Algérie

Chikayates d'arrière-cours contre luttes d'avant-garde


Alors que l'irruption révolutionnaire frappe à la porte de chaque conscience, que les algériens sont appelés à un effort collectif d'élaboration de nouveaux liens entre l'Etat et sa société civile, il s'en trouve qui n'arrivent pas à se défaire de leur propension à vouloir solder des comptes avec une histoire qui a tranché de vieux débats, largement dépassés par les évolutions socio-politiques du pays. Nous leur disons fraternellement qu'il est urgent de cesser de ressasser les veilles défaites pour ne se mettre qu'au service des prochaines victoires.Notre processus de libération nationale sur le long cours a été un supplice de la patience et a éprouvé notre capacité de résilience comme peu de Peuples ont été appelés à le faire face à une entreprise de colonisation dont on ne soulignera jamais assez les effets dévastateurs sur l'intimité de notre personnalité en tant que Nation. L'objectif suprême, pour le colonisateur, était d'intégrer l'Algérie à une France rêvée de Dunkerque à Tamanrasset avec tout ce que cela suppose de renoncements à notre religion, à notre langue, à nos patrimoines et à nos us et coutumes.
En 1962, le Pays est exsangue. Les hommes sont analphabètes à 86%, les femmes à plus de 95%, la misère est la règle générale, des poches de famine se font jour dans les régions les plus déshéritées frappées de plein fouet par des déplacements de population dans des camps de la honte de l'ordre de 2 millions de personnes. Des fronts intérieurs, minés par le clanisme au sens ethnologique du terme sous-produit d'une entreprise coloniale abjecte, plus armés que militaires; défaits sur le plan de l'action malgré un engagement de l'ennemi qui restera l'une des pages les plus glorieuses de la lutte du Peuple algérien, voient de véritables seigneurs de la guerre, illettrés, réclamer dramatiquement du haut de leur ignorance, avant même que l'indépendance du Pays ne soit proclamée, sa direction.
Apres la défaite de la Bataille d'Alger, les fronts intérieurs s'effritent et avec eux la croyance que seules des actions militaires menées à partir du territoire national seront capables de guider le Pays à l'indépendance. Les principes édictés lors d'un Congrès de la Soummam qui n'a pas réuni le quorum nécessaire, de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire, instrumentalisation intelligente au service d'une tentative de main mise sur la direction de la Révolution, sont démentis par les faits. Le grand Abane Ramdane est dans l'obligation de?quitter le front intérieur et la lutte est plus militaire que jamais.
D'autres se préparent également à la prise du pouvoir. Houari Boumediene et son Etat-Major, entrainent à Tunis 30.000 hommes à constituer une armée plus qu'une guérilla mais sont confrontés aux mêmes affres que leurs frères de l'intérieur. A tous, ont été légués à dessein par le colonialisme, autant de barrières Pedron, Challe et Maurice pour contrer les processus complexes devant mener à la libération de la Nation et pas seulement à l'indépendance formelle du Pays, à savoir l'analphabétisme, l'ignorance et la misère sociale.
L'analphabétisme et l'ignorance, les deux mamelles du colonialisme ont retardé l'édification de notre Etat
L'analphabétisme et la misère d'un peuple qui marche les pieds nus sont les plus grands obstacles à l'organisation d'institutions qui seront appelées à fonder l'Etat algérien aux fins de présider à sa destinée. En 1962, l'Algérie se prépare à accueillir 2000 bacheliers dont 55% maitrisent le français, 25% l'arabe et le dernier quart l'arabe et le français. Deux langues et pas encore un seul Etat en vue ! 2000 bacheliers à peine de quoi suffire à l'encadrement d'un?hôpital central là où c'est tout un pays qu'il faut soigner de la gale, de la tuberculose, des poux et des maladies infantiles de toutes sortes qui font un ravage. La tâche est colossale. Aujourd'hui ce sont 1,8 millions de bacheliers qui sortent chaque année de nos lycées. Qui peut affirmer que la Révolution nationale a juste libéré la terre sans affranchir ses hommes des affres de l'esclavage nourri de l'ignorance et de l'abêtissement voulu par le colonialisme ' Il y a des outrances qui sont des injures à l'intelligence de notre Peuple.
La crise de l'été 1962 n'est pas un combat perdu par des gentils démocrates de l'intérieur contre des méchants militaires bureaucrates de l'extérieur. Pour la seule et bonne raison que l'on ne peut fonder une démocratie parlementaire sur les décombres fumants du colonialisme et d'un peuple aux trois-quarts paysan et analphabète dans sa quasi-totalité soumis au risque de la balkanisation, travaillé au corps de ses régionalismes voire de ses tribalismes par un colonialisme revanchard, défait en présence des Nations, par une diplomatie révolutionnaire de l'éthique et de la morale. Et à supposer, par une sorte de politique fiction aux fins de mettre à l'épreuve la sagacité de nos esprits, que cela soit le groupe de Tizi-Ouzou mené par Krim Belkacem, lui aussi conscient des impératifs de l'édification étatique qui aurait remporté la course au pouvoir au détriment du groupe de Tlemcen mené par Ben Bella, les dérives autoritaires auraient été exactement les mêmes : priorité à la construction de l'Etat avant que l'on puisse en pratiquer l'exercice démocratique.
Autant nous sommes enclins à comprendre qu'une icône révolutionnaire vivante comme Djamila Bouhired reste emprisonnée dans des problématiques qui semblent indépassables pour sa génération (voir son émouvante déclaration publiée dans El Watan du 10 mars 2019), autant nous n'arrivons pas à saisir les raisons pour lesquelles des Said Saadi, Karim Tabbou, les jeunes militants du FFS et d'autres n'ont de cesse de reproduire des chikayates tranchées dans le vif par l'histoire. Ce qui est le plus préoccupant, c'est qu'en raison de leur incapacité à voir en l'ALN puis en l'ANP une Armée qui a porté dans ses entrailles un Etat, comme une mère porte dans son ventre un enfant, ces forces vives de la Nation établissent un rapport à l'armée figé dans la crise de 1962 alors que l'ANP s'est depuis complètement transformée, à l'image de tout le pays. En ne saisissant pas ou que très peu, le rapport évolutif de l'armée à l'Etat et donc de l'armée à la Nation cette opposition, empruntant des voix d'outre-tombe est incapable de prendre la mesure des rapports qu'établit l'armée - non pas celle du « redressement révolutionnaire de 1965 » qui n'existe plus mais celle des Cadets de la Nation d'aujourd'hui - à la société civile. En faisant croire que l'armée est sortie de ses casernes alors que c'est le « Hirak » qui investit la rue, en laissant à penser que la problématique essentielle de ce pays procèderait d'une autorité militaire dictatoriale et non pas de son asservissement à la rente pétrolière, assertion démentie tous les jours par l'action politique de l'ANP au service du Hirak, cette opposition jeune dans la forme mais veille dans l'esprit se complait à déclamer avec des intonations dans la voix ressemblant à s'y méprendre aux grésillements des postes radio d'antan, des revendications d'hier ! Et ce sont paradoxalement des forces issues de la société civile, prenant des distances avec l'action strictement partisane à l'image de Jil El Jadid ou d'El Mouwatana qui appellent ?la classe politique à se mettre d'accord sur une plate-forme minimaliste pour tenter de trouver une issue permettant de mettre en ?uvre une transition, que tous, y compris l'armée appellent de leurs v?ux.
L'ANP a déjà réalisé sa transition
Oui, l'armée est partisane de la transition. Nous dirons même qu'elle en est une fervente défenderesse parce qu'elle l'a déjà réalisée dans les faits et se trouve en avance de ce point de vue la sur le Hirak. L'ANP de 2020, ce sont 500.000 personnels qui tous sans exception savent lire et écrire et donc rédiger des rapports et produire une bureaucratie militaire de l'efficience. Son recrutement est national et n'est plus dominé, comme par le passé pour des raisons liées à l'histoire, par une région au détriment d'une autre. Son appareil de formation, sa myriades d'écoles appliquées de toutes sortes, ses écoles supérieures de Cherchell à celle de la Guerre, de la Chasse, de la gestion, de la logistique, des finances lui ont permis d'acquérir des compétences nationales s'exprimant loin des clivages entre officiers « déserteurs de l'armée française » ou ceux des écoles militaires « moyen-orientales ». Cet effort de formation qualitatif a fait émerger un véritable Etat-Major aussi bien centralisé que spécialisé capable de s'imposer aux chefs de région. Il n'y a plus de crise Chaabani lorsqu'il s'agit d'envoyer aux cachots des généraux indélicats comme nous l'a montré la crise de l'été 2018.
Ses officiers supérieurs formés en Algérie ont mené avec succès la professionnalisation de l'armée dans toutes ses composantes avec une mention particulière à l'aviation et à la marine qui émergent comme des corps techniquement compétents. Cette professionnalisation avancée, c'est-à-dire cette concentration de plus en plus nécessaire sur ses propres objectifs, aiguillonnée par une lutte contre le terrorisme de long souffle et par un contexte régional tendu, induit un processus de distanciation de ses rapports aux autres fonctions régaliennes de l'Etat, en particulier la Présidence et l'Assemblée Nationale. La professionnalisation de l'armée, née d'une volonté ancienne s'exprimant déjà dans les maquis mais s'accélérant du fait des évolutions aussi bien internes que géopolitiques, dépasse de loin les enjeux strictement militaires. Ce processus est fortement exprimé dans le temps par un système d'enseignement original de l'excellence, l'Ecole des Cadets de la Nation, dont l'objectif est de toute évidence de renforcer l'esprit de corps permettant dans un très proche avenir de réaliser une sorte de fermeture institutionnelle prélude indispensable à une reformulation de la configuration constitutionnelles de l'ANP. Des efforts restent à réaliser dans l'accompagnement juridique de l'exercice de ses fonctions internes à tous les niveaux aux fins de mieux cerner les responsabilités entre le centre et la périphérie, entre l'Etat-Major General et les Etats-Majors régionaux. Cela contribuera de manière mécanique à mieux insérer l'armée dans le nouvel ordre légal en gestation, un ordre démocratique, le service national lui permettant de réaffirmer son lien avec le Peuple.
C'est cette armée qui met en prison les oligarques et les politiques responsables de la faillite économique et morale du Pays. Elle n'a donc pas à rentrer dans les casernes parce qu'elle s'y trouve déjà, occupée qu'elle est de l'élévation qualitative de ses connaissances et de ses actions pour atteindre un optimum efficient au service de ses missions : la défense nationale et l'accompagnement de la transition politique qu'elle a pour sa part largement entamée comme sa sociologie nous le démontre de manière éclatante. Aussi, il serait largement préférable, plutôt que de ressasser de vieilles rengaines, désormais vides de sens, de s'atteler toutes affaires cessantes à formuler des propositions réalistes, c'est-à-dire répondant aux v?ux démocratiques et anti-rentiers du Hirak, aux fins de faciliter une transition sur un terrain largement déminé par l'ANP au lieu de se fixer sur des considérations tout à fait secondaires comme la date des élections ou la démission du Président de l'Etat et du Premier Ministre, tous deux complétement neutralisés par l'application de l'article 102 et surtout par les directives politiques du c?ur battant de l'Etat, c'est-à-dire l'armée nationale populaire a l'écoute des revendications profondes du peuple algérien. Aux partis politiques, aux groupes activistes au sein du Hirak, aux intellectuels en phase avec leur Peuple de lancer des modalités d'action qui nous permettront de franchir le pas, sans léser les revendications légitimes du Hirak et sans porter préjudice à la crédibilité de l'armée, dans des formes juridiques, car l'essentiel est là, qui puissent satisfaire l'ensemble des parties. Ce sont celles-là les nobles luttes d'avant-garde.
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