Algérie

Chems Eddine Chitour, ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables «Ne ratons pas le train de la révolution énergétique»



Chems Eddine Chitour, ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables
«Ne ratons pas le train de la révolution énergétique»
«Basta ! On ne peut plus continuer ainsi» hurle le professeur Chitour dans l’espoir têtu de secouer les consciences et les réveiller de l’ivresse énergétique. «Le militant des énergies renouvelables» qu’il est, a percé la plaie d’où a jailli le flot fétide de nos tares et nous balance d’amères vérités à la face : avec ce rythme effréné de consommation de l’énergie, nous ne laisserons rien aux futures générations. Il a dévoilé avec maîtrise, dans cet entretien, les grandes lignes de la révolution énergétique qu’il est en train de mener. Mais comme dans toute révolution, des conforts sont dérangés, des enjeux sont bousculés. Le professeur a beau tenter de séduire pour vendre sa révolution, il se trouve face à des montagnes à déplacer et des blocages à contourner venant souvent d’organismes sans ancrage juridique. Mais au final, qu’importe, l’enjeu vaut la chandelle… et toute sa lumière surtout qu’il s’agit de l’avenir du pays.
L'Epression: Les attributions de votre département viennent enfin d'être publiées au Journal officiel. Peut-on, Monsieur le ministre, avoir votre commentaire à ce sujet?
Chems Eddine Chitour: La première chose à dire est que le ministère de la Transition vient à point nommé. Le président de la République a réfléchi pendant près de six mois voyant que le problème de l'énergie n'allait pas dans le bon sens et de ce fait, il fallait donc une rupture. Le ministère est une rupture par rapport au schéma ancien. On a même créé il y a un an, le Ceref, dans des conditions tout à fait extraordinaires, sans ancrage juridique. Le Ceref a pris les attributions d'une agence de l'énergie qu'on appelait l'Aprue, mais il n'a fait que ce qu'il fallait. Ce qui fait que le président a décidé en juin dernier, de mettre en place ce ministère de la Transition énergétique et de le confier, en toute humilité, à un vieux routier de l'énergie. Mon premier ouvrage est sorti en 1992 où je parlais des enjeux de l'an 2000! Et surtout depuis un quart de siècle je n'ai pas arrêté de marteler la nécessité de changer le fusil d'épaule. À telle enseigne que la plupart des personnes qui parlent aujourd'hui d'énergies renouvelables étaient soit mes élèves à l'Ecole polytechnique, soit des gens qui suivaient mes conférences. De ce fait, le mouvement du monde fait que, globalement, les ressources fossiles sont d'une part sur le déclin et d'autre part elles vont être de moins en moins utilisées vu leur impact négatif sur les changements climatiques. Le Giec (Groupement international des études sur les changements climatiques) dit que si on veut maintenir la température au-dessous de 2°, il faut que les deux tiers des énergies fossiles restent en terre. Ce qui fait que dans le monde c'est la sortie en ordre dispersé des énergies fossiles. C'est le cas des grands groupes qui se verdissent. En 2030, Total sera à 40% renouvelable, British Pétroleum devient Beyond Petroleum (au-delà du pétrole)... Le modèle énergétique mondial est toujours autour de 80% fossile, mais il va décliner. De plus en plus on va vers des énergies douces. Il faut comprendre que nous allons être sanctionnés en utilisant le pétrole car la tonne de carbone sera de plus en plus chère. Il nous reste à suivre le chemin des grands pays. C'est-à-dire que cette transition énergétique est un changement de paradigme, cela signifie qu'il ne faut plus réfléchir en termes de rente. Je suis de ceux qui disent que nous n'avons plus d'avenir dans l'Opep des rentiers. Du peu d'énergie fossile qui nous reste, nous devons le réserver à des usages nobles, principalement la pétrochimie. Nous avons un avantage: le gaz naturel étant moins polluant, il est considéré globalement comme une énergie verte. Il faut donc le maintenir le plus longtemps possible car en changeant de fusil d'épaule, nous avons une fenêtre de 10 ans devant nous. Elle doit nous inciter à sortir de l'ébriété énergétique actuelle pour aller vers la sobriété énergétique. C'est là l'un des grands axes des économies d'énergie.

Vous vous occupez des énergies renouvelables, mais avez-vous le droit de regard sur les énergies fossiles?
La transition n'est pas une prérogative de mon ministère. C'est une prérogative horizontale. Tous les départements ministériels sont concernés. C'est un plan Marshall qu'il faut mettre en place avec des missions qui évoluent au fur et à mesure. On ira stape by stape. La première mission est d'abord et avant tout de rationaliser la consommation. Nous avons le devoir d'expliquer au citoyen qu'on ne peut pas continuer ainsi, qu'il y a du gaspillage, il va falloir moraliser cette consommation, consommer au plus juste. Je vous donne un exemple: l'Algérie consomme 800 millions de mètres cubes de gaz en une semaine, l'équivalent de 200 millions de dollars. Notre consommation est en train de devenir incontrôlable. Il faut ajouter à cela deux facteurs: la démographie, nous sommes actuellement à près de 45 millions d'habitants et nous consommons 1500 KW/ par habitant / par an. C'est la moyenne, celui qui est dans une tente au Sud ne consomme rien. Notre consommation en pétrole dans l'année est d'environ 60 millions de tonnes et nous polluons pour environ 160 millions de tonnes de CO2. Pouvons-nous continuer ainsi. Avec cette vitesse de consommation, nous aurons un sérieux problème avant la fin de 2030. Nous serons amenés à choisir, soit exporter soit consommer. L'Algérie étant toujours mono-exportatrice, ce sera difficile pour elle, dans un monde où la charité n'existe pas. Ce sont ceux-là les problèmes structurels qui nous guettent. Il faut donc expliquer aux citoyens que nous avons une responsabilité pour les générations futures car à ce rythme nous ne leurs laisseront rien des maigres ressources qui nous restent. Nous avons à peu près 2500 milliards de mètres cubes de gaz, nous avons environ 12 milliards de barils de pétrole. Il n'en restera rien dans les 20 prochaines années. En 2030 nous serons 55 millions d'Algériens avec une demande de niveau de vie élevé, mais nous ne donnons rien en échange, nous sommes toujours dans la mentalité de la rente.
Nous gérons sous tension. L'actuel gouvernement a fait une rupture avec les anciennes pratiques.
Il faut moraliser la consommation. Naturellement, il faut protéger les couches les plus vulnérables, mais il faut savoir que 80% des subventions vont aux plus riches. Il faut revoir tout cela, mais on ne peut pas le faire sans une explication pédagogique. On doit expliquer que le mètre cube d'eau revient à l'Etat 50 DA, ce qui est payé 8 DA par le citoyen. Comment garantir une quantité d'eau respectable à chaque Algérien et en lui demandant de faire l‘effort de ne pas gaspiller. Il faut faire le point dans le calme et en toute sérénité. Ce n'est pas demain qu'on trouvera un autre Hassi Messaoud.
Oui, mais il y a ceux qui disent que cette peur d'épuisement des énergies fossiles, peut être atténuée par le gaz et le pétrole de schiste.
Scientifiquement, je veux bien croire ce qu'on nous révèle comme chiffres, mais je suis dubitatif, des études faites par le département of energy américain, font état de 27 000 milliards de mètres cubes de gaz et de quantités appréciables de pétrole de schiste, mais cette technologie nous amène à faire un choix contraignant. Pour drainer le gaz dans la roche fracturée, il faut des produits chimiques parfois très nocifs. Il y a de grands risques de polluer la nappe albienne qui est de 45.0000 milliards de mettre cubes. Une étude a été faite par le Sénat américain sur le gaz de schiste. Ils ont fait un listing des 2 000 produits chimiques utilisés dont ils ont donné le listing et l'étude conclut: « Les compagnies pétrolières ne nous ont pas tout dit au nom du secret professionnel.» Ce qui veut dire qu'il y a des produits chimiques très dangereux. Il est vrai que les technologies ont évolué. Il va falloir choisir entre l'eau et le gaz. On oublie souvent de dire que le Sahara est un éco système, il y a une faune, une flore et des citoyens que nous ne devons pas perturber. Cela dit, je ne suis pas un têtu, si la technologie est respectueuse de l'environnement, c'est une immense manne que nous avons. Dans tous les cas de figure il faut sortir de cette mentalité de rentiers. La première chose à faire c'est de rationaliser la consommation de l'énergie et c'est la philosophie même de ce ministère de la Transition énergétique qui ne peut pas tout faire, mais on nous donne la possibilité de faire quelque chose. Il y a une immense campagne de pédagogie à mener envers le citoyen pour lui exposer la réalité crue.
Justement, cette efficacité énergétique concerne plusieurs acteurs, avez-vous pris contact, travaillé avec vos collègues des autres ministères?
J'ai mon bâton de pèlerin pour expliquer ce que nous voulons faire. J'ai commencé avec le ministère de l'Habitat. Nous avons 8 millions de logements qui sont globalement des passoires en énergies. Nous sommes à peu près dans un cas similaire à celui d'une personne qui perd son sang. Que faut-il faire dans ce cas? Il faut un garrot pour stopper l'hémorragie. Ainsi, toutes les nouvelles constructions doivent obéir à un nouveau cahier des charges pour économiser de l'énergie avec le choix des matériaux, le double vitrage, l'épaisseur de la chape, l'isolation..., bref, on essayera de faire en sorte que les ponts thermiques disparaissent.
Au final, il y aura un diagnostic énergétique, une sorte d'audit, avant de délivrer un certificat de conformité. Cela, tout en indiquant ce qu'il faut réparer, comment réparer et chez qui réparer. De la sorte il y aura une multitude d'entreprises et de métiers qui vont se créer. Dans ce sens j'ai la ministre de la Formation professionnelle et on a convenu d'introduire de nouveaux métiers. Autant de métiers de création de richesse et d'emplois pour les jeunes. J'ajoute à e sujet que l'Etat a consenti la même aide aux citoyens désirant installer des chauffe-eau solaires. L'Etat paye 50% de l'installation et nous on est en train de mettre en place des mécanismes pour créer cette industrie du chauffe-eau solaire. Ce dernier a été choisi, il est en train d'être homologué et avec le ministère de l'Industrie on fera un appel d'offres à manifestation d'intérêt. On va créer des entreprises de chauffe-eau solaires. Il y aura un plan chauffe-eau- solaires. Il va coûter autour de 130 000 DA et l'Etat va prendre en charge 50%. Encore une fois l'Etat se fera rembourser par le gaz naturel non consommé. C'est avec de pareilles mesures, aussi petites soient-elles, mais additionnées, qui permettront d'économiser du gaz naturel aux générations futures.
Là vous parlez des nouvelles constructions et que faire alors du vieux bâti?
Justement, nous allons trouver des mécanismes pour aider les locataires à économiser l'énergie. En moyenne, un logement algérien c'est 200 Kw par mètre carré et par an, c'est l'équivalent de 200 kilos de pétrole, cela représente 16 millions de tonnes de pétrole. Plus encore, j'ai tenu une réunion avec le ministre des Affaires religieuses. D'abord, la symbolique est très importante dans la mesure où notre religion, l'Islam, nous incite à ne pas gaspiller. «Les gaspilleurs sont les frères du diable.» Donc, il faut donner l'exemple et je ne trouve pas meilleur exemple que celui de nos mosquées. Hélas, le constat est que ces mosquées sont des passoires au plan énergétique, d'autant que la consommation est payée par les APC sachant qu'il y a 18 000 mosquées à travers le pays. Il faut reconvertir ces moquées au vert en les équipant entièrement en panneaux solaires, de lampes Led.... Et je pense aux donateurs qui doivent intégrer cet élément de l'économie énergétique, notamment dans le choix des matériaux servant à la construction de ces lieux de culte. On a convenu avec le ministre de l'Habitat de construire une mosquée verte à Sidi Abdellah. Le président de la République avait déjà attribué le terrain. Cette mosquée sera un exemple en la matière. Donc chaque mosquée doit se sentir concernée au même titre d'ailleurs que les habitations du ministère des Affaires religieuses.
Vous avez détaillé pour le secteur de l'habitat, mais celui des transports est aussi un élément déterminant dans cette stratégie
Vous faites bien d'insister là-dessus. Le modèle énergétique algérien est un modèle social, pour ne pas dire bizarre. 40% de transport, 25% habitat, 15% résidentiel et tertiaire et à peine 20% pour l'agriculture et l'industrie. Ce qui veut dire que globalement, ce modèle est totalement perverti puisqu'il ne crée pas de richesse, mis à part le secteur agricole qu'il faut saluer et qui produit l'équivalent de 25 milliards de dollars de richesse par an. Le deuxième grand projet est le transport. Nous avons 6 millions de véhicules tous types confondus dans le pays (camions, tracteurs, bus, véhicules touristiques..., ce qui est très peu quand on sait qu'il y a en Algérie 46 millions d'habitants. Il y a environ 3.5 millions de véhicules particuliers dont les 2/3 roulent à l'essence et le reste au diesel et tout le parc des véhicules lourds fonctionne au diesel. Bref, nous consommons 17 millions de tonnes de carburant. Nous produisons en moyenne 15 millions de tonnes, les deux millions restants sont importés à raison de deux milliards de dollars. Tout compte fait, on achète de l'essence à 8 dollars la tonne, on achète du diesel à .8 dollars, soit l'équivalent de 110 DA et nous le vendons à 29 DA. Cela s'appelle un bradage et estimez cette perte sèche. C'est pour vous souligner les tares d'un modèle énergétique dépassé. Et là c'est un sérieux problème. Pouvons-nous continuer de cette façon? Tout revient à la politique des prix. Nous sommes l'un des rares pays où les carburants sont bradés. Chez nos voisins marocains et tunisiens, les carburants coûtent plus cher que chez-nous, même au Mali d'ailleurs, où il coûte 1 dollar le litre. Plus grave encore, une grande partie des carburants que nous importons est exportée gratuitement à travers les frontières. La Banque mondiale a dit que 25% des carburants tunisiens viennent d'Algérie, naturellement gratuitement.
Que faut-il faire alors pour réussir cette transition?
C'et à la fois simple et difficile. Il faut mettre le doigt là où ça fait mal, c'est-à-dire revoir la politique de subvention des carburants. Imaginez un citoyen possédant un 4/4 qui consomme 20litres/100 kilomètres. L'Etat lui donne une rente, puisque au lieu de payer 100.000 DA par année, il n'en payera que 25.000 DA. L'Etat donne aussi une rente à celui qui roule avec une Maruti qui consomme 5litres/100km. Et celui qui n'a rien, il ne reçoit rien! Ce n'est pas juste. Ce citoyen a besoin d'une politique des transports. Une ligne de bus réguliers, un métro, un tram, des accommodements, la possibilité de prendre le vélo, etc. Tout ceci est à notre portée pour qu'on ait une vraie politique des transports et de l'économie.
Il faut ajouter que les carburants fossiles sont en déclin de par le monde du fait de la révolution électrique qui se met en place. Le tour est à la locomotion électrique.
Le président de la République a décidé qu'il faut tout faire pour ne rien importer en 2021. Une décision qui n'est pas du tout facile à mettre en oeuvre. On s'est dit alors, nous avons le GPL (le sirghaz), l'équivalent de 8 millions de tonnes que nous vendons à raison de 400 dollars la tonne. Nous allons essayer de substituer l'essence, que nous importons, par le Sirghaz que nous produisons et c'est ce que nous sommes en train de faire. Cette année, nous sommes à environ 90.000 voitures d'essence qui ont été converties au sirghaz et nous ambitionnons d'atteindre le chiffre de 200.000 voitures en 2021. Pour cela on a commencé par le parc véhicules de l'Etat, qui doit bien sûr donner l'exemple. Les véhicules de l'Etat doivent passer au GPL. J'ai maintenant le listing de tous les départements ministériels et on aura l'état des lieux dans les semaines à venir sur l'état d'avancement de cette conversion et je ferai un rapport au gouvernement. Pour citer un exemple, les véhicules du ministère de la Santé sont à 60% de reconversion au sirghaz, mais il n'y en aura pas de l'Etat, le citoyen aussi est concerné par cette démarche. À ce titre, il faut noter que l'Etat soutient à raison de 50% le kit. Donc, le citoyen n'aura à payer que 50% pour l'installation de sa cuve GPL l'équivalent de 40.000 DA et au prix actuel, il rentre dans ses sous au bout de 15 mois et l'Etat se fait rembourser par l'essence qui n'est pas importée.
Il y a ce plan sirghaz que vous venez de décliner certes, mais il ne règle pas tout. Le problème du diesel vous restera sur les bras...
En effet pour le problème du diesel nous n'avons pas de kits comme c'est le cas pour le GNL. On s'est alors rapproché des pays qui le faisaient (la Turquie, l'Italie et la Pologne). Nous avons importé difficilement 50 kits qui fonctionnent au fioul et au GPL. Grace aux ingénieurs de l'Etusa. Nous attendons l'homologation au niveau des Mines. Et on aura des bus qui roulent au sirghaz, c'est une première depuis l'Algérie indépendante. Les Algériens ont créé la possibilité de s'en sortir de la rente. L'année prochaine on commencera avec 50.000 engins ce qui représente 150.000 à 200.000 tonnes de diesel économisées.
Résumons-nous: le modèle classique essence-gasoil, il faut qu'on en sorte: Première initiative GPL pour l'essence, deuxième initiative, kits GPL pour le diesel fioul, troisième initiative, le GNC (gaz naturel carburant). Nous pensons remettre en route la station de GNC à Rouiba, la seule en Algérie et nous attendons l'arrivée de techniciens allemands. Enfin, la dernière initiative est la voiture électrique. C'est un grand dossier que j'ai discuté avec mon collègue, le ministre de l'Industrie. Le monde s'oriente vers la locomotion électrique et aussi vers les véhicules à hydrogène. Je suis de ceux qui pensent que les efforts que fait l'Algérie sont importants. Elle doit prendre le train de la révolution électrique. Pour ce faire, on doit introduire graduellement le véhicule électrique, en d'autres termes, s'investir dans les véhicules thermiques ce n'est peut- être pas la seule solution. Dans le cahier d'appel d'offres, il est prévu la possibilité d'installation d'usines de véhicules électriques. Peut-être pas électriques, à 100%, on peut penser dans un premier temps à un véhicule hybride car nous n'avons pas tout à fait encore une politique de rechange. Bref, c'est un autre chantier à ouvrir car il nous permet de sortir des énergies fossiles. Si seulement avec les deux milliards de dollars qu'on importe en essence, on peur faire beaucoup au plan de l'industrie électrique et même une transsaharienne électrique. C'est ce qu'on appelle les technologies de rupture. Il y a un train à prendre et l'Algérie ne doit pas le rater.
Vous voulez dire que le moteur thermique c'est terminé?
Exact. Le thermique c'est terminé. Aujourd'hui, c'est un combat d'arrière- garde que de parler de quotas d'importation de véhicules, de véhicules de moins de trois ans etc..., tous ça c'est le XXe siècle, nous sommes au XXIe siècle, celui de la voiture télécommandée, de la voiture autonome, dans le siècle de l'Internet, de l'énergie dont fait partie la voiture. Le futur ce n'est plus celui des centrales électriques massives de 1000 mégawatts. Il faut avoir des bâtiments à énergie positive, il faut que chaque citoyen ait le bilan énergétique de sa maison, on doit chercher l'optimum, aller vers les panneaux solaires. C'est tout ça qu'il faut expliquer.
Nous allons ramener quatre bornes électriques et nous allons tout faire pour avoir quelques véhicules électriques et les faire tourner à Alger pour montrer la faisabilité. Nous allons installer une borne électrique au niveau du Premier ministère, le Premier ministre donnera l'exemple, une autre au ministère de la Transition énergétique avec mon collègue de l'Energie, une au ministère des Transports, pour montrer aux citoyen et on lui explique qu'un plein en électricité est quatre fois moins cher. Non seulement elle ne pollue pas, ça nous permet également, de respecter nos engagements climatiques en termes de pollution. Nous sommes en train de faire ces jours-ci le livre blanc où l'Algérie montrera au monde les dégâts que nous avons subis en raison du dérèglement climatique (Bab El Oued, Illizi, Béchar, Tamanrasset, Ghardaïa etc.) et nous allons leur montrer les efforts qu'elle fait et parmi ces efforts on cite notre volonté d'aller vers cette technologie de la voiture électrique. Et voilà comment nous souhaitons être accompagnés. C'est tout le gouvernement algérien qui a travaillé comme un seul homme pour réaliser ce livre blanc. Douze ministères et quatre grandes agences ont participé à sa confection. Nous allons leur dire puisque c'est vous qui polluez, qu'est-ce que vous mous donnez en retour. L'Algérie scientifique, l'Algérie de l'après-Hirak est de retour. Il y a 15 professeurs dans ce gouvernement. Le deuxième grand chantier est de mettre en place des centres d'énergie éolienne, géothermique.
Monsieur le ministre, on relève que vous n'intégrez pas dans votre stratégie les grands projets annoncés en grande pompe comme par exemple Desertec, Tera Solar. Pourquoi?
Desertec était un immense projet qui concernait plusieurs pays dont le Maroc, l'Egypte et l'Algérie pour produire 30% de l'électricité européenne. Le montant du projet a été évalué à 400 milliards de dollars. Personne n'a voulu le financer pour une question de rentabilité, sachant que l'électricité produite doit être transportée vers l'Europe et c'est un autre grand coût. Avec le temps, Desertec est devenu une sorte de grand bureau d'études qui accompagne des pays dans certains choix stratégiques. Concernant Tera Solar, le grand problème c'est qu'ils font plus dans la publicité que dans la réalité. On les a reçus, on a discuté avec eux, mais nous attendons qu'ils soumissionnent quand l'appel d'offres paraîtra au début de 2021. Tout le monde est au même niveau.
Et qu'en est-il des projets d'état à état. Plusieurs pays à la pointe de ces technologies sont intéressés, on cite la Chine et l'Allemagne?
La, c'est un autre aspect du problème. Sauf quand ce sont des partenariats d'exception. C'est ce que nous ferons avec la Chine notamment, surtout que nous sommes dans la «Ceinture de la route de la soie». Les Chinois veulent faire du port de Hamdania un portail d'accès pour leurs marchandises vers l'Afrique. Nous leurs disons la chose suivante: «Vous voulez que vos marchandises traversent l'Algérie vers l'Afrique, alors mettons une transsaharienne électrique!» Pour nous, c'est une artère d'irrigation solaire et nous allons créer des villes nouvelles. De Tamanrasset à In Salah il y a un pipe d'eau, on peut créer des lieux de vie en mettant, en place de petites unités solaires. Il y a beaucoup à faire dans notre Sud en termes de grands projets. On doit penser à un Snat pour le Sud. (Schéma national d'aménagement du territoire). Le Sahara est notre immense chance.
La «philosophie énergétique» doit être revue pas uniquement au Sud, mais sur tout le territoire national.
C'est exact. Le directeur de l'énergie de la wilaya n'est pas là pour comptabiliser le mètre cube d'essence, c'est un monsieur qui doit arpenter sa wilaya pour dénicher les sources d'énergie de sa wilaya. Il faut que chaque wilaya prenne des initiatives. Nous allons former avec l'Institut de la transition énergétique et des énergies renouvelables (Iter) de Sidi Abdellah, des cadres capables de réfléchir à tout cela et dans chaque wilaya pour impulser une nouvelle vision d'énergie à l'échelle du pays. Le ministère de la Transition énergétique a pour vocation d'aider à mettre en place des mécanismes et chaque département ministériel a sa propre partition, c'est pour ça que nous devons avoir un «monsieur énergie» dans chaque ministère, qui sera un interlocuteur.
Nous sommes réellement au coeur d'une révolution qu'il faut savoir vendre, mais cela créera des réticences et parfois même des blocages. N'est-ce pas?
L'essentiel est d'être de bonne foi. Nous allons confier cette Algérie à une élite que nous allons former dans le cadre de cette Algérie nouvelle. Ce n'est plus un problème d'idéologie, c'est un problème de savoir. Il nous faut un Hirak technologique, un Hirak du savoir. Nous faisons ce que nous pouvons, mais il faut qu'il y ait une autre équipe. Travailler 15 heures par jour c'est crevant, mais c’est pour la bonne cause, c'est l'Algérie du futur.
L'idéologie est de moins en moins prégnante dans un monde qui ne fait pas de cadeaux. C'est le monde du Web 2.0. Il faut que l'Algérie reste dans ce nouveau train et il n'y a que le savoir qui doit nous sauver. Il faut former des gens qui sont fiers de leur pays. Tout ce que je viens de vous citer sont des chantiers que nous ouvrons. Peut-être qu'il y aura un nouveau ministère, mais mon voeu le plus cher c'est que cette transition énergétique soit irréversible quel que soit celui qui la dirigera. J'aurai fait ce que je devrai faire en tant que professionnel qui a donné toute sa vie pour son pays.

Brahim TAKHEROUBT

Publié par le quotidien l’expression le 10-12-2020



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