Publié le 20.02.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Walid Ait Said
Chems Eddine Chitour
Le professeur émérite, Chems Eddine Chitour, est un scientifique connu et reconnu dans les questions énergétiques. Il a occupé la fonction de ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, après avoir occupé le portefeuille de l'Enseignement supérieur. Il est le fondateur des «Journées de l'énergie» et cela depuis plus d'un quart de siècle appelant à la nécessité d'une stratégie qui permettrait à l'Algérie de jouer la prudence en faisant le meilleur usage d'une ressource éphémère.
L'Expression: Les journées de l'énergie reviennent pour une 27e édition. Quels sont les grands thèmes qui seront abordés par les élèves ingénieurs de l'École polytechnique d'Alger?
Professeur Chems Eddine Chitour: La 27ème édition de l'énergie aura lieu cette année le 4 mars prochain à l'hôtel El Aurassi d'Alger Avant toute chose je ne saurai débuter cet entretien sans remercier sincèrement le ministre de l'Énergie et des Mines, les P-DG de Sonelgaz et de l'ARH qui ont rendu possible cet évènement. Le thème abordé cette année sera «l'urgence climatique, la sobriété énergétique et le plan hydrogène vert».Six conférences thématiques animées par des experts sont au programme. Elles abordent différents types d'énergies, l'eau, le nucléaire, les énergies renouvelables, la géothermie et bien évidemment l'hydrogène vert. J'animerai une conférence introductive par rapport à tous les sujets abordés avant de céder la parole aux élèves ingénieurs de l'Ecole polytechnique d'Alger. Comme il est de rigueur lors des Journées de l'énergie, cette future élite du pays fera un exposé et des propositions concrètes en rapport au thème de l'évènement. Vingt-deux élèves se relaieront en binôme pour faire 11 exposés. Il s'agira, notamment de l'urgence climatique à prendre en charge, les stratégies des États, Les coûts de l'énergie, le modèle énergétique aux horizons 2035 et 2050 avec le Plan hydrogène vert, où revitaliser, Une stratégie des transports quittant graduellement les carburants actuels au profit de la locomotion électrique et même l'utilisation de l'hydrogène vert. Enfin quatre communications seront consacrées à la nécessité de développer la géothermie, le grand gisement des économies d'énergie à développer, l'auto-consommation avec les solutions des kits solaire et éolien avant de clôturer sur la nécessité d'introduire le Développement Durable dans les programmes de l'école, du lycée avec le baccalauréat Science du Développement Durable et les métiers possibles dans la formation professionnelle pour arriver aux formations technologiques dans le supérieur avec l'absolue nécessité de la mise en place d'un Institut de la Transition énergétique de formation et de recherche sur l'hydrogène vert prévu à Sidi Abdallah
Justement, l'hydrogène vert est l'énergie «en vogue» actuellement à travers le monde. Les experts la considèrent même comme un élément incontournable du «mix énergétique». Qu'en est-il pour l'Algérie?
La neutralité carbone adoptée dans le monde impose la sortie graduelle des énergies fossiles au plus tard en 2050 (Etats-Unis, Europe...), 2060 (Chine). De ce fait par quoi remplacer le pétrole et le gaz? L'hydrogène est le candidat idéal. À partir de 2030, avec la taxe de 100 €/tonne de CO2 les exportations de gaz vers l'Europe seront de plus en plus difficiles, car, polluantes et trop coûteuses, les pays de l'Union européenne ont adopté une stratégie afin de remplacer graduellement ce gaz naturel par de l'hydrogène vert. Certains pays africains, notamment ceux du nord à l'instar de l'Égypte et la Mauritanie, ont réussi à s'intégrer dans le plan «hydrogène vert» de l'Union européenne. Ce qui n'est pas le cas de l'Algérie. L'Algérie a été pionnière dans le domaine en annonçant sa détermination lors d'un Workshop dédié à l'hydrogène vert en mars 2021. Pour ne pas être distancés, nous devons absolument rattraper notre retard. Si on sait s'y faire l'hydrogène vert pourra être le futur gaz naturel de l'Algérie avec l'avantage d'utiliser les gazoducs existants et le savoir que nous avons dans la production d'hydrogène gris et la fabrication d'ammoniac vert qui peut aussi être exportée plus facilement vers l'Europe. Il est impératif pour nous de mettre en place un vrai plan hydrogène vert avec un objectif de pas moins de 2000 MW par an. Une partie de cette énergie propre sera exportée. L'autre partie doit être destinée à la consommation locale. Il ne faut pas oublier que nos énergies fossiles sont appelées à disparaître dans le temps. Nous devons les préserver en allant vers la production des énergies non-conventionnelles. C'est la priorité des priorités...
Comment pouvons-nous financer cette stratégie qui demeure très coûteuse?
Il faut d'abord comprendre que la production d'hydrogène vert nécessite la mise en place de centrales solaires ou éoliennes pour produire de l'électricité renouvelable. Celle-ci sera utilisée dans le dessalement de l'eau de mer pure. C'est ensuite que l'on met en oeuvre l'électrolyse pour avoir de l'hydrogène vert. Ce qui fait que le plan hydrogène vert doit être adossé à celui des énergies renouvelables. Une partie de ce plan sera financée par le gaz naturel non consommé. Il faut savoir qu'une centrale solaire de 1000 MW permet d'épargner pour ses 3000 heures de fonctionnement au moins 400 millions de m3 qui seront laissés aux générations futures ou vendus finançant en partie le coût de la centrale solaire.
Autre sujet très important qui sera évoqué lors des 27èmes journées de l'énergie est celui relatif à la Stratégie nationale des transports. Que vont proposer nos jeunes polytechniciens?
Comme vous le savez, des décisions importantes ont été prises par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour encourager la locomotion électrique. Je me souviens avoir été chargé du Plan sirghaz. Chaque administration rendait compte au Mteer chaque mois de l'état d'avancement de la conversion au sirghaz. L'effort devrait être poursuivi. Par la suite il a été décidé l'interdiction des véhicules diesel et la réduction des taxes pour l'importation des véhicules roulant à l'électricité. Le transport ce n'est pas seulement la voiture particulière. Ce sont aussi les bus, les camions qui doivent progressivement être convertis. Une stratégie des transports est avant tout celle qui permet de densifier le réseau de transport multimodal. Les élèves vont ainsi faire des propositions pour l'introduction progressive des voitures électriques d'ici 2035 qui est la limite de l'utilisation des voitures thermiques en Europe, aux Etats-Unis et en partie en Chine et en Corée du Sud.
La diminution de la consommation de carburant qui pourra soit être vendu et être une source de revenu en devises, outre le fait de diminuer la pollution, permettra de faire durer plus longtemps nos réserves pétrolières. Une voiture électrique consomme 3000 kWh par an, pour 20000 km/an. C'est-à -dire l'équivalent de 5000 dinars. 20000 km avec une voiture thermique, avec une moyenne de 7.00/100 km une tonne de carburant, équivaut à 45000 dinars. Le calcul est vite fait pour comprendre les économies faites par les citoyens. C'est donc une solution qui pourrait démarrer cette année avec des voitures importées cette année.
Elles sont prioritaires avant que cela ne se fasse graduellement vers toutes les stations d'essence. Il y a également la possibilité de voir les usagers recharger leurs véhicules à domicile, comme ils le font avec leur téléphone portable. Ils laissent leur voiture se recharger la nuit pour la prendre, avec le «plein» le lendemain matin. Je rappelle qu'actuellement, la recharge d'un véhicule électrique va de 30 minutes jusqu'à 24 h. Dans le futur proche, cela va être réduit à 15 minutes. Les élèves préconisent d'installer dans les nouvelles habitations des espaces de bornes électriques que les automobilistes payent en utilisant leurs cartes bancaires.
Et la place du transport public dans ce plan?
J'y arrive. Sur la base d'une idée, il existe une transsaharienne qui a été démarrée pendant la période du président Boumediene. Pourquoi pas une transsaharienne électrique «verte». Un train électrique à grande vitesse qui doit relier Alger à Tamanrasset en faisant escale dans les grandes villes de la route qui mène de l'extrême nord vers l'extrême sud du pays. D'après leurs calculs, 1925 Km avec un train électrique roulant à 160km à l'heure, la distance sera parcourue en 12h. Jusqu'à Ghardaïa, et même Ouargla c'est déjà prévu d'après Monsieur le ministre des Transports.
C'est à partir de cette wilaya que le problème se pose. Le plan propose alors de mettre en place de petites centrales solaires de 10 à 30 MW pour alimenter ce train. C'est tout à fait faisable. Cela va avoir un aspect économique, environnemental mais aussi social. Car, avec le rail que nous pourrons fabriquer avec le fer de Ghara Djebilet, cela pourrait créer des lieux de vie, notamment entre In Salah et Tamanrasset. 700 km désertique alors que l'eau coule à flots. Si on met de l'électricité, on peut espérer voir de nouvelles villes jaillir du sable. On dit que là où il y a le rail, il y a la vie. Le Sud deviendra graduellement le grenier alimentaire du pays. Cette politique des transports peut faire de notre Sahara une nouvelle Californie... Quand Boumediene annonçait à la face du monde «Kararna ta'emime el mahroukate» (Nous avons décidé souverainement de nationaliser les ressources pétrolières, Ndlr), l'Algérie fut un chantier. Ce fut le Barrage vert. Ce fut le développement du raffinage, de la pétrochimie, Ce fut la transsaharienne, Ce fut les 1000 villages agricoles. À la veille du 52e anniversaire une autre utopie mobilisatrice permettra à l'Algérie de devenir un chantier. La transition énergétique, la Révolution de l'hydrogène vert, la locomotion électrique, la transsaharienne électrique, la plantation d'un milliard d'arbres à croissance rapide sur 10 ans pour contribuer au modèle de consommation seront les moteurs d'un nouveau 24 Février. Ma petite expérience m'a appris que vous pourrez en tirer le meilleur des jeunes quand vous leur parlez vrai; C'est pour nous un devoir et c'est à eux que nous allons confier une Algérie en ordre de marche qui a toutes les ambitions d'émerger par son savoir. Rien n'interdit alors à prétendre faire partie des pays développés dans un monde multipolaire.
Rendez-vous le 4 mars 2023.
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Posté Le : 24/02/2023
Posté par : rachids