Quand l’innovation réinvente le genre Dans «Chronique d’une élection pas comme les autres», paru récemment aux éditions «Alpha Design», Hamid Grine, l’auteur de «Comme des ombres furtives», fait dans l’innovation.
Il passe ainsi à la vitesse supérieure et surprend tout son monde par un style «rénové» et un ton d’une rare fraîcheur.
Au jour le jour, Hamid Grine suit les candidats aux élections présidentielles du 8 avril 2004 à la trace, les traque presque, essaie de les débusquer, voudrait les pousser dans leurs derniers retranchements, deviner ce qu’ils ont derrière la tête. On pourrait être tenté de croire que la chronique n’est finalement valable que dans son contexte, durant la campagne électorale, ou tout de suite après, histoire d’en faire le bilan. Mais, au-delà des instantanés, la chronique qui en rapporte les péripéties, les faits majeurs ou mineurs, a permis de saisir les candidats et les autres intervenants sous de multiples dimensions, sous des angles, des facettes, jamais dévoilés.
S’investissant dans la campagne, dans leurs discours aux électeurs, leurs déclarations à la presse, dans telle ou telle action, ils mettent parfois leur âme à nue, se livrent sans retenue et, du coup, on les connaît mieux, on les découvre, on comprend mieux ce qui les motive, ce qui les fait courir, leurs ambitions, leurs angoisses d’hommes et de politiciens. Là, le penchant de Hamid Grine pour le sport l’a fait peut-être décrire la campagne électorale comme une course de fond, avec ses à-cotés. Les candidats-coureurs de fond, dans les stades et les palais des sports. Chacun veut réussir sa course, et cela dépend de plusieurs paramètres: avoir de bons ressorts dans ses starting-blocks, du souffle et un public pour l’acclamer et soutenir le rythme du coureur et de la course, jusqu’à sa fin, ce qui n’est pas une sinécure...
Le coureur est ainsi porté par la clameur populaire; pris en main, flottant comme sur un nuage, un nuage qui se déplace mu par le souffle de milliers de spectateurs. Et chacun avait son sponsor: il n’y avait qu’à comparer les slogans des candidats pour s’en rendre compte. Et Grine profite de l’occasion qui lui est ainsi offerte pour dresser quelques portraits. Le contraire nous aurait étonnés. Des portraits psychologiques des candidats et de plusieurs autres personnes dans leur entourage et essaie d’aller au fond des choses, tentant de comprendre ce qui fait bouger tout ce monde.
En somme, la campagne électorale a servi de «divan» de psychanalyste. Cela explique certainement pourquoi Hamid Grine a tenu, dans les «cuts», à suggérer quelques repères et des références à méditer. Cela est vrai avec les 15 axiomes du cardinal de Mazarin: un politicien qui se respecte trouverait cela tout simplement succulent, tout aussi succulent qu’est «l’Art de la Guerre» de Sun Tzu. Mais il y a aussi Casanova et Machiavel, entre l’Art de la séduction du premier et, pour le second, les calculs, les sournoiseries en tous genres, la ruse, indispensables «vertus» en politique, et autant de règles de gouvernance.
En lisant la chronique, on découvre que certaines «ombres» ne sont plus furtives. Elles ont pris du corps, se sont matérialisées le temps d’une campagne électorale, propulsées sous les feux de la rampe, sortant de l’anonymat dans lequel elles étaient confinées pour redevenir plus furtives que jamais, après. A croire qu’elles sont virtuelles, voire des hologrammes. Quelques-unes ont gardé quelque éclat, quelque consistance. D’autres redeviennent des ombres, plus furtives que jamais, plus ombres que jamais.
De plus, entre chaque chapitre, l’auteur introduit un sujet qui prend de court le lecteur, ne semble avoir aucun lien avec la campagne électorale, à la manière d’une coupure pub lors d’une émission télé ou un film, comme pour sauvegarder l’attention du lecteur jusqu’au bout des 283 pages de l’ouvrage, ou pour s’ancrer davantage dans la réalité, ou s’en éloigner - ça dépend de l’angle sous lequel on voit les choses - une sorte de récréation entre deux chapitres, après les coups d’assommoir de la politique et des péripéties de la campagne. Une manière donc de ne pas ennuyer le lecteur, mais surtout pour expérimenter un nouveau genre peut-être: assez nouveau comme démarche, comme style. Grine évolue. C’est peut-être aussi la «déformation» d’un professionnel de la communication.
Grine se révèle, se livre presque à travers les «cuts» car, après tout, ce qu’on apprécie nous dévoile. Les «cuts» interpellent: ruptures - ou coupures ? - avec la réalité, ou le moyen de montrer qu’on a bien les pieds sur terre ? On passe d’un monde à un autre parfois très différent, voire à l’opposé, mais qui ont quand même un lien, parfois aussi mince qu’un cheveu, mais aussi solide qu’un crin de cheval. Un ami me disait tantôt, qu’il avait adopté une méthode assez particulière pour lire la chronique de Grine, commençant par lire d’abord les «cuts» et ensuite la chronique de la campagne.
C’était pour lui du «deux en un», deux livres en un seul, mais qui ont un lien, ce crin de cheval, parfois invisible, mais si présent tout de même. C’est pour mon ami, les deux premiers tomes d’une trilogie, dont la troisième, qui reste à écrire, serait: «Qu’est devenu tout ce beau monde, après les élections ?». Mais il se peut fort bien, se plaçant sous un angle bien particulier, que les «ombres furtives» soient le premier tome de cette trilogie. Ca se discute ! Même avec l’absence de nombreux personnages des «ombres furtives». Mais le plus intéressant est ce que l’ouvrage ne dit pas directement, ce qu’il suggère et, certainement, les pages qui manquent, les confidences qui n’ont pu, pour une raison ou pour une autre, figurer dans les chroniques...
Sur un autre plan, Hamid Grine, du fait de cette évolution dans l’écriture, se permet même le luxe de changer de style; tout particulièrement en redécouvrant le style reportage, incrusté, ou agrémenté de quelques pointes d’humour, avec de l’enthousiasme dans l’écriture. L’humour, une révélation chez Hamid Grine: assez fin, pas du tout corrosif. Sans arrogance surtout, mais plutôt «chirurgicale», analytique, sa manière à lui de garder une distance avec ses personnages. Eh oui, toujours cette satanée distance, ce recul indispensable vis-à-vis des événements et des hommes, surtout que Hamid écrit sa chronique, au jour le jour, en temps réel.
Il fallait rester sobre. Mais ceci est lié certainement au fait que Hamid reprend sa casquette de journaliste, le plaisir retrouvé du travail de terrain. Il a tenté, et réussi, à saisir des instants importants de la campagne. Journaliste, oui. Mais à la manière d’un reporter photographe, immortalisant des moments historiques, des instantanés avec, en dessous, des légendes. En fait il a eu le réflexe d’écrire quelques pages de l’histoire immédiate de l’Algérie, à un de ses moments les plus cruciaux, quoi qu’en disent les uns et les autres. Il a été un témoin, volontaire il est vrai, mais qui a su rendre son témoignage. Il raconte ce qu’il a vécu, noté, observé. Neutre, oui il l’est avec les candidats, mais il ne l’est pas avec l’Algérie. Et c’est tant mieux.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 05/09/2004
Posté par : nassima-v
Ecrit par : Mustapha Mazari
Source : www.quotidien-oran.com