Algérie

«Chaque vie est un itinéraire»



«Chaque vie est un itinéraire»
-Vous avez publié de nombreux ouvrages, du roman aux publications universitaires. Dans quel registre êtes-vous le plus à l'aise, l'écriture fictionnelle ou l'écriture académique 'Les deux sont indissociables pour moi. L'écriture académique semble parfois influencer mon écriture fictionnelle suite à l'impact des théories littéraires sur la structuration de l'œuvre, particulièrement le genre romanesque. Mais, je garde ma liberté dans ma production poétique où je recours aux vers libres. J'ai, dans ce dernier cas, obtenu le prix de la Poésie libre décerné en 2011 par l'association Europoésie à Paris.-Revenons donc à l'écriture fictionnelle et à la publication de ce roman initiatique, Retour de manivelle. Comment vous est venue l'idée de ce récit que je pense autofictionnel 'J'avais toujours voulu produire un roman où se croisent la réalité et la fiction et dans lequel la réalité finit par se transfigurer pour engager son lecteur dans un univers onirique. Le lecteur peut croire vivre la vie du narrateur alors qu'en réalité celui-ci voudrait garder sa distance vis-à-vis de cette réalité par la transformation de la face réelle du message.-Qu'est-ce qui est le plus difficile, de dire d'où l'on vient ou de révéler ses sentiments les plus profonds 'Dire d'où l'on vient se révèle comme une réalité visible, mais révéler ses sentiments les plus profonds nécessite, non seulement un relâchement, mais aussi un effort de pensée pour se saisir dans ses racines les plus profondes. Dans Retour de manivelle, j'essaie de concilier les divergences entre les deux situations.-Il me semble que ce qui caractérise votre écriture c'est la pudeur et, dans le même temps, vous vous mettez en scène, n'est-ce pas un paradoxe 'Un paradoxe réel ! Mais ce qui m'encourage à surgir dans la scène, c'est le caractère fictionnel de l'œuvre qui crée un écart entre réel et imaginaire. L'auteur cesse d'être pour se muer en narrateur. C'est finalement «écrire droit avec des lignes courbes».-L'itinéraire du personnage principal est remarquable. Il part de son village natal enfant, quittant sa famille avec pour seul but celui d'aller vers le savoir. Est-ce si clair que cela dans l'esprit d'un enfant 'Il y a l'enfant qui se recherche, qui est le siège de la quête d'un idéal imperceptible à dévoiler progressivement. Mais il y a aussi l'imaginaire qui plonge l'enfant dans un autre univers d'où il tire toutes ses ressources spirituelles qui lui servent de fil conducteur.-Se retrouver à un moment de crise sociale et politique à la tête d'une grande université, dans un pays comme le Congo, cela doit être très stressant'cela doit l'être réellement. Mais quand on croit aux injonctions du destin, on finit par avoir le courage nécessaire pour mener la lutte jusqu'au bout. Quand je fais la rétrospective de ce passé agité, je me demande d'où j'ai tiré toutes ces ressources spirituelles qui m'ont donné la force d'affronter des situations parfois (souvent ') très périlleuses. Peut-être était-ce une manière concrète d'affronter son destin pour forger ses voies du futur.-Risquer donc sa vie, amère réalité au Congo de l'époque, vous amène à quitter le pays. C'est le cas de beaucoup d'intellectuels africains. Que ressentiez-vous alors 'Je suis parti du pays par la voie royale. Je n'en suis pas parti à la suite de risques pour ma vie. J'ai été recruté à partir du Congo par l'Organisation internationale de la francophonie à Paris où j'ai travaillé pendant six ans jusqu'à l'expiration de mes deux mandats. Mais, partir de son pays, quelles que soient les conditions, est une dure épreuve. Qu'ai-je ressenti à cette période de séparation avec les êtres chers ' Il y a toujours de la nostalgie. Mais, en devenant citoyen du monde, on finit par se forger une autre image de soi qui permet de vivre à l'aise sa double posture.-Vous retrouvez à la tête d'une grande organisation internationale, c'est avoir soudain un sentiment de réussite ' Quel regard portez-vous alors sur l'enfant du village 'Votre question me ramène au point de départ, à mes débuts, à mon âge de lutte où me hantait l'idée d'aller au loin à la recherche de nouvelles énergies pour annihiler les pesanteurs de l'être humain. Le parcours est bien long. Un voyage à travers la nature profonde sous la conduite de la main du destin. C'est quand on revoie comme dans un rêve les moments de succès doublés d'échecs, qu'on finit par se rendre compte que chaque vie est un itinéraire à la fois physique et spirituel couronné parfois de succès après avoir escarpé les pentes et les montagnes bien hautes. Tout se pose en s'opposant. Tout moment de succès est suivi des moments d'épreuves. Et progressivement, on avance vers les cimes.-Avez-vous tourné le dos à l'Afrique 'Je veux bien mettre mes talents, ma sensibilité à la disposition de l'humanité. Mais sur quelle terre ' Je veux bien le faire dans le strict respect des normes. C'est peut-être cela qui pèse. Je suis en France, mon pays d'adoption. L'Afrique reste toujours ma terre d'accueil à tout moment. Mais l'absolue nécessité de mettre mes forces à la disposition du monde plus large pour renforcer ma capacité à annihiler la misère me faisait croire qu'il était possible de renoncer à sa terre. Non. C'est une entreprise difficile. Même si les cordes qui nous y lient serrent douloureusement, notre regard est toujours tourné vers elle. C'est là une évidence viscérale. Je peux aimer vivre et me réaliser ailleurs, avoir le sentiment d'y être utile, mais ma naissance m'y rappellera inexorablement. C'est plus que mes racines. Terme problématique ! Bien sûr on peut bien y retourner, mais y trouverons-nous cette paix recherchée ' Dans ma double posture, l'Afrique et ma nouvelle terre trouvent chacune sa part.-Quel rôle doit jouer selon vous la diaspora africaine 'Après avoir affronté les secrets de ses propres aléas, la diaspora africaine doit choisir de regarder la réalité en face pour avoir le courage de concilier les divergences en vue d'assurer l'équilibre entre sa culture d'origine et les autres cultures d'adoption. Elle doit choisir de soutenir l'Afrique en mettant à sa disposition les savoirs acquis ailleurs pour le développement de cette étoile qu'est l'Afrique qui cessera un jour d'être la grande victime de la boue qu'on lui jette. Et la diaspora africaine doit véritablement être présente pour réguler la marche de l'Afrique vers l'heure de son apogée en trouvant un point de rééquilibrage entre les différents pôles de culture et de civilisation pour construire un nouvel ordre mondial et faire de l'Afrique un lieu de rencontres où peuvent dialoguer, se confronter, se compléter des cultures et des civilisations variées.-La question des langues est un vrai débat en Afrique. En tant professeur de didactique et de français langue étrangère, diriez-vous comme Kateb Yacine que le français est un 'butin de guerre' '«La lente asphyxie des langues africaines serait dramatique, ce serait la descente aux enfers pour l'identité africaine», a dit Joseph Ki-Zerbo. L'Afrique abrite en son sein plusieurs groupes ethniques possédant chacun une langue ou un groupe de langues, une série de traditions historisantes, un éventail d'institutions et d'usages. Chaque communauté a connu une expérience spécifique d'accès à la modernité.Ces groupes présentent autant d'aspects de la réalité culturelle de l'Afrique. Les langues issues de la colonisation comme le français, l'anglais, le portugais et l'espagnol constituent des outils de travail et de communication pour les différentes entités ayant des langues et des cultures différentes dont l'esprit et les principes sont fondés sur une solidarité ouverte à la diversité des langues, des cultures et aussi comme espace de dialogue de cultures. Dans ce contexte, j'assume la double posture de mon identité francophone et africaine. J'ai choisi d'écrire en français et d'enseigner la langue française pour sa diffusion dans le monde en même temps que je prône son partenariat avec les autres langues de l'espace africain.-Quel est alors le rôle de la culture orale dans ce dédale linguistique 'La culture orale dans ce dédale de langues en Afrique constitue une source d'énergie pour la conquête du devenir de l'Afrique. C'est un regard jeté derrière soi pour retrouver un nouveau souffle et mieux aller de l'avant.




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