Algérie

Cheikh Mohamed Tahar Mémoire des arts lyriques modernes algériens



Cheikh Mohamed Tahar Mémoire des arts lyriques modernes algériens
Publié le 07.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

En sa qualité de membre de l'OCFLN, en 1957, et ses frères d'El Masrah, il imprégnait des évènements de Novembre-1954, sous le joug colonial.
Musicologue, violoniste, violoncelliste, luthiste, pianiste, chanteur, parolier, compositeur et comédien.

Par Abbou Aek Dadi*

Il vient de tirer sa révérence, hautement, et fièrement, en silence, mon grand ami, mon grand frère, celui qui m'adopta à l'art, si cher aux connaisseurs du précepte lyrique universel. L'indomptable, l'incomparable chef d'orchestre, musicologue, violoniste, violoncelliste, luthiste, pianiste, chanteur, parolier, compositeur, comédien, et autres, vient de céder aux tourments de ce monde si ingrat, impitoyable, et insensible envers l'artiste (les artistes). Il nous quitte vers le très Haut ce jour du 8 août 2024, où il recouvrera ses frères Asri, Betadj, Si Benaïssa, Benaceur, et consorts, dans ce vaste Paradis. Devant lui rendre visite comme à l'accoutumée, hélas...mes souvenirs me renvoient à 1959, âgé de 13 ans, où il m'éveilla par cette note primaire, pour m'adapter à l'art, il rétorqua: «Si tu veux comprendre, et apprendre ce métier d'artiste, il faut l'aimer, surtout le supporter.» C'est la fameuse phrase qui m'habita le long de mon parcours artistique, m'éclaircit la voix édictée de nos chouyoukhs. Un Homme charismatique, dans tous les sens du terme, culturel, et artistique. Cheikh Tahar était une sorte de vigile, omniprésent dans la sphère artistique locale, et nationale, au service à tout venant. Il demeurera l'icône de la troupe musico-théâtrale de Mostaganem. Étant parmi la Nahda, vers l'an 1940, portant le flambeau de notre culture, aux côtés d'artistes, et aux lendemains des soulèvements d'Octobre-1945, sans désemplir. Et, en sa qualité de membre de l'OCFLN, en 1957, et ses frères d'El Masrah, imprégnaient des évènements de Novembre-1954, sous le joug colonial.
Mohamed Tahar est né le 26 février 1929, au Maroc, du père Tahar Med Ould Maâmar, ancien officier de 14-18, de l'armée française, décédé en 1937, enterré à sidi Yakous, à Fès (Maghrib). Ils s'installèrent, avec sa mère Aicha, et son frère (malade) Hamou, en 1936, en Algérie, à Mostaganem. Gagné par tant de souvenirs locaux, des razzias, aux souks féeriques, aux jongleurs et musiciens populaires, des airs enchanteurs. Sa maman Aïcha Laâlaoui, sera désormais à son chevet, et fit sa scolarité dans la cité historique qu'est Tigdjitt, d'où son certificat d'études, à l'école avenue Rénale en 1942. Sous le diktat de l'occupant, il subira les affres du colonisateur ségrégationniste. Sans omettre sa qualité de sportif émérite, aux compétitions, au cercle «Flèche d'or», en nage libre. Il sera refoulé de facto de l'école comme tout «indigène», prétextant son instabilité. 1940-1950, Mohamed s'affilia au Scout el kachef-El Fellah (créé en 1936), chapoté par ses dignes représentants,: Laâredj Beriati, Belkacem Bekhlouf dit chef, Djillali Ben Abdelhalim (père du théâtre amateur), Belhamissi AEK (membre actif d'el masrah), Boudiaf Ghali, et Bendacha el Habib, liés à l'art, et membres de l'OCFLN.

Première apparition
Ce milieu transcendant, tenant de la mémoire collective, inculquant aux jeunes autochtones, épris de nouvelles ressources, l'essentiel, compte tenu de l'implacable acculturation administrée aux jeunes de souches. Doué d'une intelligence particulière, l'oreille musicale, d'une virtuosité, son entourage est subjugué par ces notations. 1946, les portes s'ouvrent, des cours de violon auprès du professeur Masviguler, et sa femme excellente pianiste, réputé (s), aussi, par le musicologue Tevagliani, à son ascension aux normes universelles, pendant six années, fut un choix déterminant. Cheikh Tahar signe sa première apparition en public en 1949, interprétant le rôle Ziwadj bila rida, (mariage sans consentement), écrite par feu Si Djillali Benabdelhalim, chargé du groupe «El Badre», tenant du 2e Prix, à Alger, avec Mustapha Kateb (futur directeur du TNA en 1963). 1948, Enri Cordreau lui réserva le 1er rôle dans Figure de proue, au détriment des Français, à la salle des «Actes», Alger, avec un 1er Prix. 1949, il rejoint la formation musicale de Berber Bouziane, fit sa première orchestration, embryonnaire. Circonstances obligent, il militera dans le MTLD, puis au PPA, et pendant la révolution de Novembre 1954. 1957, en tant qu'OCFLN au sein d'El Masrah de Mostaganem, avec ses frères. Une fusion d'interactions artistique, au militantisme déterminant. 1957, le théâtre arabe égyptien fut présent, à Mostaganem, avec son chantre Youcef Wahbi, et l'actrice Amina Rezk au cinéma «Colisée», interprétant E'ouled Echaraê (enfants de la rue). Il inclura ce chapitre, de la renaissance de la dramaturgie. Un autre barde fit son apparition à Mosta, j'ai nommé Farid El Atrache, la voix aux variantes chaudes et radieuses, et son oud incomparable, du charqui. Le modernisme algérien naîtra de là, avec Ali Maâchi (martyr), Abderrahmane Aziz, Med Tahar Fergani, Ahmed Wahbi, Iguerbouchen, Benzerga, Med Mokhtari, entre autres. Une approche différentielle multiple abreuva, jusqu'au tréfonds de son âme, une esthétique particularisée. Chansons typiquement modernes, paraîtront avec ces composantes humaines, matérielles, musicales, il devint l'antichambre invariable, où émergea El Masrah le long des évènements.
Ces tons et chants ne sont plus choses fictives, elles sont partie prenante dans ses partitions, ses poèmes, ses compositions. Ses tonalités aiguisent son vocable, sa rythmique, mise en exergue par l'ensemble orchestral, aux tendances et genres particuliers, des «Mambo Hadaoui», «Mambo 5 et 6», lesquels transcendent avec la suprématie étrangère. Benny Benneth (roi du mambo sud-américain) en 1968, à Alger, resta perplexe devant notre formation, «en Algérie», déclara le maître devant les officiels... «c'est formidable». Les Duke Ellington, Louis Armstrong, Cout Basie, et autres maîtres du Jazz, furent la matrice d'el Masrah, de même, le classicisme universel, dont Chopin, Beethoven, Berlioz, et consorts, des critères exigibles. Cheikh Tahar incarnait ce tout, par sa maîtrise et arrangements lisibles. N'est-ce pas là, le génie de l'homme? Devenu membre dès 1956, au violon dans l'ordre supérieur, était chose indéfectible envers l'équipe.

Des sommités à Oran, Alger, Constantine...
Une équation d'éléments lyriques en rapport des aspirations, aux airs universalistes. La majorité décédée (Allah yerhamhoum), les: Benaissa AEK, Betadj Charef, Abbou Asri, Bentriki Med, Benaichouba Abdellah, Hamou Cheikh, Lagraa Charef, Benaceur Ahmed, Mazouz Bouadjadj, Benkartaba Toufik, Abbou AEK Dadi, Benyekhou Rachid, Benkhadouma Lakhdar, Fatima Benbrahim, Si Affif, Benkhlouf B. dit Chef, Belhamissi AEK. Vint les frères, Maidi AEK, Chaabane Bendhiba, Moulay AEK, Noureddine Bekheira. Mais aussi, Ould Abdelrahman Kaki (avec l'équipe antérieure-1954-1959).
Saïdia (1939) dénominatif de Sidi Saïd, centre-ville, d'où est né El Masrah en 1950, avec ses pairs cités ci-dessus. Certains films (TV) sur ladite troupe (1957-1966), dénotent de la véracité de son existence (voir archives). Cheikh Tahar, connu par son élévation musicale universelle, et nationale, prêta son savoir à ses amis, en l'occurrence Ahmed Wahbi, Ahmed Sabeur, Blaoui Houari, Ammari, Saim el hadj, et autres, devint leur confident, par ses ornements musicaux, vers 1957-1970, dénommé le 2e Farid. Faits indubitables en rapport à ses compositions de hautes factures. De 1972-1986, Med Tahar accompagnera des sommités, notamment à Oran, Alger, Constantine, et lors des tournées en Europe, sous sa baguette orchestrale, avec Abderrahmane Aziz, Saloua, etc. Sans faire l'apologie du maître, il demeurera l'artiste avec un grand A, sa suprématie que l'on ne trouve que rarement. Malheureusement dénaturé par ces mercantilistes de tous bords. «Il est connu de tous temps, des indigents-culturellement, détracteurs, et nuisibles pour l'art, et l'artiste», disait-il. Il survivra loin des salamalek encombrants, et déformant, son seul compagnon, toujours, si bien qualifié: «Mon 2e bras fort, est l'oud» (le luth), après la perte de sa femme Abassia, qu'il chérissait tant. Il ambitionnait de composer pour la défunte Warda Djazairia, et autres célébrités, conjonctures voulant...son coeur fit appel à Samahni ya guelbi, allusion aux impondérables. Une oeuvre colossale de chants-compositions, tirés du vécu, de l'ancestralité, au bedoui-chaâbi, au moderne-universel, tel: Habiba, ma nakdar nanssak, Samahni ya guelbi, Aouriki ya Roussan, Sahrouni aïniha...

Offres alléchantes
Enri Cordreau, instructeur international du 4e art à Riad (actuel Mouflon d'or) Alger, introduisit El Masrah dans l'hémicycle des grands, en 1956-1960, ces «indigènes» qui s'investissaient avec éloquence, dans le cercle européen. 1954-1960, épris par ce modèle, les Med Kamel, Djamel Bedri, Habib Hachlef, Mustapha Badi, El Achab, et autres, se sont émerveillés des qualités multiples d'El Masrah. 1967, Tahar prendra part à Budapest en Hongrie, à l'institut des arts «Bela Bartok», au oud, et violon, avec brio. Ses chansons patriotiques, et sentimentales, d'une haute facture, jusqu'à l'heure méconnue? D'où vient ce mal? 1963, El Masrah est recruté par le MJS, confortant chacun dans la formation, la culturelle, et spectacles, d'ici et ailleurs, rôle prépondérant. 1980-1986, des tournées artistiques, du MJS, dont je fus chargé des commodités: Paris, Marseille, Cannes, Maroc, Belgique, où les publics furent extasiés, Med Tahar est apprécié à sa juste valeur. Des offres alléchantes, dont il refusa poliment, contraire à sa nature, et ses principes. 1992, malgré l'âge avançant, et sa retraite, il reprit sans désemplir son rôle de médiateur, créant l'association «Nadi el Founoun», en 1990-2004, et son coéquipier Sid Ahmed Baghdadi, au profit des jeunes.
2010-2020, il chantera encore, composera, arrangera, mais, dans l'éternel mépris, et la déperdition de l'artiste, et de l'art. La chose culturelle demeure, Hélas, sous l'effet du diktat des... «Il est mort le Maître, que reste-il dans les terroirs???...si ce n'est la volonté inébranlable de quelques chouyoukhs, toujours là, au savoir indescriptible, contre l'implacable forfait des commanditaires. «L'art est-il en agonie»? Selon ses termes. Avec ses 94 années, ses 75 années de durs labeurs, mais toujours fiers d'avoir servi ses publics, son pays. Un Maître comme lui, source d'une dynamique artistique, a-t-il besoin de critères pour se faire valoir? Nullement. Adieu frère, Allah yerhmek.
*Ancien professeur d'art et culture écrivain - artiste- peintre-sculpteur - ex-chargé des Festivités nationales.



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