Algérie

"Cette grève impose une double peine aux détenus"



Avocat et défenseur des droits humains, Salah Hannoun aborde dans cet entretien la grève des magistrats et l'ajournement de l'annonce des verdicts. Au-delà de cet aspect, il traite également des revendications des magistrats et de la problématique de l'indépendance de la justice.Liberté : Les verdicts des deux procès des détenus pour port du drapeau amazigh prévus pour hier et avant-hier n'ont pas été rendus à cause de la grève des magistrats. Quel est votre commentaire '
Me Salah Hannoun : Dans toute grève, nonobstant l'entité syndicale qui la déclenche, le service minimum doit être garanti car c'est une obligation légale qui est de nature à permettre la continuité du service public et la protection des droits des citoyens. Cela est valable pour les services hospitaliers, pour les transports et, a fortiori, pour une institution aussi sensible que l'institution judiciaire qui traite des droits et des libertés des personnes. Au-delà du rappel de cette maxime légale, à notre connaissance, le SNM a demandé à ses magistrats grévistes de traiter toutes les affaires urgentes pendantes devant leurs juridictions.
La question des référés d'heure à heure est mise en avant car elle concerne des urgences. Idem pour les dossiers des détenus qui sont censés être traités en priorité car il y va de leur liberté. Les magistrats ont l'obligation légale, confirmée par la roadmap de leur syndicat pour une meilleure gestion de leur grève, de statuer sur les cas des personnes en détention, conformément à la réglementation en vigueur. Ils ne l'ont pas fait, au détriment des droits des détenus.
C'est donc l'incompréhension totale face à ce qui s'apparente à un déni de justice. Cette grève impose donc une double peine aux détenus : en sus de leur détention arbitraire, elle les maintient dans leur statut d'otage d'un pouvoir politique qui les utilise pour imposer sa solution dite constitutionnelle, alors que nous sommes en dehors des balises constitutionnelles depuis le 4 juillet dernier. L'explication du SNM est attendue sur ces points.
Cette grève telle qu'elle est menée pénalise-t-elle plus le justiciable qu'elle ne met en difficulté le pouvoir '
Dans l'absolu, en tant que démocrates, nous soutenons tout mouvement qui va dans le sens de la défense des droits socioprofessionnels et politiques des citoyens. Comme tout corpus professionnel, les magistrats ont aussi le droit de réclamer des conditions de vie et de travail décentes. Cela dit, compte-tenu de la sensibilité de la situation actuelle et vu le contexte politique dans lequel nous évoluons depuis des mois, cette grève donne l'impression d'être anachronique.
Depuis l'élection du nouveau président du SNM, qui fait montre d'une vision progressiste de la justice, celle que nous portons et défendons depuis des décennies, nous les attendions sur l'épineuse question de la détention arbitraire des manifestants et des militants politiques pour des raisons fallacieuses. On attendait des magistrats qu'ils se démarquent de cette voie répressive du pouvoir qui ne repose sur aucune base légale. Pis, elle s'inscrit en violation des dispositions constitutionnelles et de toutes les conventions internationales ratifiées par l'Algérie et dont la portée juridique est supraconstitutionnelle.
Comment, en effet, considérer que le port du drapeau amazigh est une atteinte à l'unité nationale alors que tamazight est consacrée langue nationale et officielle dans la Constitution ' Tamazight n'est pas une notion abstraite. Un simple article dans une Constitution. C'est une langue, une culture, une identité et une histoire. C'est un vécu. Le drapeau amazigh est l'un des vecteurs de cette identité millénaire. Il ne s'oppose aucunement au drapeau officiel. Tamazight en tant que langue en est un autre. Avoir tamazight comme langue vernaculaire est-il attentatoire à l'unité nationale '
Selon la vision arabo-islamiste, oui. Selon nous, non, car c'est notre essence de vie. Comment justifier la détention des manifestants et des militants, alors qu'ils portent les aspirations de tout un peuple pour un changement démocratique ' Comment justifier le chef d'inculpation d'atteinte au moral de l'armée, alors que tous les militants se sont engagés pour une Algérie démocratique qui posera les jalons d'une armée moderne, au service de ses institutions et de son peuple, sous la responsabilité d'un pouvoir civil élu et légitime '
Un choix s'impose derechef : respecter les lois de la République, à commencer par les dispositions constitutionnelles, et protéger les libertés individuelles et collectives ou continuer à cautionner de jure une inique dérive autoritaire. Une telle mobilisation aurait dû se faire sur des principes et des valeurs transcendants, au-delà des questions de mutations professionnelles aussi légitimes soient-elles. Le syndicat a choisi la voie de la confrontation avec le pouvoir exécutif sur une base socioprofessionnelle, tout en cautionnant sa démarche électoraliste. Ce choix va à l'encontre des aspirations populaires. C'est toute la limite politique de la démarche.
Ne pensez-vous pas que les avocats, en tant que défense, doivent réagir face à cette situation '
Depuis le début, notre corporation s'est mise au diapason des revendications populaires car elles forment son socle : une Algérie moderne et démocratique, indépendance de la justice, défense des libertés individuelles et collectives, Etat de droit et autres principes fondamentaux. Plusieurs actions ont été menées dans ce sens : boycott des audiences, rassemblements et marches de protestation, déclarations dénonçant la répression, prise en charge bénévole des dossiers des détenus politiques.
L'action s'inscrit dans le cadre d'une stratégie d'ensemble qui prend en considération plusieurs facteurs. Cette grève en est un. L'objectif prioritaire, c'est la remise en liberté de tous les détenus d'opinion et l'arrêt de toute politique répressive, celle-ci ne reposant sur aucune base légale pour justifier ni les poursuites des manifestants, ni les mises en détention, ni les condamnations.
Tout est mis en ?uvre pour prouver que ce sont des détenus d'opinion car leur arrestation est en lien direct avec leurs activités et autres engagements politiques, pacifiques pour l'avènement d'une deuxième république démocratique, laïque, respectueuse de toutes ses diversités et dont la source du pouvoir est la souveraineté populaire.

Propos recueillis par :M. Mouloudj


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