Algérie

Cher ami Bendjelloun, bonjour !



Votre roman «Partir» paru chez Gallimard est un laboratoire de l?écrit, il nous fait découvrir ce qu?est l?alchimie des mots qui suintent pour témoigner à vif.Il nous esquisse en fait, les contours de la postérité d?un palimpseste parcouru, de bout en bout, par les séquences versatiles et choquantes, les velléités les plus insensées de l?homme maghrébin, voire africain, en quête du méridien de la liberté. Le tumulte saignant de la précarité des protagonistes en scène se réalise bien, en intensité et s?inscrit dans la durée par cette écriture de l?intérieur.Certes, cette curiosité «surérogatoire», si j?ose dire ainsi, peut paraître indue ou même ostentatoire parfois, mais sa mise en littérature est salvatrice à plus d?un titre.Seule la littérature peut réconcilier les mots avec les vivants. Encore faut-il bien préciser, sans esquive, pour qui écrire? Qui devrait être le destinataire de ce verbatum neurologique?Dans cette échancrure du littoral méditerranéen, la souffrance actuelle se décline à la première personne du singulier, comme l?appendice d?une survie ontologique partagée dans toute sa dualité par ces outre-vivants. Son intensité est telle qu?elle durcit la cornée et dilate la pupille...En ces endroits cupides du détroit, sablier retourné de travers, l?archéologie marine exhume les restes humains d?une ambition téméraire.Les harraga, néo-fondateurs insurgés du Maghreb de leur rêve interrompu, stigmatisés comme tels par les brigades de vigiles gardes-côtes de la citadelle Shengen, se reconnaissent, enfin, dans cette épreuve insensée, le même destin unitaire, fédérateur de toutes les forces potentielles d?une puissance émergente, pentavalente et exponentielle pour tout un chacun mais qu?on n?arrive toujours pas à faire rebondir du bon côté pour la faire valoir.Les Harraga ne parlent plus le francophone. Ce «butin de guerre» est, désormais, rangé par les justes, parmi les accessoires et les auxiliaires de la nuit coloniale, dans un labyrinthe du Fort de l?empereur à Sidi Fredj. En tournant la page de l?histoire commune, on activera «nos plaquettes» et on contribuera tous à l?hémostase des mémoires qui saignent encore au moindre souvenir.Dans ce Finistère maghrébin, le calumet rassembleur des membres de la tribu des éveillés, El-kaid Essebssi, tient le rôle de joker d?une survie factice.L?ivreté, la fragrance d?une poétique de terrasse de café-halqa, leur assurent l?ultime «crap» bienveillant, un observatoire de leurs chimères déployées et en exercice continu.Euphoriques, certaines nuits, les harraga s?y sentent même bien. Toutia est là. Elle ne se dérobe pas. Elle guide la caravane. Alors, ils exultent, ils se détachent maladroitement... et de tout, pour prendre leur envol, et s?exercer au grand écart, entre les deux rivages qui mouillent leur peau et font rougir leurs yeux.Ils flottent déjà! Assurément, il leur arrive de penser, de cogiter beaucoup plus, sur la soute d?une embarcation padera-flouka, que sur l?éloquence, même pertinente, d?un texte de littérature.La littérature, la leur, est une «hedda» à polarité nordique. Sans retour. Et la supplique infonctionnelle de Dahmane El-Harrachi n?y peut rien. Elle s?avère inopérante, décalée de nos jours. 1-2-3 soleil! Ils sont dans les ténèbres de la nuit. L?impact transgénérationnel est nul. Sans écho.Les harraga ne doutent pas qu?un texte de littérature, de récit, de conte, ou de roman peut disposer de leur histoire, à leur insu, faire mousser les aspérités de leur sordide vécu, bien rouler les mécaniques d?un phraser pour les présenter et les faire connaître, à leur insu à un ailleurs, qui va, peut-être s?offusquer de cette déplorable situation.Précisément, c?est cet ailleurs, toujours insolite à leurs yeux, qui les fait gambader sans cesse jusqu?à l?épuisement. Leur fait tourner violemment la tête. Il finit par leur faire croire, que l?ailleurs est toujours le meilleur. Cet ailleurs, où le pouvoir incantatoire du conte maghrébin est beaucoup plus divertissant que réparateur. La valeur sémantique des mots a changé. Ailleurs, est devenu plus doux, plus porteur que demain, l?écume des jours.La grille de lecture convenue pour les mondaines délibérations automnales du café de flore, au bd Saint Germain, leur a toujours échappé. Peut-être parce qu?ils s?y sentent exclus. Alors, ils s?y sont des-insérés.Paradoxalement, ils souhaitent tant partir, tous, pour se reconstruire, même dans la marginalité et la réclusion solitaire.La postérité voulue est toujours élective de ces simples arrangements de mots torsadés, à extrémité biseautée par la quintessence d?une vie qui ose encore s?attribuer un sens. Partir? Partir? Par où partir? Chez qui partir? Et puis partir pourquoi faire? Parfois, le partir s?assume dans le renoncement. Partir, c?est aussi foutre le camp de ce trou disproportionné tous azimuts, où on s?est englué dans le rebut de la société...C?est un pis-aller suicidaire dans une pathétique nuit qui s?est délestée, sous la contrainte policière, de sa pudeur et de sa discrétion habituelles. Taciturne et aphone, on devient rien de surcroît. La mort en vue a instauré le silence. «Cet étui de la vérité». En Afrique, comme partout ailleurs, «lorsqu?on guette on ne tousse pas»...Dans ce chaos qui remue à peine les tripes des bien-pensants de tous bords, la vertu est-elle bien à la disposition du premier venu? Comme un «coquillage» battu sans cesse par les flots et les ressacs, voire même par le sort! Je sais, qu?en fin de compte, presque l?ensemble des «coquillages» vont succomber inexorablement au charme lugubre de cette drogue morbide. Cette croisière en mer, va laisser s?échapper un résidu quelque part. Un résidu humain promis à une damnation sur terre, après celle de la mer.Cette jeunesse réfractaire à tout, croit pouvoir vivre son présent ainsi. Elle s?est dépouillée de toutes les inerties, elle a incisé, d?un geste ferme et résolu, toutes les brides et les entraves pour réaliser sa mue et réussir, vaille que vaille, son casting en mer.Cette jeunesse s?est enrobée de l?audace et s?est chaussée de témérité pour pouvoir aller loin, jusqu?à affronter, corps à corps, les clauses convenues d?une mort annoncée, les mains nues, les poches vidées par les prédateurs-passeurs, les biceps saillants par la rame, non pour sauver sa tête, mais plutôt pour prendre la parole, leur écrit-cri. Il s?agit, bel et bien, d?une prise de parole. Donner l?assaut pour défaire les noeuds et les crampes, libérer les mots de la mémoire attristée par le clair de lune indifférent.Shehrazade, en son temps, a su apprivoiser l?errance du libre-arbitre d?un pouvoir holiste. Elle avait compris pourquoi elle devait toujours le tenir en laisse et à distance.. La nuit, tard la nuit.. jusqu?au petit matin, l?aubette. Il faut reconnaître que la parole nocturne a toujours eu une meilleure prise sur le réel du jour. Elle porte conseil, m?a-t-on dit, un jour, une nuit! Pour cette jeunesse en partance, sans bagages et sans titre de voyage, l?humanité à laquelle elle aspire, semble pouvoir commencer de l?autre côté du désespoir...Partir est un autre entier. Accompli et assumé par les harraga de tous les feux de détresse.Partir, s?avère être parfois, une résurrection. Une bravitude de plus pour enjamber ce barzakh et gagner un ultime regard narcissique, d?estime sur soi, entre les pérégrinations de ce qui est encore licite, et la mollesse de ce qui se réfugie malicieusement dans les interstices de l?implicite. Toutia, est toujours là.«Pourquoi la cave (je préfère le grenier) de ma mémoire, où habitent deux langues, ne se plaint jamais?»Si Tahar, la cave, comme le grenier, d?ailleurs, c?est un vestiaire de grâces d?occasion.Le fleuve. El-Oued détourné, finira bien par recouvrir son lit originel. Ses pierres y sont toujours. Elles se reconnaissent.Si Tahar, dans ce laboratoire de mise en induction de la sémantique des mots pour des maux poncés par les péripéties de la vie, que va-t-il rester? Peut-être le grain de sable d?un écrit, que nous avons cru pouvoir tenir longtemps, des jours et des nuits, et qui, le moment venu, récalcitrant et rebelle comme il est toujours, il nous aura filé entre les doigts, pour une crête de dune..! Il échappera à l?oxydation du temps.«Il est des hommes qui gravent dans la mémoire du peuple, le souvenir de sa grandeur spirituelle, et dans sa conscience, le devoir continuel de la rétablir».Le retour sur terre, que dis-je, le retour pour la terre est inexorable. Seulement, il faut éviter la chute...Maintenant, faut-il raconter l?histoire des réalités ou celle des prises de consciences souveraines? Il me semble que le chameau, tout compte fait, s?est retiré dans le désert pour méditer... la Mondialisation, au point que son déhanchement provoque le mal de mer... Ce qui fait «gerber» les harraga du Maghreb. L?écume des mots.Si Tahar, croyez bien en l?expression de mes respectueuses salutations bien cordiales. Le Maghreb vivement demain.


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