Algérie

Cheikh LAREDJ ABDERRAHMANE



Sidi Mohamed Laredj va continuer la gestion de «l'institution religieuse» comme son prédécesseur. Les
demandes de lever des ziaras vont continuer à recevoir des réponses souvent négatives des autorités coloniales.
Les ziaras «possibles» sont levées difficilement. La direction de la «principauté» maintient un certain cap. La
baisse des revenus liés aux tribus du nord et des hauts-plateaux n'empêche pas les autres affaires de tourner.

A la mort de Sidi Mohamed Laredj, c'est son fils Sidi Abderrahman qui va prendre la suite. Avec l'avènement de
ce « monarque », les affaires vont s'améliorer sérieusement. C'était en février 1934. Les autorités françaises
confirment son « intronisation » et lui allouent une allocation annuelle de 2.000 francs, la même qui était attribuée
à son père. Mais le monde a changé. Le paysage politique se caractérise par de nouvelles donnes. D'une part, la
colonisation vient de fêter son centenaire qui marque aussi son apogée. Se glorifiant de « sa réussite », elle est
quasiment sûre d'avoir gagné la partie définitivement, que l'Algérie et l'Afrique du Nord lui appartiennent
désormais. Les écrivains et intellectuels « algérianistes » (dits de l'école d'Algérie) et farouches partisans d'une
colonisation à outrance, parlent d'un « juste retour de l'Afrique du Nord » dans le giron de la chrétienté, à l'instar
aussi de sa dépendance jadis de l'empire romain. Ces convictions avaient quelques ressemblances avec les
convictions israéliennes d'aujourd'hui.

D'autre part, on assiste à la naissance du nationalisme maghrébin qui se concrétise par des luttes politiques
acharnées sur le terrain et dont les figures de proue sont: Messali Hadj en Algérie, Bourguiba en Tunisie et Allal
El-Fassi au Maroc. Les autorités françaises connaissent l'importance de l'emprise des zaouïas sur les populations
pieuses. Aussi, vont-elles prévenir et empêcher les relations et autres accointances que ces confréries pourraient
avoir avec les mouvements nationalistes pour ne pas apporter plus d'eau à leurs moulins. Elles vont faire
pression sur les zaouïas toujours en les empêchant de lever les ziaras et de lâcher un peu de lest quand c'était
nécessaire pour obtenir quelque chose d'elles. Ce « chantage » ne servait pas uniquement à faire entrer dans
l'ordre colonial ces organisations religieuses millénaires, mais les ziaras qu'elles prélèvent sur leurs affiliés étaient
autant « d'impôts directs » et donc de richesses en moins pour l'administration coloniale.

Sidi Abderrahman ne pouvait pas faire exception aux démarches engagées par ses prédécesseurs pour recueillir
les ziaras. Ce serait signer l'arrêt de mort définitive de la confrérie. C'est ainsi qu'il demande à ce rendre dans les
villes du nord suivantes: Sidi-Bel-Abbès, Témouchent, Mascara, Tlemcen dans l'Oranie. Mais aussi en territoire
marocain: Oujda, Fès, Marrakech, Outtat El-Hadj, Midelt, Gourama, Tafilalet, Medjahra, Talsint, Boudnib,
Bouanane... En demandant à se rendre dans ces villes à l'autorité française, Sidi Abderrahman n'évoque pas les
prélèvements de ziaras, mais « Je veux, dit-il, inspecter nos biens et propriétés». Vu l'énumération des lieux où il
voulait se rendre « pour superviser ses biens », il faut bien croire que la zaouïa était très riche. Le voyage qu'il va
entreprendre lui permettra de procéder à une réactivation conséquente de l'influence de son institution sur ses
affiliés du nord, du nord-ouest et aussi du sud marocain notamment.

La «principauté» de Kénadsa va retrouver un peu de sa superbe sous le règne de Sidi Abderrahman, mais d'une
autre façon, très différence de celle du temps des caravanes, où Kénadsa régnait sans partage sur les grandes
étendues désertiques qui allaient de Sijilmassa jusqu'aux confins de l'Empire du Mali. Le vrai et nouveau maître
aujourd'hui, c'est la puissance coloniale et il va faire avec. En s'adaptant à la réalité du moment, il sera l'homme
de l'ambivalence. Chacun va instrumentaliser l'autre. Le cheikh va porter alternativement deux casquettes: celle
du chef spirituel de la Zaouïa Ziani et celle d'un Administrateur séculier. « Ainsi, la fonction religieuse
traditionnelle est assortie d'une fonction civile. En effet, le 6 mars 1939, il sera élevé à la dignité d'»Agha»
honoraire. Un burnous d'investiture lui est accordé par le gouvernement général. Il ne se satisfait pas de cela et
demande « un commandement effectif dans l'annexe de Colomb-Béchar». Il va avoir un «secrétariat», des cartes
de visite en arabe et en français, ses propres cachets et utiliser du papier à en-tête imprimé à son nom avec les
références à ses différentes dignités. D'ailleurs en cela, son père l'avait précédé: on pouvait lire en effet, en
français, en en-tête de ses correspondances officielles, «Cheikh Sidi Mohamed Laredj, officier de la Légion
d'honneur, Kébir de la zaouïa de Kénadsa». C'est à cette époque-là qu'il va adopter officiellement un patronyme:
il deviendra Laredj Abderrahmane. Mais on ne l'appelle plus que par le titre de Sayed (Seigneur). Le 31 octobre
1951, il sera nommé «Bach agha honoraire». Malgré une « sujétion évidente à la logique institutionnelle du
pouvoir colonial », le « Sayed » continue de jouir d'un prestige sans précédent, comme si les affiliés de la zaouïa
et la population considéraient le fait colonial comme un « mal inévitable »: si personne ne pouvait l'éviter,
pourquoi «le Sayed» en effet porterait seul la responsabilité ? Sidi Abderrahman, très populaire, fut un cheikh, un
Sayed, un administrateur et un gérant hors pair. Il régna sur la zaouïa de Kénadsa qu'il dirigea de main de maître
pendant 56 ans. Il fut connu pour le faste jamais égalé de ses difas et de ses réceptions, de sa générosité et de
son savoir-faire protocolaire: il pouvait en effet inviter plus de 5.000 personnes pour des repas conviviaux, que
tout ce monde trouvera à boire, à manger et à dormir. Il fut également connu pour le luxe de ses voitures.
Toujours habillé de blanc immaculé, il portait un éternel mouchoir rouge dans la main et une tabatière en ivoire.
Ses déplacements et ses sorties publiques étaient toujours d'une solennité inimitable. Il avait sa propre équipe de
football et son propre stade. Il se rendait à tous les matches officiels joués par son équipe et se mettait souvent
sur la ligne de touche pour encourager les joueurs, exactement comme le font les coaches actuels. Il connaissait
chaque joueur par son « petit prénom ».


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