Algérie

Chahrazed vs Ben Laden, Islam: entre raison et dogme



Source d'inspiration de romanciers, poètes, illustrateurs, musiciens, chorégraphes. Fruits de songes et de mythes orientalistes.Objet de multiples traductions, les mille et une nuits sont arrivées à une dimension universelle, grâce au personnage de Sherazad (Chahrazed selon la phonétique arabe). Oeuvre anonyme, élaborée à travers les temps par des générations de conteurs, poètes, prosateurs et érudits méconnus, elle a été, et l'est encore de nos jours, méprisée par les lettrés arabes qui se méfient de son contenu, fruit d'une imagination excessivement dangereuse et débridée, et de sa langue parfois trop métissée. Chahrazed : la fascinante raconteuse d'histoires, le personnage qui donne une autre projection et une vision toute opposée à celle que les hommes avaient des femmes musulmanes. Rappelons donc les faits: Chahriyar, roi des perses, blessé et offensé dans son amour propre par les infidélités de son épouse décide de se venger de toute la gent féminine en faisant ramener chaque nuit une pucelle, qu'il fait tuer, une fois assouvi son appétit sexuel. Comme on ne trouve plus aucune pucelle pour le cruel rituel, Chahrazed, la fille du vizir, se porte volontaire pour affronter les griffes du lion et défier le destin. C'est alors que Chahrazed parvient à faire reculer jour après jour sa condamnation à mort en enchaînant et en captivant l'attention du Roi par le biais de ses contes interminables. L'heureuse issue de l'histoire qui commence aussi cruellement, est le triomphe de «l'éternel féminin» sur le mâle. Chahrazed, qui grâce à son intelligence, ses attraits et sa fantaisie force le destin, est le symbole le plus représentatif et le plus impressionnant de la femme musulmane libérée. Chahrazed ou la parole prisonnière. Chahrazed qui nuit après nuit lutte contre son destin, contre la tragédie d'être femme, contre la dure fatalité de n'être pas né homme. Et Ben Laden dans tout ça? Ben Laden ou l'anti-occidentalisme primaire. Ben Laden et ses apparitions à la télévision empoignant une «kalashnikov» et vitupérant contre le «Grand Satan» américain. Cette lutte récurrente et ancestrale entre Eros et Thanatos. Chahrazed, symbole de la beauté occulte et mystérieuse du monde arabo-musulman, de cette dévotion vers tout ce qui est beauté, de cette passion pour l'esthétique, la musique, la poésie, incarnation d'un islam des Lumières, de joie, d'amour, de paix face à l'intolérance d'un islam dogmatique, synonyme de violence, de mort, de guerre, d'une culture de la peur, personnifié par la figure de Ben Laden. Et parfois je m'interroge... Y a-t-il une place pour le rêve dans cet islam ? Y a-t-il une place pour la poésie lorsque décapiter un renégat, un apostat, un athée, un démocrate, un laïc, un communiste, un libéral, ou tout simplement quelqu'un qui pense différemment, est une manifestation dévote et pieuse de son amour pour Dieu ? Y a-t-il une place pour la raison lorsque monter dans un autobus chargé d'explosifs et tuer des innocents pour un kamikaze islamiste, est un acte d'immolation et de sacrifice pour l'amour de Dieu et son Prophète ? Y a-t-il une place pour la femme lorsque pour certains musulmans le Message de l'islam part du présupposé que le monde est composé exclusivement de mâles; lorsque les femmes se trouvent écartées de l'humanité et constituent même une menace pour elle ? Le tunisien A. Meddeb commente dans «La maladie de l'Islam» (Le Seuil, 2002), un des essais les plus pertinents sur l'islam, que le tragique et spectaculaire attentat du 11 septembre qui a ému et touché le coeur des Etats-Unis est un crime. Un crime commis et exécuté par des islamistes. Il constitue le pic et le point culminant d'une série d'actes terroristes qui ont suivi une courbe exponentielle et dont les origines peuvent être localisées et déterminées en 1979, année qui consacra le triomphe de l'Ayatollah Khomeïni en Iran et l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. Ces deux évènements eurent des conséquences terribles et considérables sur le renforcement du fondamentalisme musulman, la consolidation des mouvements intégristes et la diffusion et la propagation de leur idéologie, créant ainsi chez certains musulmans des sensations de ressentiment, amertume et ranc_ur envers « l'occidental », personnifié par « l'américain ». Une espèce de xénophobie épidermique s'empare alors des prédicateurs, les imams hystériques exultent, manifestant ainsi un anti-occidentalisme primaire : ils inventent donc un complot imaginaire attribué à « l'autre » qui devient alors « l'ennemi », coupable des désastres dont souffre leur communauté. Les déficiences du groupe, les carences des individus sont alors imputés à l'étranger perfide et maléfique. Ce ne sont plus nous-mêmes les musulmans et les musulmanes qui sommes les responsables de notre sort. Les malheurs qui touchent le musulman ont pour origine l'occident et...Israël. Il nous est difficile d'avouer notre propre échec. Nous nous créons un étranger imaginaire et abstrait, bouc émissaire de tous les maux dont nous souffrons. L'islam, en tant que philosophie et mode de pensée est cependant un phénomène complexe qui n'a pas toujours connu ces affrontements avec l'occident. De nombreuses fois, les deux entités se sont croisées, rencontrées, fécondées et ont exploité cet espace commun qu'est la méditerranée, avant que des monstres transforment une tradition fondée sur le principe de la vie et le culte du plaisir et de la jouissance en une funèbre et macabre course vers la mort. Abdelwahab Meddeb pense que si le fanatisme fut la maladie du catholicisme, il est sûr que l'intégrisme et la maladie de l'islam. Il est bien connu qu'en islam, il n'y a pas de clergé ; il n'existe donc pas d'institution qui codifie et légitime la parole divine. Cependant tout au long de l'histoire de l'islam, les candidats qui s'autoproclament savants ou exégèses musulmans sont légions. C'est alors que l'on voit proliférer imams, émirs, oulémas, chouyoukh dont les interprétations génèrent, multiplient et fortifient la sauvagerie, la barbarie et la haine : la parole coranique soumise à une lecture littérale et textuelle résonne et s'écoute dans l'espace marqué par le projet intégriste; elle obéit donc à celui qui veut être son libre interprète. L'évaluation historique est si pauvre qu'elle pousse certains observateurs à émettre le présupposé « exceptionnaliste » suivant : l'islam a crée un ensemble de circonstances qui empêche les pays musulmans de développer la démocratie et les condamne à une lutte éternelle contre « l'esprit des Lumières » et ceux qui le revendique : les libéraux et les démocrates. On en arrive même à penser que dire qu'un pays musulman puisse devenir démocratique, dans le sens occidental du terme, est une illusion du fait que l'islam considère les systèmes politiques occidentaux comme une expression profane et sécularisée de la société. L'histoire de l'islam peut être perçue comme celle de la lutte entre la raison et le dogme, entre le consentement et l'autorité, entre la résistance à la tyrannie et le despotisme. Sur cet aspect, il faut relever les apports théoriques de penseurs musulmans classiques comme Ibn Hazm de Cordoue, Ibn Rochd ou Ibn Khaldoun. Plus récemment, l'écrivain et sociologue marocaine, Fatima Mernissi écrit que l'islam a toujours été marqué par deux tendances: l'une, intellectuelle, qui spécule et analyse les fondements philosophiques du monde et de l'humanité ; l'autre, politique, résout les problèmes de la société en accourant à la violence. La première a donné lieu à une réflexion sur la raison pareille à celle de l'humanisme occidental ; la deuxième, dogmatique, pense qu'en éliminant «l'autre», on peut changer le cours des choses et des évènements. Le monde arabo-musulman traverse une crise religieuse. Crise de la foi avant tout. Pour une jeunesse déçue, abandonnée, humiliée, misérable, affamée et malade, l'islam actuel n'a pas su apporter une réponse à leurs nombreuses interrogations, et cela pour ne pas avoir su, à notre sens, mettre à contribution, comme l'ont fait les autres religions monothéistes (judaïque et chrétienne), les apports nouveaux des sciences humaines et sociales : la linguistique, l'histoire, la psychanalyse, la sociologie, etc. Il est manifeste que l'islamologie actuelle a été incapable de distiller un apport spirituel adéquat. La parole islamique n'a pas changé depuis des siècles. On se contente, dans le meilleur des cas, de condamner «le désordre», «l'anarchie», «les athées» ; de délimiter «le licite et l'illicite» ; de jeter l'anathème sur les hérétiques. Il y a très peu de chercheurs qui réalisent une approche nouvelle et sérieuse de la parole islamique et mettent à contribution les méthodes modernes de l'analyse de texte, comme Mohamed Arkoun qui utilise la sémiotique, Fethi Benslama qui travaille sur les méthodes psychanalytiques, les tunisiens Abdelwahab Meddeb et Farouk Bouhadiba ou encore l'anthropologue algérien Malek Chebel qui travaille sur l'identité, la psychologie et la symbolique musulmanes.  La rénovation de la théologie islamique est aujourd'hui d'une exigence primordiale. L'étude objective des sociétés arabo-musulmanes laisse transparaître cette nécessité de re-découverte du religieux. L'évidence d'une crise totale des relations de l'arabe, du musulman, de la musulmane avec son propre «être», avec la nature, avec «l'autre», avec Dieu, est notable. Les sociétés musulmanes impliquées dans des processus de changement sociaux radicaux, plus ou moins rapides, sortant à peine du joug colonial, se rebellant contre ce qui leur paraît être des désirs occidentaux d'hégémonie planétaire, continuent de livrer bataille contre leurs propres contradictions, contre le sous-développement économique et mental. L'islam doit re-trouver le débat et la polémique, découvrir de nouveau la pluralité des opinions, oublier la parole unique et communautaire, chercher et trouver ce lieu de paix et de dialogue qui permet la critique, la différence et le désaccord. Accepter que « l'autre » puisse avoir la liberté de penser différemment... et que le débat intellectuel récupère ses droits. *écrivain et enseignant


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