Algérie

Champs de navets


Champs de navets
«En attendant que ses légumes poussent, le paysan n'avait rien d'autre à faire: il n'avait plus qu'à poireauter» Marc HillmanLe tremble est là à la limite de la vaste exploitation agricole: il agite paresseusement sa verte et providentielle ombrelle par-dessus un grillage rouillé qui soutient une haie touffue de roseaux qui protège de la vue des passants indiscrets, les cultures secrètes pratiquées sous les grandes serres alignées comme de grands cocons poussiéreux sous un soleil de plomb.Tout contre le grillage, il y a une large pierre plate qui invite les promeneurs usés par la chaleur et la marche, à faire une halte pour goûter gratuitement les effets bénéfiques d'une rafraîchissante brise. Et là, assis face à l'immense tapis bleu d'une mer qui bouche l'horizon, on se surprend à égrener tous les petits problèmes du moment. Il fait chaud malgré tout. La rentrée sociale sera très chaude nous assure-t-on et déjà, tous les protagonistes de la comédie humaine, qu'elle soit sociale ou politique, au lieu de prendre des vacances non méritées dans un coin pourri, affûtent leurs armes et fourbissent leurs arguments pour faire face à toute éventualité qui risque de faire dévier de sa voie bien tracée, l'implacable et poussive locomotive qui traîne derrière elle, d'un pas sûr et serein, la lumineuse Révolution.Déjà, de multiples projets et plans sont concoctés par les alchimistes de la magouille politique. Il s'agit tout d'abord de sarcler les espaces où les mauvaises herbes ont tendance à s'installer durablement et à prévenir des épines qui risquent de gêner ceux qui flânent paresseusement en cueillant les fruits par d'autres semés. On nous dit que déjà, suite à l'avertissement donné par les institutions financières qui mesurent le flux fiduciaire qui s'écoule de la corne d'abondance ouverte pour calmer les bouches affamées des mécontents de plus en plus nombreux, que la loi de finances 2015 sera d'une austérité digne de celles d'avant Octobre 1988.Le premier secteur qui est visé parce que le marasme y dure depuis cinquante ans, est celui de la cinématographie:on soufflera en septembre les cinquante bougies du regretté Institut national du cinéma, avec l'absence remarquée de ses pères fondateurs. Il s'agira avant tout, nous disent ceux qui ont l'habitude de tirer des plans sur la comète ou de peindre la girafe, de former des professionnels de la cinématographie.Il ne s'agit pas seulement d'ouvrir une école pour donner des cours à de futurs directeurs de la photographie férus des sciences de l'art et qui seraient capables de vous faire en deux temps trois mouvements, un éclairage à la Véronèse et un cadrage digne du Titien ainsi qu'une palette chromatique à faire pâlir Jérôme Bosch, ni de sortir une promotion de monteurs capables de restituer en quatre coups de ciseaux le rythme d'un morceau d'un Khatchaturian en évitant toutefois les poncifs du montage attractif et de l'effet Koulechov. Il ne s'agira pas seulement de former des réalisateurs capables, à partir de deux feuilles maladroitement dactylographiées par une secrétaire pressée parce que l'heure est à l'urgence, un film dantesque digne d'une surproduction hollywoodienne à la gloire d'un soi-disant héros dont la grande vertu fut d'avoir été l'ancêtre du ministre à l'origine des deux feuilles dactylographiées. Il ne s'agira pas non plus de favoriser la vocation de scénaristes capables d'imaginer un coup d'Etat à l'intérieur d'un parti lui-même issu d'un coup d'Etat et dont la vie sera émaillée de dissidences.Ainsi, le coupable est la victime, dirait Guitry... Il s'agira, nous dit-on, de former des gestionnaires de la cinématographie, capables de donner un coup de fouet à une production agonisante, de faire redémarrer des laboratoires paralysés par une course effrénée aux marchés juteux des nouvelles technologies d'impression. Il s'agira, nous dit-on, de former des gens responsables et patriotes qui seront capables de faire ressusciter la production cinématographique, la cinéphilie sans pour autant avoir à signer des contrats avec eux-mêmes, à semer les négatifs dans les laboratoires européens et sans avoir surtout à semer des dinars pour récolter des dollars et finir, toute honte bue, leur vie en villégiature à l'étranger. Aux Champs-Elysées... comme dirait Drucker.


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