Acculé, pointé du doigt, culpabilisé, banni de l'espace public, le fumeur ne peut plus jouir de son plaisir sans s'attirer le regard désapprobateur des autres. Pour les «négationnistes», accros: fumer ne tue pas et le plus bel exemple qu'ils avancent est toujours celui du voisin du coin, ancien docker qui est mort de sa plus belle mort, à 101 ans, avec deux paquets d'Afras dans la poche. Depuis le 1er janvier dernier, dans certains pays européens, griller une cigarette dans un espace public, frise le délit pénal. Pour chercher un travail dans ces pays là, il ne faut surtout pas déclarer qu'on est fumeur. C'est devenue une tare à ne pas afficher et le fumeur un paria. Car un fumeur est un malade en sursis que devra supporter la sécurité sociale sur le dos des autres contribuables. Spots télévisuels alarmistes, statistiques mortifères, tout est bon pour effrayer le fumeur qu'on dit vivre moins longtemps que les autres. Comment faire pour rentrer dans les rangs et prendre la sage et utile décision de ne plus devoir s'embourber les poumons de goudron. Telle est la question que bien d'adeptes de la cigarette à travers le monde se sont posés un jour. Il y a ceux qui ont réussi comme me le fera savoir Habib, un ancien fumeur qui dira avoir arrêté «d'un seul coup grâce à la sentence implacable d'un docteur effrayant qui m'a dit que la mort est toute proche si je n'arrête pas». Et d'ajouter que «la peur est plus forte que tout même s'il s'est avéré en fin de compte que je n'avais qu'une simple bronchite». Et d'autres qui essayent, rechutent et puis réessayent jusqu'à la victoire finale ou l'échec total. Des fois ils déclarent fumer que 2 ou 3 cigarettes par jour pour tromper le désir. De l'avis de tous «la désaccoutumance rend pâteux, dans les premiers jours, une angoisse sans pareille envahit le tout nouveau sevré. Il mange beaucoup; des friandises, du chocolat, dort mal, il boit du café noir à grande gorgée pour leurrer son manque de nicotine, il s'emporte pour un rien». Psychologiquement il est amoindri, fragilisé, il ne s'attend à rien qui fait plaisir, sauf à rêver d'une bouffée de cigarette, une toute dernière bouffée et puis, il le jure à lui-même et autres que c'est la toute dernière, comme entendu ici et là par les vaincus qui ont tenté à plusieurs reprises l'expérience. Mais au fond, tous les accoutumés savent que la solution c'est de savoir arrêter, un point c'est tout, et qu'importe la frustration. Le fumeur regarde son entourage avec envie, surtout les gens qui n'ont jamais fumé et se demande comment font-ils pour vivre sans la petite extase du matin, celle qui donne vie à la journée qui commence. Prenant son courage à 2 mains il ira chez le pharmacien commander un traitement à 3.500 dinars: des pastilles (patch) à accoler sur le bras et qui donnent la sensation du bien-être. Il s'habituera pendant 3 semaines, le temps de la cure, à cet exercice grâce aussi à l'autosuggestion, son entourage lui dit que son teint est beaucoup plus clair et ses joues sont moins creuses. C'est la joie d'un premier combat et d'une libération, même si elle reste fragile car «la dépendance, psychologique surtout, est toujours là enfouie au fond du désir», comme le fera savoir un médecin. Chaque jour qui passe est une nouvelle bataille et le souvenir de la fameuse blonde s'estompe au fil des jours. Mais chaque jour qui vient est aussi un combat des plus tenaces, il faut éviter les fumeurs et ne pas trop penser au vide qui habite l'esprit obnubilé. Un mois, deux ou trois mois plus tard c'est la victoire finale d'un combat livré à soi-même. En Algérie, le tabac comme produit de large consommation a fait son apparition dès le début du siècle dernier dans les villes en premier lieu. Les jeunes algériens enrôlés dans l'armée française pendant la première guerre mondiale introduiront la cigarette à leur retour en répandant la mode auprès du plus grand nombre. Avant cela, il y avait le tabac à rouler que ne fumaient que les plus aisés dans les salons de café et on mourrait tout aussi de la nicotine sans le savoir. Et la cigarette, c'était l'air de la liberté et de l'affirmation de soi pour marquer la présence tout en imitant ceux qu'on voyait déjà au cinéma comme des héros durs et solitaires. Jusqu'aux années 70, la cigarette n'était pas déclarée comme un fléau social. On fumait partout, dans les bus, dans les avions, dans le train, dans les administrations publiques et aucun ne trouvait rien à dire. La publicité dans les stades vantait souvent les mérites de telle ou telle marque de tabac. Nos intellectuels, en ces temps là, avec l'air grave et les cheveux en crinière, tenant à la main une cigarette, se devaient d'offrir l'image du penseur tourmenté et engagé comme le fut Jean Paul Sartre jamais photographié sans sa «Gitane». Dans les casernes on distribuait gratuitement El Moudjahid, une marque de cigarette sans logo, le moral des troupes ne passe pas que par le ventre. Il aura fallu attendre les années 80 pour voir se répandre l'idée de la nocivité de la cigarette. Les médias s'y sont mis et le tabac commençait à rimer avec les maladies. Il n'y a pas de chiffres officiels concernant le nombre de fumeurs dans notre pays. Cela est surtout dû à l'introduction de la cigarette de contrebande et, du coup, les statistiques sont faussées au départ. Mais les buralistes sont unanimes. Il y a de plus en plus de fumeurs, surtout parmi les jeunes, les adolescents notamment. Cigarettes de contrebande ou d'importation, tout y passe, surtout que celles de l'importation sont moins chères, 80 ou 90 DA le paquet. En effet, il y a beaucoup de jeunes qui s'initient trop tôt au tabac. Mais tout autant sont ceux parmi les accros qui essayent d'en finir une fois pour toute avec une accoutumance que quoi que l'on dise est désastreuse pour la santé et le voisin du coin, le centenaire n'est qu'une exception qui défie la règle.
Posté Le : 19/03/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : T Lakhal
Source : www.lequotidien-oran.com