Algérie

Chacun s'amuse comme il peut ! Jeunesse et loisirs



Chacun s'amuse comme il peut !                                    Jeunesse et loisirs
Photo : Riad
Par Samir Azzoug
La «jeunesse», les «jeunes», ces mots à la mode ont remplacé dans bien des discours politiques ceux usités jusqu'à l'usure et galvaudés à s'embrouiller l'esprit : citoyens, patriotes et frères. Depuis des années et lors des campagnes électorales, cette tranche sociale majoritaire en Algérie est «draguée», charmée, mise en avant' certains tentent de la rassurer, d'autres de la décomplexer par rapport à ses «Héros» d'aînés. Des discours aux antipodes du vécu réel de ces pré-vieux dont l'existence est loin d'être un long fleuve tranquille, paisible et rassurant. Par la force du nombre, la légitimité historique en moins, la jeunesse algérienne subit de plein fouet toutes les insuffisances et tous les fléaux de la société, avec en prime 'par rapport aux ainés-' le temps qui dure longtemps. Ces insuffisances s'appellent : chômage, précarité, manque de perspective et de loisirs. Cinquante années après l'indépendance d'un pays libéré par ses jeunes, leurs descendants du début du XXIe siècle restent en marge d'une société groggy par un vécu traumatisant. Comment nos jeunes occupent-ils leur vie en attendant de changer de tranche d'âge ' Comment hibernent-ils, pendant cette multiple vacance, celle des bâtiments scolaires, universitaires, institutionnels et administratifs ' Un temps suspendu : le Ramadhan en été.
«La journée je dors. Après le F'tour, c'est la prière des tarawih. Ensuite, sur un trottoir de la cité, on fait une partie de domino avec les amis jusqu'au petit matin» c'est le quotidien ramadhanesque de Amine, chômeur de 25 ans habitant à Kouba, sur les hauteurs d'Alger. D'autres jeunes préfèrent se rendre dans l'une des nombreuses kheïmate de la capitale pour siroter un thé trop cher et écouter de la musique. Ramadhan, la nuit, accorde à cette jeunesse une période de rupture avec la monotonie d'une existence sans vie. Durant ce mois sacré, Alger, la capitale, qui ne vit que le jour, change de créneau horaire. Désormais, la cacophonie c'est à la tombée de la nuit. Durant cette période festive d'un mois, les jeunes Algériens voient leurs choix de loisirs augmenter considérablement. La mosquée pour les fidèles, les kheïmate pour les «nantis», les cafés pour les «anéantis» et pour le reste : la rue, les trottoirs' rien. «Il n'y a absolument rien à faire. La journée on passe notre temps à rouler dans la voiture d'un ami. Et le soir, quand on ne reprend pas la voiture, on reste là, dans la cité à fumer et discuter sur les bancs» se désole Hakim, la vingtaine. Les loisirs ' «On s'occupe comme on peut» poursuit-il. Si en plein cinquantenaire de l'Indépendance et durant le Ramadhan, mois de spiritualité et de convivialité, nos jeunes s'ennuient' que dire le reste du temps ! «C'est le désert» commente Sofiane, un adolescent en vacances. A quelques centaines de kilomètres au nord des oasis, la capitale n'offre pas beaucoup de lieux, ni de raisons de s'amuser et de se distraire. Ni pour les jeunes, ni les moins jeunes d'ailleurs. Dans tout Alger, il n'y a qu'une seule auberge de jeunesse. Les Maisons de jeunes érigées dans presque chaque commune sont aussi attractives qu'un tournoi de football sans ballon ! A Alger, il y a 170 associations de jeunesse, culturelles, sportives ou autres répertoriées sur le site du ministère de la Jeunesse et des Sports, mais en dehors de quelques évènements conjoncturels et sporadiques leur présence sur le terrain reste très minimaliste. A Alger, la capitale du pays, «si un jeune veut se défouler, il le fait dans sa tête», plaisante Amine. Sarcasme. Car la plaisanterie cache mal une réalité des plus amers. En l'absence de salles de cinéma, de lieux de détente et de rencontre, les jeunes étouffent. Il paraît que les salles obscures sont devenues des lieux de débauches. Les stades, des terrains de violence. Les cybercafés, des espaces de cybercriminalité. Les piscines, kheïmate et salons de thé, des attrapes- pigeons. Le bénévolat, de la crédulité. Quelle société de clichés ! Alors, il ne reste à cette jeunesse que d'essayer de sublimer la belle nature d'une Algérie gâtée par des sites magnifiques en y ajoutant des produits hallucinogènes, juste pour tuer l'ennui. 300 000 Algériens âgés entre 12 et 35 ans consomment de la drogue, selon l'Office national de lutte contre la drogue (Oncldt). La Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem) annonce près de 1,5 million de consommateurs occasionnels. Les agressions à l'arme blanche, la constitution de réseau de trafic et de banditisme, la prostitution' les jeunes ont créé leurs nouveaux loisirs pour pallier à ceux inexistants. Mais, il serait très réducteur de lier ces fléaux sociaux au manque de dancing ou de terrain de jeux. Le mal de la jeunesse algérienne est beaucoup plus complexe et sérieux que cela, malheureusement. Le jeune algérien, diplômé ou pas souffre du manque de perspective, du chômage. Le jeune souffre de sa marginalisation et son éloignement des centres de décisions. Il n'est pas acteur dans la vie de la société, juste un figurant. D'ailleurs, à défaut de l'entendre parler, on parle et décide à sa place. Car, il est de notoriété chez «les sages» que nos jeunes sont violents et insolents. On n'aime les entendre que lorsqu'on a besoin de leur fougue destructrice. Le jeune algérien souffre des mêmes maux que ceux ayant courbés le dos de ses aînés. Ces maux s'appellent corruption, bureaucratie, déni de citoyenneté, marginalisation, chômage, précarité' Alors, les loisirs, c'est le cadet de leurs soucis. Du moins pour la grande majorité. Cela dit, il existe bien une frange de la société pour laquelle les loisirs et autres sports sont au centre des préoccupations. Des jeunes bien nourris, bien logés et sans grand problème de survie. Une catégorie dite aisée ou gravitant autour, bien prise en charge par un système clientéliste. A voir le niveau de vie de cette catégorie d'«Algérie», on se pose la question suivante : ne doit-on pas relancer l'opération menée durant les années 1970 et 1980 pour réduire la fécondité en Algérie ' Il semble y avoir trop d'Algériens en ce début de XXIe siècle. En tous les cas, bien au-delà des capacités de gestion de ses dirigeants. Les responsables algériens ne peuvent rendre la vie agréable qu'à trois millions d'entre-nous (chiffre donné pour imager seulement). Ces trois millions peuvent avoir, selon les critères (ou les capacités) de gestion de nos dirigeants une vie digne de citoyens d'un pays pétrolier. Au-delà de ce nombre, la démarche est impossible. Et dans cette impossibilité, il y a 34 millions d'Algériens. Alors, que chacun s'amuse comme il peut.


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