Algérie

Chant Lyrique : La mezzo soprano Ana Häsler enchante le public du TRO



La cantatrice suisso-cubaine, Ana Häsler, fille du peintre suisse Rudolf Häsler (1927-1999), a donné un récital particulièrement émouvant au Théâtre régional d'Oran Abdelkader Alloula, un spectacle pour voix et piano (David Casanova) organisé à l'initiative de l'Institut Cervantès.Comme pour s'échauffer la voix, mais pas seulement, la mezzo-soprano, établie à Barcelone, en Espagne, a entamé sa prestation avec des mélodies composées par Anton Garcia Abril (né en 1933), mais sur des textes traduits du répertoire classique d'Arabie et d'Andalousie.
Ausente de mis ojos, qu'on peut traduire par (Absent de mes yeux) est signé par Baha Al dine Zohair, un poète mecquois du VIIIe siècle au même titre, pour ce qui est de la période, que la célèbre Rabia El Adawiya, la poétesse soufie de Bassora, dont on a choisi los dos amores (Les deux amours) ou Al Farazdaq, lui aussi poète classique et auteur de Te seguiré Llaronado (Je vais continuer à pleurer).
Ces textes chantés sont regroupés dans un même répertoire intitulé Canciones del jardin secreto (Chansons du jardin secret) et incluent ici le nostalgique et douloureux Elegia a la pérdida de la Alhambra (Elégie à la perte de l'Alhambra) attribué au dernier souverain de Grenade, que les Espagnols, nomment Boabdil (pour Ibn Abdellah), et qui, après la reconquête de l'Andalousie, est allé se réfugier à Fès (Maroc).
Ana Häsler interprète bien cette douleur du paradis perdu, tel que décrit dans le texte El jardin de Al-andalus qu'on doit à Ben Jafacha. Toujours dans le domaine de la poésie chantée, le second répertoire est dédié spécialement à la voix et au piano et les textes ne sont autres que ceux de son propre frère aîné, le poète Rudolfo Häsler, qui a signé en 2009 Nueve gacelas por el monte Libano (Neuf gazelles pour le mont Liban) et que le compositeur Miguel Ortega (né en 1963) a mis en musique.
Ces petites pièces ont été par ailleurs incluses dans l'enregistrement du CD intitulé Paul Bowles et l'Espagne, enregistré l'année suivante avec le pianiste Enrique Bernaldo de Quirós en hommage à l'écrivain et compositeur nord-américain Paul Bowles (1910-1999) établi durant de longues années à Tanger, au Maroc, dont le père de la cantatrice a été un des amis les plus proches. Cette première partie du spectacle, qui fait la part belle à la musique contemporaine, représente une sorte d'hommage multiple et fonctionne comme un prélude au chant lyrique du XIXe siècle qui reste un âge d'or de l'Opéra.
Juste auparavant, avant d'entrer dans le vif du sujet, Ana Häsler a choisi d'interpréter Granadina (Grenadine), un extrait du répertoire «20 chansons populaires espagnoles» composé en 1923 par le musicien cubain de la Havane, Joaquim Nin (1879-1949). Suivra une autre mélodie signée par le compositeur français Georges Bizet (1838-1875) et intitulée Sérénade espagnole, connue également par Ouvre ton c?ur, d'après un texte de Louis Michel Lacour Delâtre, poète français de la même période romantique.
Avec Zaïde, une composition d'Hector Berlioz (1803-1869) sur un texte de Roger de Beauvoir, la chanteuse lyrique nous introduit dans la tradition typiquement espagnole du boléro et qui est avant tout une danse de bal ou de théâtre, d'où l'aspect léger, mais qui exige en même temps une certaine pudeur. La composition a été créée en 1845 et est classée dans ses «Feuillets d'album» (op.19) et ne manque pas de romantisme et c'est une ode à la ville de Grenade.
«Un cavalier vit la belle/ la prit sur sa selle d'or/ Grenade hélas est loin d'elle/ mais Zaïde y rêve encore». Une autre tradition espagnole concerne la zarzuela, qui est l'équivalent de l'Opéra-comique de la tradition française, mais dont les origines sont nettement plus anciennes. Le morceau interprété concerne Carceleras, extrait de las hijas del Zebedeo (Les filles de Zebedeo) une pièce en deux actes du compositeur espagnol Ruperto Chapi (1851-1909) d'après les textes du librettiste José Extremadura.
Dans cet extrait, Ana Häsler a dû puiser du plus profond de ses capacités vocales pour réussir les coloratures et les variations qui caractérisent cette ?uvre datant de 1889. Pour situer le contexte, il faut imaginer un véritable quiproquo sur fond de rivalités et de jeux de séduction qui se perdent dans les liens filiaux. El nino judio est une autre zarzuela en deux actes signée Pablo Luna (1879-1942) et de laquelle l'artiste choisira l'air célèbre de Espana vengo (Je viens d'Espagne, je suis espagnole) du premier tableau du second acte que devait interpréter le personnage féminin de cette pièce face à un souverain en Orient.
L'intrique se rapporte à un jeune Madrilène qui tombe amoureux de la fille du libraire chez qui il travaille et qui croit savoir qu'il est le fils abandonné d'un riche juif. Ainsi, tous partent dans un périple qui les mènera jusqu'en Inde en passant par le Moyen-Orient (Alep en Syrie) dans l'espoir de bénéficier de l'héritage. Un périple vain et un retour au point de départ qui rappelle étrangement, mais en le précédant, le voyage entrepris dans l'Alchimiste du romancier Paolo Cuelho, avec la différence que là, vu le comique des situations, c'est plutôt de cupidité qu' il s'agit. De l'Opéra en 5 actes intitulé Don Carlo du maître italien Giuseppe Verdi (1813-1901), le choix est porté sur l'air de Nel giardin del bello.
Pour comprendre le contexte, il faut imaginer la période du milieu du XVIe siècle marquée par l'Inquisition et le conflit multiple entre l'Espagne et la France, d'un côté, et entre l'Espagne et la Flandre (Pays-Bas), de l'autre. Dans la famille royale, Elisabeth, fille du roi de France, est promise à l'infant d'Espagne Carlos, mais c'est le père de celui-ci Felippe II qu'elle épousera pour raison d'Etat. D'un autre côté, la princesse Eboli est amoureuse de Carlos, mais dont le c?ur est déjà pris.
Ana Häsler interprète donc le rôle d'Eboli qui, entourée par les dames d'honneur dans les jardins du monastère, entonne une chanson qui évoque la période musulmane. Pour l'époque, celle-ci n'était pas très lointaine et il est là aussi question de l'Alhambra. «J'entrevois à peine, dans l'obscur jardin, tes cheveux d'ébène, ton pied enfantin. Ô fille charmante ! Un roi t'aimera : sois la fleur vivante de mon Alhambra».
Une histoire dans l'histoire, car là aussi c'est un souverain andalou qui tente de séduire une femme voilée avant de se rendre compte à ses dépens qu'il s'agit de la reine elle-même ! Cet opéra est basé notamment sur la tragédie du poète et écrivain allemand Friedrich Von Schiller (1759-1805) et Verdi a composé la musique sur le livret de Joseph Méry et Camille du Locle.
En plus de chanter un texte ou d'entonner une mélodie, à l'Opéra, il fait aussi interpréter un rôle et c'est paradoxalement cette difficulté qui a réussi à Ana Häsler, qui a su comment accrocher un public qui n'était pas acquis d'avance. Le chant lyrique c'est aussi un jeu de séduction.


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