A l'heure où les
pays du Maghreb se libèrent de leurs dictatures postcoloniales, il est un pays
oublié, dernière colonie encore présente en Afrique, dont la moitié de la
population a fui, il y a 35 ans, en exil dans le désert algérien et dont
l'autre moitié s'est révoltée, quelques semaines avant la Tunisie, annonçant le
"printemps du Maghreb".
Ce peuple a
réclamé son indépendance en combattant pendant 16 ans puis en négociant
pacifiquement pendant 19 ans la mise en place d'un référendum
d'autodétermination. Son histoire est celle d'une émigration forcée provisoire
devenue implantation durable non désirée. Depuis deux générations ce peuple n'a
jamais souhaité s'intégrer dans le pays d'accueil, ni migrer plus loin. Il est
resté debout, là où l'exode la déposé, près de la frontière de leur terre
promise, mais jamais accordée.
Comment maintenir
l'espoir pendant 35 ans ?
Les frontières
entre folie, dépression, sagesse et normalité sont ténues. Elles le sont
d'autant plus en milieu hostile et lorsque c'est toute une population qui
partage les mêmes conditions et la même histoire.
La résistance des
réfugiés Sahraouis dans le désert algérien est édifiante. Réfugiés en quatre
camps principaux depuis 35 ans, il faut distinguer trois périodes dans la vie
de ces trois générations, dont deux nées dans les camps.
-Tout d'abord, de
1975 à 1991, 16 ans de guerre ou plutôt de guérilla en milieu désertique. Après
le traumatisme de la fuite, des bombardements, des pertes de proches dans
chaque famille, succède la survie et la volonté de satisfaire aux besoins
primaires dans les camps. C'est dans l'action que la douleur physique et morale
va trouver un exutoire. Action de reconquête militaire pour les hommes, action
de survie et d'organisation des camps pour les femmes. L'éducation (taux
d'alphabétisation passant de 10% à plus de 80%), l'identité culturelle et
nationale, la gestion alimentaire et médicale, l'organisation sociale sont les
principales priorités.
La prise de
conscience d'une identité et d'une solidarité partagée engage alors le
commencement d'une "thérapie de peuple."
-Puis en 1991
commence la deuxième période. L'entrée dans le processus de négociation suite
au cesser le feu, va générer l'espoir d'une solution, venue de l'organisation
concertée d'un référendum d'autodétermination devant être organisé neuf mois
plus tard. C'est l'époque où une première génération, née dans les camps va
commencer à avoir des enfants. Ces premières années de paix s'ajoutent aux
années de guerre et constituent un élan vers un idéal, un espoir, dans un même
partage de pauvreté permettant à la thérapie collective de continuer le travail
engagé.
Cette vingtaine
d'années a donc été une période de très forte unité autour d'un même combat
ainsi qu'une recherche identitaire suffisamment importante pour masquer le plus
gros des souffrances individuelles endurées.
-Enfin au bout de
quelques années de négociations, il a fallu se rendre à l'évidence. Les
sacrifices de la guerre, les conditions vécues dans les camps et les
territoires occupés voyaient se diluer leur sens dans le cours du temps. Les
négociations informelles sont arrivées à un tel point d'informalité qu'elles
n'entérinent plus rien d'autre que l'illustration d'un simple pléonasme : le
Statu quo Onusien, rappelant la sentence d'un de ses responsables : "
L'Onu ne résout pas les problèmes, elle les gèle ! " De l'avis de tous, on
était plus près d'une solution en 1991 qu'aujourd'hui !
C'est le temps
venu où apparaissent les conséquences, plus juste serait de dire les séquelles,
des choix faits pendant 20 ans. Choix qui loin d'ouvrir des perspectives de
développement dans un pays libéré, viennent encombrer l'impasse d'un horizon
bouché.
Efforts d'unité,
d'éducation familiale, de formation culturelle et scolaire trouvent de moins en
moins de raisons d'être. Les générations qui depuis 20 ans reviennent diplômées
des pays non alignés, Cuba, Algérie, Libye, ex URSS, après une dizaine d'années
de cycle secondaire ou universitaire reviennent vivre dans les camps une double
peine. Ils retrouvent le désert qu'ils ont quitté enfants, et ses conditions de
vie difficilement descriptibles. Ils découvrent aussi un nouveau désert, celui
de leur propre avenir, ensablé dans l'inertie de la situation politique.
Autre conséquence
du temps qui passe, de la déstructuration familiale due au départ des hommes à
la guerre ou à l'étranger et d'une lassitude, voire dans certains cas d'une
démission d'éducation familiale, la petite délinquance augmente, attisée par la
tentation des biens venant de l'extérieur (Téléphones mobiles, ordinateurs,
panneaux solaires, argent…)
Bien avant la
remise en cause de ces engagements d'avenir, les moyens de la survie ont eux
aussi révélé leurs effets secondaires. Ces effets s'inscrivent le plus souvent
d'une façon chronique dans la santé des Sahraouis. Les principales maladies
recensées ont toutes une origine alimentaire : Anémies graves, diabètes,
problèmes de thyroïde, de calculs rénaux, retards de croissance (3 à 4 ans en
moyenne), diarrhées… Le Programme alimentaire Mondial (PAM), conçu pour sauver
des vies pendant deux ans, finit par les réduire.
Autres dégâts
collatéraux, parmi les 11 000 enfants sahraouis dont une grande majorité sont
envoyés chaque été en Espagne pendant 3 ou 4 ans dans les mêmes familles, il existe
certaines adoptions de fait pouvant aller jusqu'au non-retourr, certains abus
subit par les enfants, et, on peut l'imaginer plus facilement, un comportement
parfois difficile lorsqu'ils reviennent dans leurs familles ou dans les écoles
algériennes (cycle secondaire et universitaire, les enfants étant tous
scolarisés en primaire dans les camps). Quelle image du monde peut se faire un
enfant sahraoui né dans les camps et qui n'a vu de ce monde que quelques
semaines de vacances en Espagne avant de regarder sur les petits écrans de
télévision de sa prison à ciel ouvert les images d'Al Jazeera et des soap
operas turcs ou brésiliens ?
Cette troisième
époque- d'une quinzaine d'année, ensablée dans des négociations qui auraient
dues être menées en neuf mois et qui se poursuivent, informelles et inutiles,
les langues étant devenues de bois- cette troisième époque a pourtant vu surgir
l'espoir de l'intifada, menée depuis 2005 dans les Territoires Occupés.
Intifada pacifique toujours réprimée dans la violence par l'armée, les
auxiliaires de police et certains colons marocains. Au-delà de la réclamation
du référendum et de l'indépendance, les Sahraouis ont revendiqué en octobre
2010, de ce camp de tentes de protestation de Gdeim Izik, plus de justice,
d'égalité sociale, ouvrant la porte au printemps arabe. Sévèrement réprimée la
revendication sahraouie est retombée une fois de plus dans l'oubli, dans les
flammes d'un camp de toiles.
L'espoir est-il
soluble dans le temps ?
Les faits sont là
depuis 35 ans, inexorables. Je repense à ce que j'écrivais comme une fiction et
qui se révèle être réalité : " On aurait voulu écrire un protocole
expérimental, en milieu isolé, avec un effectif de population représentatif
qu'on ne s'y serait pas pris autrement ! Imaginons que le responsable d'un
grand laboratoire propose de faire une expérience avec 200 000 personnes
pendant trois générations, la déportant dans des conditions climatiques
extrêmes, coupant cette population de ses racines géographiques, culturelles,
alimentaires, l'affaiblissant par un programme de soutien alimentaire durable
et carencé. Tout cela pour étudier les limites de la résistance physique et
psychologique, les mutations génétiques… J'imagine le tollé, la levée de
boucliers éthiques, les foudres que s'attirerait ce laboratoire ! Or la
situation est bien celle la." (Journal d'un camp Sahraoui : Le cri des
pierres aux éditions Karthala).
On peut continuer
de perfuser matériellement avec des aides d'urgences mal adaptées ou quelques
aides de développement palliatives pour se donner bonne conscience pendant
quelques années ou décennies, le cocktail manque d'espoir politique.
Aujourd'hui le
ciment collectif se fissure, la thérapie unitaire se dissout, la confiance dans
les élites se délite, la foi en une justice divine finit par se lasser. Chacun
cherche des solutions personnelles face au manque de perspectives collectives.
Derniers espoirs de cette république en exil : D'une part le durcissement des
positions du Polisario qui doit réélire son congrès en décembre, s'il ne veut
pas être débordé par la base ou des sécessions internes, et d'autre part un
changement espéré mais peu probable des positions marocaines sur le Sahara
Occidental, toujours soutenues par la France, les USA et l'Espagne, suite à
d'éventuelles évolutions démocratiques du royaume chérifien.
Sinon ce peuple
continuera de s'éteindre, dans sa république exilée, de chaque côté de ce mur
miné le plus long du monde, dans ce silence partagé et assourdissant des
intérêts de certains et du désintérêt des autres.
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Posté Le : 31/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Jean-Francois Debargue
Source : www.lequotidien-oran.com