Dans un pays
pétrolier ami, Nacer a hérité d'une somptueuse maison à la sortie de la ville.
Une sorte de cottage, à la lisière de l'agglomération urbaine conçue et édifiée
par son défunt père émigré à Londres où il a fait fortune sur les places boursières.
Elle est la
reproduction fidèle de leur maison anglaise, seul le jardin est de plus grande
dimension. Belle et confortable elle lui offre toutes les commodités désirées.
Cependant, veuf
et sans enfants il s'y sent bien seul à chacun de ses séjours de retour de
Londres où il passe le plus grand de son temps. Elle est accueillante et très
bien tenue par le vieux gardien recruté par son père et qui s'en occupe
toujours. Le vieil homme réside sur les lieux, tout au bout du jardin, dans un
«deux pièces» attenant à l'entrée principale. Il est heureux à chaque fois que
le jeune maitre est là, redouble d'efforts pour satisfaire tous ses désirs et
même les précéder, quand il le peut.
Il pense, par ce
zèle, compenser l'ennui qu'il subodore chez son maitre et son envie, contenue,
de changer de quartier. Manifestement, depuis la disparition quasi-simultanée
de ses parents, Nacer ne se sent pas bien en ces lieux.
Mais c'était
peine perdue. Un jour, ce qui devait arriver, arriva. La maison est rapidement
cédée, le nouveau propriétaire s'installe aussitôt la vente conclue et lui et
son maitre emménagent, dans la même ville, dans une petite villa sur le front
de mer.
Elle est de
dimensions bien plus modestes que la vieille maison familiale, mais, elle n'est
pas moins coquette de façade et très bien aménagée à l'intérieur. Elle offre
surtout l'avantage d'être en première ligne sur la mer, ce que recherche le
propriétaire depuis toujours.
Nacer a enfin
réalisé son vÅ“u d'être face à l'immensité bleue et d'échapper au lot de
solitude et de monotonie de l'ancienne demeure.
Il peut, à
loisir, gaver ses yeux du spectacle des vagues et les accompagner jusqu'à leur
étreinte avec le ciel. Il peut dormir au rythme de leur bruit et oublier le
pesant silence du désert.
Il y reste tant
que la fraicheur est entretenue par le vent marin dans une ville ou l'été est
eternel. Quand la canicule devient insupportable, il s'enfuit à Londres et ne
revient que forcé par des rhumatismes exacerbés par la glaciale humidité de
l'exil londonien.
Mais, cette fois-ci, le vieux gardien risque
d'attendre son maitre bien plus longtemps que d'habitude, car Nacer s'est,
enfin, décidé, à subir des interventions chirurgicales qu'il a toujours
retardées par manque de temps et surtout de courage.
Au bout de dix
huit mois, les soins terminés et suivis d'une longue convalescence, il décide
de rentrer au pays.
Le vol, pour la
première fois, lui semble très long. Aussitôt délivré des formalités d'arrivée,
il saute dans un taxi et donne son adresse au chauffeur.
A l'entrée de la
ville, le taxi emprunte le boulevard qui mène au front de mer et au bout d'un
moment bifurque à gauche, comme d'habitude.
Mais, la mer
n'est, curieusement, pas en vue. Pourtant il lui semble reconnaître les
bâtisses voisines de sa maison, bien que les constructions à sa droite
l'intriguent et finissent par le persuader qu'il fait fausse route.
Alors, excédé, il
répète l'adresse au chauffeur de taxi et lui intime l'ordre de retrouver le bon
chemin. Le chauffeur ne comprend pas et affirme qu'il est bien dans la bonne
direction, et au bout d'un court instant s'arrête devant une porte.
Nacer regarde
avec insistance et reconnaît effectivement l'entrée de sa demeure. C'est bien
sa maison, le vieux gardien en sort, d'ailleurs, pour l'accueillir.
Nacer a
l'impression de rêver, mais d'où viennent ses bâtisses qui lui bouchent la vue
sur la mer ? Sa maison a les pieds dans l'eau ? Comment se retrouve- t - elle
au beau milieu d'un pâté de maisons à deux rues de la plage ?
Le voyant désemparé,
le vieil homme s'empresse de le rassurer et lui explique, qu'en son absence, de
gigantesques moyens ont été déployés pour gagner du terrain sur la mer. Des
travaux soutenus ont été engagés pour bâtir deux rangées d'immeubles et plus
loin un immense palais des congrès avec toutes ses annexes sur l'assise
récupérée.
Nacer demeure un
long moment silencieux, en proie à un combat interne. Ebahi par le véritable
exploit de ses compatriotes mais floué dans tous ses calculs et contrecarré
dans ses rêves.
Ainsi, il a
sacrifié la demeure parentale pour se rapprocher de la mer et il se retrouve,
après quelques mois d'absence, au point de départ avec, de surcroit, un capital
immobilier très dévalué.
Grande est sa
déception et il est définitivement convaincu que les hommes ont à la nature un
rapport étrange et inquiétant à la fois. Dans le pays où sa famille a émigré
les habitants de la côte sont confrontés à une toute autre situation.
La falaise est inexorablement attaquée par
les flots et les maisons qui, hier encore, surplombaient la grève, glissent
comme des brins de paille, englouties par les eaux.
La situation y est vécue comme un véritable
drame. Les victimes expiatoires d'une nature en colère avouent leur impuissance
devant la force des éléments et pleurent leurs paysages disparus.
Ils ont la compassion de tout le monde et la
solidarité s'organise autour d'eux.
Ici, dans son pays natal, les hommes,
enhardis par les ressources du sous - sol, s'attaquent à la mer, lui disputent
son espace et s'en emparent par la force.
Ils l'annexent à leurs éphémères propriétés,
y coulent leur béton et érigent leurs interminables tours.
Mais personne ne parle de drame. Au
contraire, cette violence est saluée comme une prouesse.
Le statut de victime est rarement reconnu à
la nature et encore moins à ses amoureux.
Mais tôt ou tard les éléments se font
justice.
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Posté Le : 05/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com