Algérie

Cheikh MOHAMMED BOUALI



Cheikh MOHAMMED BOUALI
Photo au siège de la SLAM


Né le 10 Février 1917 dans le vieux quartier de Rhiba à Tlemcen, au sein d'une famille de propriétaires terriens, et fils du professeur Si Ghaouti Bouali, enseignant à la médersa et auteur de plusieurs ouvrages sur la théologie, la métrique et la musique dont le plus connu est Kitab Kachf el kinaâ an alata samaâ (1904), Mohammed Bouali appartient à coup sûr à cette race de seigneurs.
Pour mon ami Kamal Malti évoquer le lieu de naissance du grand maître, ce n'est pas pour sacrifier au règles de la notice biographique, mais pour rappeler le rôle capital joué par les forces populaires à Tlemcen, comme dans d'autres métropoles culturelles du pays dans la défense et l'illustration de la musique classique algérienne.
Opérant une rupture radicale avec l'attitude d'esprit visant à entretenir la confusion entre bourgeoisisme et citadinité, l'organisation d'un tel hommage participe pleinement à la reconnaissance du caractère populaire de cette musique. Car l'on a tendance, un peu trop souvent à mon sens, à oublier que ceux qui ont le plus aimé et qui ont contribué à son développement à travers ce genre authentiquement populaire qu'est le haouzi, ce sont des travailleurs des villes, des tisserands en particulier, soutiendra Kamal Malti, que leur longue familiarité avec les couleurs, leurs nuances, leurs compositions, préparait à l'art subtile de l'écriture textuelle et musicale.
Mohammed Bouali a eu la chance de bénéficier de cet appui de toute une ville où l' andalou avait ses racines anciennes, profondes, multiples.
La deuxième raison objective à l'origine d'une préoccupation qui deviendra un véritable sacerdoce pour le jeune Bouali s'est présentée en la personne de son père autant musicologue qu'excellent musicien. Pour Kamal Malti, Si Ghaouti, mort alors que son fils n'avait que 17 ans, a réuni en lui tous les traits du fqih classique : il fut professeur à la Médersa de Tlemcen, et à ce titre versé dans des disciplines aussi diverses que la grammaire, le droit musulman, la théologie. Mais c'est en tant que musicien qu'il a pu orienter les goûts de son fils : la musique, il ne se contentait pas de la pratiquer, il en a fait la première étude théorique qui a paru à la Librairie Jordan en 1904 sous le titre : Kitab Kachf el'kinaâ an alata es'samaâ, bien avant Rouanet, dont l'étude dans l'Encyclopédie de Lavignac s'est d'ailleurs largement inspirée du travail de si Ghaouti Bouali et des informations que ce dernier lui avait fournies.
Kitab Kachfel'kinaâ an alata es'samaâ (un titre qui assimile à merveille la musique à une belle femme dont on libère la belle et longue chevelure) proposait, en son temps, une description précise de la musique classique algérienne et des analyses de mouvements (en particulier de la nouba ghrib).
Pourtant, selon certaines sources proches de la famille, Si Ghaouti Bouali interdisait à son fils la pratique instrumentale, et c'est donc en cachette que le fils unique s'adonne à sa muse préférée, parallèlement à des études primaires et secondaires sanctionnées par un diplôme de comptable.
A la mort de son père Mohammed Bouali subissait déjà l'influence, ô combien bénéfique, de la vie musicale tlémcenienne dominée, naguère, par les cheikhs Omar Bekhchi, Larbi Bensari, Mohammed Dali Yahia, Ghouti Kazi et bien d’autres encore. Et ce n'est pas sans raison qu'il en gardait des souvenirs impérissables, particulièrement de Omar Bekhchi qui le marquera à jamais par sa disponibilité, son affabilité, sa générosité et surtout sa pleine sollicitude pour les jeunes musiciens chez qui il pressentait d'heureuses dispositions et à qui il n’a jamais refusé la communication de ses trésors musicaux.
C'est grâce au luth tant convoité de son père qu'il s'initiera au premières touchiates qui lui tenaient le plus à cœur.
En septembre 1934, alors qu'il n'avait que 17 ans, il fonda avec son cousin Anouar Soulimane et ses amis Mustapha Belkhodja, Abdelmadjid Bendimerad et Mohammed Hadj Slimane « la Société littéraire, artistique et musicale (SLAM) », au sein même du Cercle « Les Jeunes Algériens », une véritable institution culturelle et nationaliste dont la mise sur pied remonte à l'année 1904 avec pour objectif notamment, de proposer à cette frange de la population, la connaissance de son passé et de sa culture.





Cheikh Omar Bekhchi est le plus naturellement sollicité pour dispenser des cours à une génération où se distinguaient, par ailleurs, Djillali Karadja, artiste tisserand autant que virtuose de la kouitra, et surtout Mustapha Belkhodja dont personne n'a oublié, même de nos jours, ni le violon vibrant, passionné chatoyant ni le rebeb auquel il arrivait à faire rendre les sonorités de l’alto.
Si l'apport, par la suite, de Si Ghaouti Kazi sera des plus indéniables, les sociétaires de la SLAM profiteront pleinement des concerts donnés, entre 18 et 22 heures, au café Hadj Allal par Cheikh Larbi Bensari. Ce qui permettra à Mohammed Bouali de constituer son répertoire classique et de haouzi et s'enorgueillir de posséder pas moins de 820 airs de musique traditionnelle.
Mais Mohammed Bouali ne s'est pas contenté d'être un héritier fidèle. Il a su, de l'avis même de nombreux connaisseurs avec à leur tête mon ami Kamal Malti, enrichir l'héritage et surtout il a su le transmettre.
Il peut sembler paradoxal de parler d'ouverture en ce qui concerne cet ensemble scellé qu'est la musique classique. Mais Mohammed Bouali a su d'abord libérer les trésors enfouis dans les mémoires jalouses, mettre à la disposition de tous des touchiates (comme la touchia « sika » ou le bachraf « h'sine ») ou des mélodies (un exemple - mais on pourrait citer des dizaines soutient Kamal Malti la deuxième strophe et la mélodie correspondante du mecedder "h’sine : "nessim er'roudhi fah"). Il a également tenté - selon une tradition ancienne à Tlemcen- rapporte la même source, d'acclimater des mélodies algéroises, ya moudhaï, par exemple, dont il a fait un derdj de la nouba "raml'âchia" ou marocaines (notamment dans les mouvements rapides du khlass).
Après la fermeture du siège du cercle « Les Jeunes Algériens » par l'administration coloniale à la suite d'un attentat commis non loin du café Hadj Allal en 1955 et la destruction, en guise de représailles, de ses instruments de musique, la SLAM cesse ses activités.
Sitôt l'indépendance acquise, Mohammed Bouali créera en 1964, sous l’égide de la municipalité de Tlemcen et avec la complicité bienveillante de Si Mohammed Benosmane, l'encourageant dans cette entreprise et lui associant Djelloul Benkalfate, Sid Ahmed Triqui, Omar Médeghri, une nouvelle société musicale plus connue sous le nom de Gharnata de Tlemcen.
Son perfectionnisme et son refus de l'approximation dans la communication du patrimoine allaient, deux ans plus tard, le mettre en conflit avec les autres membres fondateurs de la société musicale. Ce qui eut pour effet immédiat de lui permettre de renouer avec ses anciennes amours, grâce à la relance des activités de la SLAM, une association qui remportera haut la main, en 1967, le 1er Prix et la Médaille d'or du 1er Festival national de musique andalouse d'Alger, et qu'il dirigera jusqu'en 1986, date à laquelle il prit la décision de se retirer pour laisser, comme il se plaît à le souligner, la place aux jeunes.




Mohammed Bouali, enfin, était pour tous les connaisseurs un excellent professeur de musique. Tous ceux, élèves de la SLAM, hôtes de passage ayant assisté à ses cours ou à ses concerts, savent à quel point il est exigeant en matière d'accord, de respect des rythmes et des spécificités des modes, la sainte horreur qu'il avait de la facilité et du verbiage sonore.
N'hésitant pas à l'occasion à remettre en question l'interprétation des grandes maîtres, il a fixé les airs, analysé et aéré les touchiates pour transmettre un héritage classique épuré, ordonné, clarifié.
Les travaux de recherche initiés par ses soins lui ont permis de classer toutes les noubates et surtout, confiait-t-il, non sans une certaine humilité, de mettre au point de nombreux morceaux inconnus jusqu'alors.
Le retour au bercail de son fils cadet Abdellah l'encouragea à reprendre ses activités à la SLAM ou anciens et nouveaux élèves profitèrent pleinement d'un enseignement susceptible de leur permettre de reprendre dignement le flambeau pour précipiter la mise à mort de la culture de l'oubli et réhabiliter, comme il se doit, la culture citadine.



Décédé en 1998, Cheikh Mohammed Bouali a laissé une progéniture « musicale » prolifique dont nombreux président aux destinées de certaines associations de la ville, ce qui est un gage d’une pérennité assurée de l’école tlemcénienne.





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