Algérie

Cheikh Raymond



Cheikh Raymond
Né Raymond Raoul Leyris le 27 juillet 1912 à Constantine et mort assassiné le 22 juin 1961 à Constantine, est un chanteur arabophone et oudiste juif d'Algérie.

Maître de la musique arabo-andalouse, juif chantant en arabe1, il est respecté aussi bien par les Juifs que par les musulmans d'Algérie, qui l'appellent dès le milieu des années 1930 « Cheikh Raymond » en signe de respect2.

Biographie
Fils illégitime d'un commerçant juif3 originaire de Batna et d'une mère chrétienne, il est abandonné par cette dernière, après la mort en 1915 de son père durant la Première Guerre mondiale. Il est adopté par une famille juive très pauvre4,5,6 et élevé dans l'observance hébraïque3.

Il apprend le malouf grâce aux Cheikhs Omar Chaklab et Abdelkrim Bestandji5. Il se produit durant des fêtes familiales, juives ou musulmanes, et dans des concerts ; il bénéficie d'une émission hebdomadaire à la radio et d'une émission régulière à la télévision2. Cheikh Raymond enregistre une trentaine de 33 tours entre 1956 et 1961 en plus de nombreux 78 tours5. Son orchestre compte alors Nathan Bentari, Haïm Benbala, Larbi Belamri, Abdelhak, mais aussi le violoniste Sylvain Ghrenassia et le fils de ce dernier, Gaston, guitariste qui épouse plus tard sa fille Suzy et devient célèbre sous le nom d'Enrico Macias6,7.

Il est abattu d'une balle dans la nuque, le 22 juin 1961, au souk El Acer de Constantine7, place Négrier, sous les yeux de sa fille4 Viviane et du jeune Paul Amar :

« Il incarne la société rêvée, où les hommes s'enrichissent de leurs différences. Il s'entête d'ailleurs à donner des concerts, en pleine guerre, et à rassembler les uns et les autres dans une même ferveur. Je vois, enfant, des hommes pleurer, émus et attendris par ses mélopées. Et je pleure aussi, mais pour une autre raison, le jour où cet homme tombe sous mes yeux. Abattu de deux balles en plein jour, place du marché. J'ai dix ans. Je suis à quelques mètres de lui quand les coups de feu sont tirés. Raymond s'écroule et je reste près de lui, figé, tétanisé. Je comprends ce jour-là que le monde n'est pas innocent. « Ils » ont tué l'artiste et plus encore « l'homme de paix ». « Ils » rendent dès lors impossible tout espoir de réconciliation. »

— Paul Amar dans Blessures8

Sa mort est perçue comme un avertissement pour la communauté juive constantinoise et marque le début de son émigration (dont sa fille Suzy et son gendre Gaston)4,7. L'assassinat n'a jamais été revendiqué7 et aucun témoignage direct ou indirect ne l'a expliqué3. Abed Charef du site Algérie-Focus affirme qu'un certain Amar Benachour (dit M'Djaker) serait la personne ayant abattu Cheikh Raymond, en raison du soutien actif de ce dernier à l'Algérie française9 :

« Les anciens moudjahidine de la wilaya II, qui étaient opérationnels à ce moment-là, sont toutefois formels : aucune instance du FLN n'a prononcé un verdict clair contre Raymond Leyris. Aucun responsable n'a, formellement, ordonné une exécution. Mais le doute planait, et dans le Constantine de l'époque, ce n'est qu'une question de temps. Le 22 juin 1961, neuf mois avant le cessez-le-feu, Raymond Leyris croise Amar Benachour, dit M'Djaker, membre d'une cellule locale de fidayine, qui l'abat en plein marché, devant des dizaines de témoins. La personnalité de Amar Benachour, l'homme qui a abattu Raymond Leyris, posera aussi problème. Il s'agit en effet d'un personnage qui répond peu au profil traditionnel du moudjahid. Benachour est plutôt un marginal, plus branché sur le « milieu » que sur les réseaux nationalistes. Ce qui a d'ailleurs jeté une ombre sur l'affaire : Benachour a vécu jusqu'au début du nouveau siècle, mais l'opération qu'il a menée a toujours été entourée de suspicion, certains n'hésitant pas à parler de provocation ou de manipulation. Plusieurs moudjahidine qui étaient dans la région au moment des faits continuent d'ailleurs à soutenir l'idée d'une manipulation. »

— Abed Charef

Selon Bertrand Dicale, biographe de Cheikh Raymond, seule l'ouverture des archives du FLN pourrait l'élucider3.

Héritage
La musique de Cheikh Raymond est préservée grâce à l'action de son fils Jacques Leyris, d'Enrico Macias et du professeur Raphaël Draï10 qui, dans les années 1970, est le premier à faire revivre sa mémoire11. Le musicien et musicologue Taoufik Bestandji, petit-fils du Cheikh Abdelkrim Bestandji, a par ailleurs étudié ses enregistrements conservés par son père10.

En 1999, Enrico Macias lui rend hommage sur scène3, au Centre culturel algérien de Paris et au Printemps de Bourges, avec un orchestre mené par Taoufik Bestandji12. La même année, Denis Amar l'évoque dans le documentaire Dans le monde pied-noir13, notamment à travers le témoignage de ses filles racontant la disparition de leur père ; Enrico Macias y décrit également son adolescence au sein de son orchestre11. En 2004, il lui consacre un album hommage7.

En 2011, Bertrand Dicale publie une biographie de Cheikh Raymond, complétée par une anthologie de ses morceaux sortie par Universal7,1, le principal enregistrement disponible jusque-là étant celui d'un concert donné en 1954 à l'Université populaire de Constantine, sorti en 1994 sur le label Al Sur3.

Références
Bertrand Dicale, « Cheikh Raymond - Une histoire algérienne » [archive], sur cfmj.fr (consulté le 14 février 2019).
François Bensignor, « Cheikh Raymond Leyris : la renaissance d'un maître du malouf », Hommes et migrations, no 1185,‎ mars 1995, p. 58-59 (ISSN 0223-3290, lire en ligne [archive], consulté le 14 février 2019).
François-Xavier Gomez, « Cheikh Raymond, Constantine noble » [archive], sur next.liberation.fr, 17 octobre 2011 (consulté le 14 février 2019).
Jean-Luc Allouche, « Dans un nouveau CD resurgit la magie du chanteur algérien assassiné en 1961. Raymond, chœur de Constantine » [archive], sur liberation.fr, 14 juillet 1998 (consulté le 14 février 2019).
Rabah Mezouane, « Un livre sur Cheikh Raymond »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur mondomix.com, 20 novembre 2011.
« Cheikh Raymond Leyris » [archive] [PDF], sur lehall.com (consulté le 14 février 2019).
Francis Dordor, « Cheikh Raymond : tragique et magique » [archive], sur lesinrocks.com, 16 mars 2012 (consulté le 14 février 2019).
Paul Amar, Blessures, Paris, Tallandier, 2014, 287 p. (ISBN 979-10-210-0665-2).
Abed Charef, « Enrico Macias et la guerre d'Algérie : quand Gaston chassait du fellaga... » [archive], sur algerie-focus.com, 2 octobre 2011 (consulté le 11 février 2019).
Bruno Étienne et Raphaël Draï, « Le non-voyage d'Enrico Macias en Algérie », La Pensée de midi, nos 2009/4 (hors série),‎ 2009, p. 115-122 (lire en ligne [archive], consulté le 14 février 2019).
Abdi Nidam, « Cheikh Raymond, le martyr du Maalouf. L'assassinat du chanteur constantinois en 1961 évoqué par ses proches » [archive], sur liberation.fr, 5 février 2000 (consulté le 14 février 2019).
Hélène Hazera et Jean-Luc Allouche, « Musique. Le Centre culturel algérien rendait hommage au maître du malouf. Cheikh Raymond, mémoire d'Algérie » [archive], sur liberation.fr, 19 mars 1999 (consulté le 14 février 2019).
« Dans le monde pied-noir », film de Denis Amar, Image et Compagnie, Boulogne-Billancourt, 1999.
Bibliographie
Arezki Ait Larbi, « Constantine se souvient de sa communauté juive », Le Figaro,‎ 5 décembre 2007 (ISSN 0182-5852, lire en ligne [archive], consulté le 10 novembre 2022).
Bertrand Dicale, Cheikh Raymond, une histoire algérienne, Paris, First, 2011, 293 p. (ISBN 978-2-7540-2233-0).


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