En cette nuit de mercredi à jeudi de la saison estivale 2008, il fait excessivement chaud. Les lampadaires, qui résistent encore au vandalisme des humains, éclairent très mal les quartiers. Les grappes d'adolescents au torse nu, éparpillés à travers les nombreux quartiers de la ville, créent une ambiance très décontractée.
Ils sont patients, en dépit de leur fatigue. De temps à autre, des volontaires viennent avec des bouteilles d'eau fraîche. Des rires éclatent dans la nuit, provoqués par des récits, des anecdotes et des blagues. Le cortège nuptial est attendu pour 23h30. Le mariage selon le rite de Sidi Maâmar, s'est raréfié. Aujourd'hui, le modernisme a fait perdre la tête à beaucoup de familles qui ont préféré abandonner la fête traditionnelle. Le domicile de la mariée est déjà plein à craquer. Le rythme de la derbouka et les youyous stridents des femmes brisent le silence de ce quartier populaire. Les voisins sont impatients. Ils veulent être témoins de ces moments rares. Au domicile du futur marié, l'ambiance est détendue. La nuit est courte et les hommes s'inquiètent de l'horaire du départ.
La jument blanche, habituée à ces fêtes exceptionnelles, tenue par son jeune propriétaire, arrive enfin et provoque une joie indescriptible. Le futur beau-père, qui fait attention au protocole, informe l'assistance que la troupe musicale locale de zorna devra les rejoindre dans quelques minutes. Il est 1h du matin. Les deux familles se contactent par téléphone mobile pour s'enquérir de la situation. Le futur beau-père ramène le burnous et consulte ses proches sur certains détails qu'il ne faut pas oublier, pour mener à bien la cérémonie chez la mariée. Voilà que les femmes, les jeunes filles accompagnées et encadrées par quelques maris et fils sortent du domicile du futur époux pour emprunter un itinéraire qui doit les emmener vers la maison de la mariée. Chants, rires et youyous ponctuent cette procession le long des rues très mal éclairées de la ville. Des fenêtres s'ouvrent, quelques familles arrosent de parfum cette procession heureuse. Beaucoup de retrouvailles et de discussions entre les dames lors de cette marche.
La jument est précédée par le fourgon qui transporte la zorna et le cameraman immortalise ces précieux moments. Des airs populaires sont exécutés par les musiciens de la troupe en habits traditionnels qui ne laissent point indifférente cette assistance mobile. Des jeunes hommes dansent au rythme des percussions de la zorna. Les vêtements de femmes portés lors de cette soirée constituent une véritable richesse du patrimoine artisanal algérien. Un défilé de tenues traditionnelles très instructif. Les silhouettes ralentissent la cadence pour permettre le regroupement du cortège avant d'arriver à destination. A l'entrée de la maison de la mariée, c'est une autre ambiance heureuse qui se dégage. Morceaux de sucre, parfums et fleurs sont balancés à l'adresse des invitées venues chercher la mariée. Au bout de 20 minutes de communion, la mariée, enveloppée entièrement dans le burnous et accompagnée par ses proches parents, quitte lentement sa maison. Elle est entourée uniquement par les membres de sa famille. Elle est aidée à monter sur le dos de la jument. C'est à partir de cet instant précis que son futur beau-père et les membres de sa famille interviennent aux côtés des proches de la famille de la mariée pour l'installer sur la jument.
Un foulard rouge ceint sa tête déjà dissimulée par le burnous. Deux bougies allumées sont attachées au foulard. La foule des accompagnatrices a, entre-temps, grossi. Toutes les femmes désireuses d'accompagner la « cavalière » sortent de la maison toujours sous les youyous. Le beau-père de la mariée tient dans la main la corde attachée à la jument, pour éviter éventuellement le déséquilibre à la mariée. Le signal est alors donné pour retourner au point de départ, mais en empruntant un autre itinéraire. C'est la règle du rite de SidiMaâmar.
Des morceaux de sucre sont jetés à partir des balcons et des fenêtres des maisons qui se trouvent le long du passage du cortège. Les mains et les pieds de la mariée ont été couverts de henné depuis quelques minutes. Ils sont enveloppés dans des morceaux de tissu blanc. La mariée, telle une star, sillonne les quartiers de la ville sur la jument, en cette chaude nuit d'été, sous les regards des femmes. Un climat de bonheur caractérise cette balade nocturne. La jument demeure imperturbable durant tout le trajet.
Ni le bruit des voitures, ni les chants ni la musique de la zorna, ni même la « la cavalière » sur son dos ,encore moins les flashs des appareils photos n'arrivent à l'incommoder. C'est un signe de bon augure pour le futur couple, selon une vieille dame. Il est 3h du matin passé. Arrivée à destination, la mariée est immédiatement prise en charge, elle est accompagnée jusqu'à la chambre de sa belle mère. Elle y passera quelques heures avec une femme proche de sa famille. Dans la soirée du jeudi, la mariée devra changer ses vêtements avant de rejoindre, enfin, sa propre chambre. Son mari va arriver d'un moment à l'autre. Le mariage traditionnel est total jusqu'à l'ultime seconde de cette fête purement familiale. Une nouvelle vie commencera pour les jeunes mariés félicités par les nombreux amis et les membres de leurs familles au lendemain de la nuit de noces.
Leurs parents sont fiers sur tout ce qu'ils viennent d'entreprendre dans le respect de la tradition. En effet, les familles des mariés ont réussi à perpétuer la tradition du mariage selon le rite de Sidi Maâmar. Le vendredi à midi, la famille de la mariée cuisine des plats exceptionnels, reflétant une fois de plus la richesse de l'art culinaire de la ville de Cherchell. Il faut des hommes et des véhicules pour transporter toute cette nourriture de haute facture qui s'inscrit dans la tradition culturelle locale. Le cortège arrive difficilement à se frayer un chemin le long des rues étroites de Cherchell, en cette journée d'été.
Les menus confectionnés par de véritables et authentiques cordons bleus, qui n'ont jamais été sous les projecteurs médiatiques, aura nécessité une mobilisation sans faille. Ce repas des mariés de Sidi Maâmar sera dégusté par l'ensemble des membres et amis des deux familles, dans la joie, la tolérance, dans une ambiance festive, mais surtout dans le respect des traditions du rite de Sidi Maâmar de la ville de Cherchell.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 17/04/2015
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : M'hamed H
Source : Publié dans El Watan le 27 - 08 - 2008