Algérie

Cette embellie va participer à différer des réformes qui fâchent



Liberté : Les prix du pétrole ont fortement grimpé cette année, dans la foulée des hausses observées en 2021. Cette reprise s'annonce comme une opportunité pour l'Algérie en quête de renforcer les bilans et d'apaiser les tensions budgétaires. Selon vous, quelles sont les urgences qui s'offrent au gouvernement, dans une conjoncture plutôt favorable aux réformes 'M. S. Kahoul : La question la plus pertinente qui mérite d'être posée est : "Cette embellie financière trouve-t-elle un environnement favorable au lancement de l'économie '" Hélas non, elle viendra beaucoup colmater des dégradations observées depuis janvier 2020 que la pandémie est venue dégrader davantage.
J'entends dire que 2022 est l'année de l'économie. Il s'agit là d'une approche pastorale et bureaucratique parce que l'économie n'attend pas. En deux ans, nous avons beaucoup plus assisté à une détrition de l'ensemble des indicateurs macroéconomiques et des ressources sans qu'aucune réforme soit menée, en commençant par la réforme des institutions et la décentralisation pour rapprocher et faciliter la prise de décision.
Le renforcement des pouvoirs des walis est une centralisation de plus, qui nous renvoie au modèle de gouvernance des années soixante-dix et quatre-vingt, avec le risque de nous renvoyer à la rue Abane Ramdane parce que la centralisation est aussi le nid de la corruption. Cette embellie qui, en réalité, n'en n'est pas une, va servir à couvrir le déficit budgétaire qui, pour l'année 2022, représente 30 milliards de dollars. Economiquement parlant, il n'existe pas de projet économique assumé et cohérent autour duquel il y a consensus.
Deux exemples majeurs révèlent le niveau de dissonance. Le premier est le cahier des charges pour l'importation de voitures neuves qui, après deux ans, a consommé trois ministres sans voir le jour. Le second est l'absence de projet pour le devenir du secteur public marchand non stratégique. Et on est sur des va-et-vient sans trajectoires Pour moi, l'objectif serait le chargement de culture entrepreneuriale et managériale. Donc il faut avoir comme objectif le changement de paradigme qui, à terme, exclut l'état de l'économie pour le laisser se concentrer sur son rôle régalien et assurer la régulation. Nous avons besoin de décisions fortes pour créer le déclic et espérer sortir, à terme, la tête de l'eau et éviter un retour aux pratiques qui n'ont produit que les échecs.
Ma vision serait qu'on retire aux différentes tutelles des entreprises publiques économiques leur gouvernance ; il faudrait créer un organisme chargé de l'ouverture de leur capital à un taux où la gouvernance n'aura plus le pouvoir managérial, en commençant par les EPE, goulot d'étranglement de toute relance. Quant aux entreprises qui ont un good will pour finir par les entreprises déstructurées avec un bad will, ces dernières seront traitées au cas par cas. Et la gouvernance s'occupera, entre temps, à réformer l'administration pour une décentralisation planifiée dans le temps pour sortir de cette pyramide qui bloque tout lancement de l'économie.
Les femmes et les hommes ne sont pas des bureaucrates, c'est l'environnement et le mode d'organisation dans lesquels on les met qui les rend bureaucrates.
L'augmentation des recettes ne doit pas occulter le besoin pressant de reprendre les opérations d'assainissement des finances publiques et de rationalisation des dépenses afin de migrer vers l'équilibre post-pandémique tant attendu. N'est-ce pas l'un des défis majeurs du court terme que doit relever l'Exécutif '
Malheureusement, pour espérer assainir les finances publiques, il faut que cette embellie financière dure quatre à cinq ans, parce que sur ces cinq années, soit jusqu'à 2024, malgré la crise des ressources, la gouvernance n'a pas fait l'effort de réduire son train de vie en réduisant le budget de fonctionnement.
Bien au contraire, elle s'est permise des déficits à deux chiffres, financés par la dépréciation du dinar qui, en deux ans, a atteint 18% et sur les cinq années atteindra 37%, ainsi que par le financement monétaire (la planche à billet) sans qu'il soit assumé.
Je pense que cette embellie va beaucoup plus ? comme par le passé ? participer à différer les décisions de réformes qui fâchent, en l'absence aiguë d'adhésion et de confiance, que ce soit du citoyen lambda ou des opérateurs économiques. Pour mener tout cela, la rhétorique doit évoluer pour être plus juste et assumée au lieu de s'apparenter à une rhétorique usitée des années soixante-dix, dans laquelle les jeunes générations ni elles la comprennent, ni elles se retrouvent dedans.
Les indices démographiques sont venus remettre au goût du jour le besoin d'un plan d'investissement massif dans le but d'absorber le chômage et de renforcer le marché de l'emploi et, par-dessus tout, d'accélérer la diversification et d'améliorer l'offre interne en biens et services. Avec 45 millions d'habitants, quels sont les enjeux économiques de cette croissance démographique '
C'est la bombe à retardement ! Avec une croissance démographique de l'ordre de 2% et un niveau de vie beaucoup plus exigeant... La croissance économique, basée fondamentalement sur la croissance économique tirée par les hydrocarbures, ne crée pas de l'emploi. Le taux de chômage de 15% nécessite la création d'au moins 700 000 postes d'emploi par an pour être stabilisé. Les derniers chiffres officiels sont ceux communiqués par le directeur général de l'Anem, en novembre dernier, sur des chiffres arrêtés au mois de septembre. Sur 1,4 million de demandes reçues, seules 285 000 ont été satisfaites, soit environ 20%, avec un chômage d'universitaires de 33%. Cette situation devient endémique quand on sait que la population de moins de quarante ans représente 60% de la population totale. Elle exprime des besoins autres que ceux des autres générations. Ce niveau de chômage participe aussi beaucoup plus à la dégradation de la situation financière de caisses telles que la Cnas et la CNR. La solution n'est pas dans la mise en place d'une allocation-chômage qui, pour moi, va beaucoup plus soutenir l'inflation à deux chiffres déjà en place. Nous avons besoin d'une croissance de l'ordre de 7 à 8%, indépendante de la croissance des hydrocarbures, pour espérer stabiliser le chômage dans un premier temps et le faire baisser à terme. Hélas, ce modèle de gouvernance ne peut créer ni la croissance ni résorber le chômage ! Il est otage de ses pratiques usitées qui ne changeront qu'avec l'adoption d'un autre paradigme.

Propos recueillis par : Ali Titouche


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