet assis à sa table (de repas) où sont posés une boîte de thon, une banane, une tablette de chocolat, du café...Et les images suivantes racontent, avec humour, les origines réelles de ces produits et comment le consommateur est grugé, comment toutes les étiquettes sont de véritables tricheries : par exemple le thon qui vient du Sénégal est vendu en France sous l'étiquette « produit de Bretagne » etc...Dans Le prestige de la mort, Luc Moullet filme son propre enterrement et se moque de l'industrie des pompes funèbres. Essai d'ouverture nous montre le même Moullet essayant, en vain, d'ouvrir une bouteille de Coca cola, l'absurdité même des produits qu'on achète chaque jour. Dans Les sièges de l'Alkazar (un cinéma parisien), Luc Moullet joue son rôle de critique des Cahiers du cinéma aux prises avec une collègue qui écrit dans la revue ennemie, très hostile. Positif. On ne perd pas un mot de cette réjouissante guerre des critiques ! La Terre de la folie, présenté cette année à Cannes, marque le retour de Luc Moullet dans sa région natale, les Alpes de Haute-Provence, où il y montre que l'isolement des villages, l'air ambiant, les paysages des montagnes (c'est la région de Digne), tout cela a produit et maintenu une sorte d'héritage de la folie. Il y a dans ces régions plus de crimes commis que dans le reste de la France. Tout cela est dit avec un humour vache. Grand amateur de vélo (le vélo ,pour lui, c'est la culture, la voiture, c'est la barbarie), Luc Moullet pédale à travers ces routes de montagnes et nous fait croire qu'il n'y a de vrai comique que dans les sujets sérieux ! Ernest Lubitsh plus Luc Moullet, le Festival de Locarno est parti cette année pour un grand éclat de rire, sous les étoiles à la Piazza Grande.
Posté Le : 03/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Azzedine Mabrouki
Source : www.elwatan.com