Algérie

Check-point historique Roman. «La promesse d'annah» de Mohed Altrad



Check-point historique                                    Roman. «La promesse d'annah» de Mohed Altrad
Voyage dans le temps et les lieux, de Cisjordanie en Andalousie.
Mohed Altrad est un écrivain d'origine syrienne, au parcours très romanesque. Né dans une tribu nomade, il eut du mal à se faire scolariser. Très tenace, il arrive à apprendre à lire tout seul, et obtint son bac à l'âge de dix-sept ans. Il poursuit ses études en France et décroche un doctorat en informatique. Il change d'orientation professionnelle, en rachetant une société de bâtiment, spécialisée dans les échafaudages. Sa fortune immense et la gestion d'un groupe important ne le détournent pas de la création littéraire, car il a déjà à son actif, Badawi et L'Hypothèse de Dieu, publiés tous deux chez Actes Sud. En mars 2012, il signe un troisième roman qu'il intitule La Promesse d'Annah*. C'est une histoire qui traverse les siècles et les genres. Le lieu sur lequel se focalise la narration est la Palestine, mais l'auteur prend soin de délocaliser sa trame vers d'autres lieux mythiques comme Baghdad, Istanbul et Al Andalûs. A la manière des savants de l'âge d'or de la civilisation arabo-musulmane, Mohed Altrad mobilise pour les besoins de son roman des savoirs qui ont trait à la philosophie, l'art épistolaire, la poésie de l'amour courtois.
Cela donne à La Promesse d'Annah une saveur particulière. On peut le considérer comme un conte philosophique, un long poème épique ou simplement un roman qui nous réconcilie avec l'esthétique.
Mohed Altrad fait débuter l'intrigue de son roman dans un lieu où des destins humains se brisent et où un droit naturel comme la circulation est bafoué. Ce lieu qui cristallise les haines et les incompréhensions est un check-point sur «une route de Cisjordanie, un peu à l'écart» où des milliers de Palestiniens subissent quotidiennement brimades et humiliations. Un sergent de l'armée israélienne conduit une jeune femme dans un bureau pour l'interroger. La Palestinienne n'est pas en conformité avec la loi, car l'autorisation de circuler qu'on lui a délivrée a expiré depuis quelques jours. Le lieutenant, harassé par la chaleur, essaye d'engager la discussion avec elle. Et, comme l'auteur possède le sens de la rupture, la machine à remonter le temps, projette le lecteur à Baghdad. La civilisation abbasside vit un moment crucial de son histoire, car l'âge d'or se consume sous les coups de boutoir de l'intolérance. Et le point culminant de cette décadence annoncée, c'est le procès fait au poète mystique : Al Hallaj. Il est accusé de blasphème.
Le jeune Jalal avait une profonde admiration pour le poète et ne comprenait pas qu'on s'en prenne à lui. Curieux de nature, Jalal multiplie la fréquentation des gens du Livre, pour trouver des réponses à cette intolérance religieuse soudaine. Al Hallaj était exposé au regard d'un public nombreux, venu assister au supplice du poète. Jalal observe de loin cette foule, qui veut en découdre avec le mystique blasphémateur et se souvient qu'il a oublié sa bien aimée, Ruth. Cette dernière se prépare avec sa famille à quitter Baghdad pour Al Andalûs, où on dit que les communautés vivent en toute quiétude et dans une harmonie totale. Le rêve d'un Orient apaisé trouve sa concrétisation dans un Occident musulman qui a su travailler pour un 'cuménisme salvateur. Ruth laisse l'amour de Jalal sur l'embarcadère de l'Euphrate pour un meilleur ailleurs. Le virus de la décadence atteint la ville magique de Cordoue en 1264. Les Catholiques ont repris toutes les villes aux musulmans et la Reconquista est en marche, jetant des milliers d'Andalous sur les routes de l'exil.
Au milieu de cette humanité vaincue, une jeune femme qui répond au doux prénom de Saddiyda, recherche sa vieille accompagnatrice, Rabi'a, une femme pieuse qui a atteint la sainteté. Le jeune Moshé la rassure et entreprend de l'aider dans ses recherches, tout en essayant d'éviter les soldats chrétiens. Dans leurs pérégrinations, les deux compères échangent sur leurs religions respectives. Moshé découvre que l'Islam permet à la femme de devenir docte en religion, voie lui permettant de sortir du rôle traditionnel de procréatrice. Le désir de Saddiyda de rejoindre le rang des grands savants est plus fort que tout. Les époques troubles n'ont jamais constitué des freins pour les ambitions de l'âme. Le voyage continue pour le lecteur qui se retrouve transporté à Istanbul, la ville où l'Orient et l'Occident entrent en osmose. Nous sommes en l'an de grâce 1666, une année qui annonce le retour du Messie. Les esprits s'échauffent et le tumulte gagne les âmes. Le jeune Naïm s'extrait de cette ferveur religieuse pour séduire Judith. Dans une correspondance qu'il entretient avec son cousin, il lui retrace les étapes de cette relation. On n'est pas loin des liaisons dangereuses de Laclos et des différentes manipulations qu'il met en scène. Pierre Bayard appelle ça «le plagiat par anticipation». Judith, tombée sous le charme de Naïm, va souffrir le martyre quand elle découvre que ce dernier n'est pas sérieux et qu'ils ne s'enfuiront pas ensemble pour braver les interdits mis en place par la famille de Judith. Enfin, l'auteur revient à son point de départ. Le check-point de Cisjordanie est une épine plantée dans l'harmonie universelle. La jeune Palestinienne continue d'échanger avec l'officier israélien. Il la pousse dans ses derniers retranchements, jusqu'à avouer qu'elle transporte une bombe.
Mohed Altrad montre à travers la perspective historique qu'il a imprimée à son roman que le passé comporte des leçons édifiantes pour dépasser les horreurs et les crimes du présent.

*Mohed Altrad, «La Promesse d'Annah», Editions Actes-Sud, mars 2012.


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