Pas de révolution dans l'air. Non, ni Hugo Chavez ni le colonel Auréliano Buendia, héros de Cent ans de solitude de Garcia Marquez ? mort hier presque à la même heure ? ne sont une invention des hauteurs d'Alger.Bouteflika, le Borgia et le BerlusconiCentre de vote Bachir Ibrahimi. 10h30. La «bête» arrive. Pas celle du président Obama. La limousine présidentielle remonte, toutes sirènes hurlantes, le boulevard Bachir El Ibrahimi, dans cet El Biar des hauteurs et de la nomenklatura insatiable et où les Bouteflika possèdent haciendas et autres biens immobiliers. La masse de reporters, parqués, dos au mur, par des flics travaillés par une propagande poussant à la chasse à l'opposant se met en mouvement. Bousculades. Photographes et cameramen escaladent les murets pour espérer une photo, saisir en image le dey «caché» ou le Borgia réincarné. Dans le hall de l'école, d'autres reporters, triés sur le volet par le service presse de la présidence, attendent le «godfather», dieu le père.Crépitement de flashs dans le bureau 34 où sont rejouées quelques-unes des scènes culte du Parrain, le chef d'?uvre de Ford Coppola retraçant la saga des Corleone. Tout est y est. La gestuelle théâtrale, le regard éructant la victoire insolente, les baisemains retransmis en direct comme autant de signes de soumission, dévote et renouvelée. Réglé comme du papier à musique. Derrière le président (candidat), un géant ? donné par les réseaux sociaux pour être un colonel, toubib personnel du président ? est aux «commandes» de la chaise sophistiquée, dernière acquisition présidentielle au rayon pousse-pousse et fauteuil roulant de luxe. Mi-engin martien, mi-siège démontable d'une berline Mercedes aménagée pour VIP et autres personnes aux besoins spécifiques.Pas un mot. L'image a vite fait le tour du monde. Celle d'un pays malade du cynisme de ses dirigeants. La famiglia, soudée derrière le chef, entre en scène. Flanqué du neveu, au premier plan, des frères Nacer et Said, le conseiller spécial, se tenant légèrement en retrait, costard de star tiré à quatre épingles, Bouteflika ? et les siens ? vote. Assis. L'air conscient. Le regard du président s'arrête longuement sur la figure de son frère glissant langoureusement son enveloppe dans l'urne sacrée. Du grand art pour fanas de cinéma.Dans la même journée, quelque part à Milan, Silvio Berlusconi, l'ex-Cavaliere, ex-chef du gouvernement italien, condamné à un an de détention dans une affaire de fraude fiscale, échappe à la prison en raison de son âge : 77 ans ! Mais il purgera sa condamnation par la réalisation de travaux d'intérêt général. Berlusconi devra s'occuper de personnes âgées dépendantes et de handicapés au «minimum pendant quatre heures consécutives» et «au moins un jour par semaine». Berlusconi s'est dit «enchanté» par la commutation de sa peine. A 77 ans, malade, impotent, le président Bouteflika devra s'occuper d'une patrie trois fois millénaire et de 37 millions d'Algériens, dont 70% de jeunes.«La Montagne vs Sidi Yaya»Quartier La Montagne. Banlieue est d'Alger. 11h30. Sur la place du marché, les terrasses des cafés grouillent de monde en cette journée de votation printanière, chômée et payée. Les «intikhabate» enflamment les palabres. La «présidentielle» est servie sans modération, entre deux monticules de déchets ménagers pris d'assaut par des escadrons de mouches. La Montagne n'a rien du mont «Sidi Yaya» et son bling-bling digne des Etats dévastés par les maffias locales, alliées objectives du capital international. 72 âmes parquées dans ses «réserves» pour Algériens de seconde zone, en état de sous-développement chronique, livrées à la délinquance, à la drogue, à la promiscuité, le mal-vivre et être intégraux.Le centre de vote Hamlet Saïd ne désemplit pas. Pourtant. Les charmes du chantage du «vote contre promesse de relogement» a fonctionné le long de cette ceinture de pauvreté : les 600 bidonvilles, 30 000 familles installées dans les baraques autour d'Alger. 400 votants déjà sur près les 5000 inscrits. Le directeur de l'école primaire Hamlet Saïd, récemment installé, se dit stupéfait de découvrir l'état dégradé de la population de Bourouba, surtout celle issue des bidonvilles. «Un état qui transparaît à travers les visages de ces enfants, dit-il, à travers leurs résultats, souvent en situation d'échec scolaire.» «Le vote se passe bien», enchaîne, sans transition, Lakhdari Fouad, chef du centre de vote et responsable du service social de la commune de Bourouba, qui comptait 21 sites de bidonvilles recensés en 2007. «Beaucoup de votants n'ont même pas entendu parler de ces déclarations (du wali d'Alger sur le relogement)», ajoute-t-il.«Moi, je voterai Boumediène», lâche d'un air de défi, de provocation même Mustapha Laâri, un jeune dont la famille habite dans les taudis en face du centre de vote. Une casbah septuagénaire affublée (ironiquement '!) du nom de Haï El Moudjahid (quartier du maquisard). «Venez voir», insiste-t-il, devant des policiers, kalachnikov et fusils à pompes vissés au torse, montant la garde à l'entrée du centre du vote. «Venez voir... Nesknou fighar. Ma famille habite cette grotte depuis 1947 : douze frères et s?urs dans un deux-pièces-cuisine?regardez les murs, le toit, raih Itih?tout s'écroulera !» Son père s'amène. Tendu. Hypertendu. Hors de lui. Vociférant. «Depuis 1962, on ne cesse de voter, qu'est-ce qui a changé pour nous '» Le voisin, encastré dans ses deux cellules d'isolement d'à peine deux mètres carrés, n'est pas mieux loti. «Drari yergdou fel jamaâ. On envoie les gosses dormir dans la mosquée.»ExodusAéroport international Houari Boumediene. 13h15. Une longue file de véhicules se forme à l'entrée de l'aéroport. L'exodus ' «Makan walou. C'est de la propagande. Diaâ bark. Tout est normal», rétorque le palpeur policier affecté au portique de sécurité. Devant les guichets d'enregistrement du pavillon national Air Algérie, de longues files de voyageurs. Les destinations vers Paris, Lisbonne, Madrid, Rome, Tunis, Dubai? sont prises d'assaut. «C'est rien par rapport à l'affluence de mardi», rapporte une hôtesse d'Air France. «Pour le vol d'aujourd'hui, on peut même vous trouver une place si cela vous intéresse», dit-elle, amusée.Sur le départ, beaucoup de ressortissants étrangers prennent le large avant l'apocalypse promise. «Bien sûr qu'on a des appréhensions par rapport à cette élection, surtout avec un président-candidat absent. Du jamais vu», répond ce directeur commercial dans une entreprise portugaise. «Mais moi, personnellement, je rentre au Portugal pour fêter Pâques (20 avril). Je ne m'enfuis pas», ajoute-t-il en riant.Ce n'est pas le débarquementSidi Fredj, 14h30. Les pensionnaires des résidences d'Etat et les gros assistés de la République votent à l'école (primaire) Ahmed Ouroua. «Djazaïr El Iza oual Karama», le slogan est peint sur la façade d'une des classes. Le long de l'année, les bancs de cette école accueillent les enfants des haouch et fermes alentours.«Les cadres de l'Etat ' Ils ont voté tôt cette fois-ci», rétorque une employée du bureau de vote, citant tout de go Bensalah, Tebboune, Ghoul, Sidi Saïd?. 777 votants sur 3166 inscrits. 24,54% de participation.Fraude à grande échelleEx-CPVA, 19h. Siège de la commission indépendante de surveillance des élections. Mohamed Seddiki, membre de cette commission «indépendante» (présidée par le FLN) est dans tous ses états. «Ça y est ! La fraude vient de commencer. Et elle est à grande échelle, surtout dans l'ouest du pays», dit-il, l'oreille soudée à son cellulaire. Les requêtes des commissions de wilaya remontent au 4e étage du siège de l'ex-Conseil populaire d'Alger. C'est le branle-bas de combat. De Tlemcen, Relizane, Oran? il est fait état de fraudes sur le taux de participation, de tentatives de bourrage, de substitution de fichiers d'électeurs inscrits aux bureaux de vote par d'autres, non validés par les juges. Un écart de mille inscrits, de nouveaux injectés dans le fichier, comme le montrent des documents provenant de Chetouane, commune de Tlemcen. «Les pro-Bouteflika sont même allés jusqu'à proposer des sommes de 7000 DA pour acheter le silence des observateurs de Benflis», soutient-il.Bouteflika, Benflis et? Allah !El Biar. 20h. Retour sur la scène du crime. La cloche de l'école Bachir El Ibrahimi sonne le début de l'opération de dépouillement dans ce centre de vote (2117 inscrits) situé à quelques dizaines de mètres des demeures des Bouteflika. Dans le bureau 34 où le président Bouteflika a voté, ce sont encore les caméras de la waffen SS qui s'y collent. Le score est sans surprise. Sans appel. Sur 130 votes exprimés, Bouteflika en obtient 55, Benflis 26. Dix bulletins déclarés nuls, dont un bulletin Benflis portant l'épigraphe «Allah» (sic !). Dans Alger, écrasée par sa réputation de citadelle imprenable, la Mahroussa, l'ancêtre de l'Etat policier, les défilés timides s'ébranlent. Prémédités, comme le confirme ce fonctionnaire à l'Office national de la culture et de l'information (ONCI). Préparés avant même que l'opération de vote ne soit clôturée. «Nous avons, dit-il, reçu aujourd'hui une commande pour qu'on prépare les défilés, les troupes de chants, de danses, de musique? et fêter la victoire de Bouteflika avec un grand gala !»Hugo Chavez et la déroute de BenflisQuartier général de Benflis. 23h. Dans le camp du rival de Bouteflika, l'espoir, puis le doute, enfin la certitude alternent : la déroute est totale, la Berezina bis repetita. Le chemin qui monte au QG du candidat est pavé d'amertume. Stupéfaction, désillusion, colère, panique chez les partisans de Benflis. «Certains sont vite rentrés dans leurs wilayas comme à Annaba Constantine, Batna, où Benflis était donné pourtant vainqueur», témoigne un jeune loup du staff de Benflis.23h45. Belaïz, le ministre de l'Intérieur, donne le taux de participation qui reprend l'énoncé du deal, du néocontrat social : 51-49%. L'arrivée de Benflis se fait sous les ovations et des «Benflis président», vite réprimés par l'évidence et la rage. Le ciel d'Alger éclate de mille artifices. Benflis fait son speech, parle d'une «fraude massive», «généralisée», dénonce le «complot tissé par des mains algériennes contre la volonté populaire», réitère son engagement à «rester sur la scène» politique, à «user des moyens pacifiques, des voies légales» pour contester les résultats de l'élection. Pas de révolution dans l'air. Non, ni Hugo Chavez ni le colonel Auréliano Buendia, héros de Cent ans de solitude de Garcia Marquez ? mort hier presque à la même heure ? ne sont une invention des hauteurs d'Alger.
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Posté Le : 19/04/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mohand Aziri
Source : www.elwatan.com