Algérie

Chanter pour arrondir ses fins de mois



Mille au départ,un seul à l'arrivée. Il ne s'agit pas du tour de France ni du marathon de NewYork, mais bel et bien de toute cette fournée de musiciens et de chanteursoccasionnels qui, en mal de notoriété, se retrouvent en cours de route reléguéset pour longtemps dans le vestibule de la gloire. Pour les rencontrer, lesentendre épancher leur trop-plein d'amertume et sonder les tréfonds de leurâme, il n'y a que le territoire de la nuit et ses portions de lampadairesallumés en clair-obscur. Tels des chrysalides, ils naissent avec la nuit etmeurent avec l'aurore. Trêve de fin de semaine, Oran qui garantit l'anonymat àses hôtes, se pare de ses plus beaux attraits; les restaurateurs et autresgérants de lieux de loisir redoublent d'ingéniosité pour attirer le plus grandnombre de clients. Spectacles et tours de chants accompagnent ces soirées unpeu spéciales où l'on vient parler affaires ou pour se prélasser toutsimplement autour d'un copieux repas. En plein centre-ville, un restauranthuppé, réputé pour la qualité du service fait office, pour les noctambules, delieu de mode ces derniers temps. Les plaques d'immatriculation des voituresstationnées sur les côtés renseignent amplement sur le lieu d'origine de cesvisiteurs, qui viennent des wilayas limitrophes pour passer du bon temps, loindes regards indiscrets. L'accueil est avenant et l'intérieur en boiserie ambréeest harmonieusement décoré. Fini le temps des bars caverneux, ayant pour seuldécor que le poster de la femme sirène accroché sur un mur suintant de crasseet laissant fantasmer une nuée de badauds ivres jusqu'à l'inconscience. Au fondde la salle de ce restaurant à la mode, un chanteur, d'un certain âge, voixmélodieuse sans regarder personne, enchaîne chanson sur chanson. Avec sonaccompagnateur, le synthétiseur, il attaque sur plusieurs fronts : répertoirewahrani, notamment avec les inévitables Blaoui et Wahbi en passant par RahalZoubir, le Chaâbi et ses mentors El-Anka, Messaoudi et Guerrouabi et finir avecl'éternel Hasni, après avoir fait un clin d'oeil à Abbès et Redouane. Cemélomane, après avoir salué l'assistance, cède la place à un autre chanteurspécialisé dans le chant marocain. On dirait entendre Doukali ou Belkhayat.Avec son propre tempo, son jeu de voix et sans vanité, le chansonnierressuscite d'un coup les ineffaçables mélodies qui ont eu leur heure de gloireici même à Oran. Abordé, cemonsieur en fin de spectacle, dira que «le métier de musicien ne fait pasvivre» et qu'il est infirmier spécialisé de profession. La musique, avoue-t-il,lui «permet d'arrondir ses fins de mois tout comme les autres musiciens quicomme lui écument de nuit les restaurants et autres lieux de loisir». Chaquefin de semaine, il vient se produire dans ce restaurant et les clients généreuxn'oublient jamais de lui filer de quoi ne pas dépendre que de sa seule paie,comme il l'affirme. Ce monsieur avec costume impeccable et ton respectueux saitse faire distinguer et parle de son art avec modestie et considération,qu'importe lieu. Le chant pour lui est toute sa vie et que le chemin de lagloire ne le tente plus puisque sa voie est ailleurs, comme il l'affirme.  Dans le non-dit, il rappele que «tout ce quibrille n'est que du toc et la célébrité n'obéit à une aucune logique sauf celledu gain facile». Amertume, mais la loi du Showbiz local, ajoute-t-il, a sesraisons que la raison forcément ne comprend pas.  Autre lieu autre décor. Une femme, jeune etbelle, assise au fond d'une salle égrène derrière un piano le répertoirefrançais et quelques tubes anglo-saxons. Elle attaque du Polnaref et biend'autres : Aznavour et Becaud notamment. La clientèle semble s'intéresser à cebout de femme pas du tout complexée par sa présence dans ce lieu. Elle ditavoir suivi des cours de solfège et de conservatoire pendant plusieurs annéeset que se produire avec un groupe de chants classiques uniquement à l'occasiondes fêtes nationales ne la fait pas vivre. Elle a un diplôme de DEA enInformatique, presque difficile de la croire ! L'image du chanteur dévergondé,édenté et saoûl colle toujours à l'image que l'on se fait de ces artistes pastout à fait artistes souvent malmenés par les clients ou par le patron deslieux qui les exploite contre un casse-croûte douteux et une boisson servis à 3heures du matin. Rien de tout cela, ces jeunes, ayant suivi de solides cours demusique, ont pu créer leurs propres réseaux et remplir leur agenda de milleadresses. Ils sont pour la plupart courtisés par des impresarios venus d'Alger,de Annaba ou d'ailleurs pour les placer dans des cabarets ou des restaurantsdurant la saison estivale et ils gagnent bien leur vie durant cette saison,comme nous l'affirme un jeune chanteur Rai, rencontré lui aussi en tour dechants. Tous disent leur amertume à l'encontre des éditeurs locaux qui leurmiroitent souvent gloire et richesse. Mais, avant cela, ils leurs demandent uneavance de 5 millions de centimes pour confectionner le master qui les feraconnaître au grand public. C'est comme l'histoire de l'écrivain en herbe qui sefait publier à compte d'auteur en finançant les frais d'impressions et d'attendrela consécration qui ne vient jamais. Ces chanteurs et ses musiciens quiexercent dans ces lieux gagnent tant bien que mal leur vie mais savent quecette voie là ne mène nulle part sauf à vivre au jour le jour. Avoir un vraimétier, une fonction, et le chant ou la musique n'est qu'une panacée pour rêverencore plus. Le conte de fée en somme qui est toujours là, les propulsent surles devants de la scène, beaucoup plus apparente que celle qui les a confinésdans le rôle d'un éternel intermittent de spectacle.  Un peu plus de 2 heures du matin, lesmusiciens rangent leurs affaires, on leur sert le repas, c'est dans le contrat,les lampions s'éteignent, pour ne laisser pour seule lumière que le reflet desces étoiles mortes bien avant qu'elles soient nées.


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