Algérie

Ces petits détails qui nous empoisonnent la vie



La mine grincheuse de l'agent devant les guichets est souvent causée par un «rien du tout»La majeure partie de nos interlocuteurs a mis l'accent sur le fait que ces petits détails qui nous empoisonnent la vie ne peuvent disparaître qu'à une seule condition, que chacun fasse son travail correctement en évitant le bâclage.
Souvent, il suffit d'un petit, d'un trop petit détail pour que la journée soit gâchée. Et, ces petits détails se trouvent, malheureusement, partout. Le cadre de vie, objet de recherche de nombreuses écoles de psychologie dans les pays développés, est un segment royalement ignoré dans notre pays. Aussi colossales que soient les dépenses et les réalisations, elles deviennent sans effet sur le bonheur si ces petits détails, qui coûtent peu ou rien, ne sont pas inclus. Le lien entre ces petits détails, qui empoisonnent la vie, est bien décrypté par des sommités en psychologie à travers le monde.
Pour C. Levy-Leboyer, qui tente de comprendre la manière dont les habitants choisissent et aménagent leur cadre de vie, il s'agit de prendre connaissance des besoins psychologiques fondamentaux recherchés dans un cadre de vie. Le professeur s'interroge sur les besoins psychologiques comme le sentiment de sécurité, les qualités fonctionnelles de l'environnement. L'enquête menée a fait ressortir un large consensus quant aux besoins de la vie quotidienne tels que l'environnement naturel représenté par les arbres et l'air pur ainsi que l'aspect pratique et fonctionnel de l'environnement comme l'état des routes, la qualité des services publics, mais aussi les relations humaines. La relation entre le bien-être et le cadre de vie scientifiquement établie et bien qu'il soit difficile de résumer la «qualité de vie» à la qualité du «cadre de vie», il n'en demeure pas moins que bien des facteurs sont aisément décelables. On peut inclure la propreté des trottoirs, les bonnes relations de voisinage, l'état de la voirie, l'état des routes. La qualité de l'administration en général et la liste peut s'allonger encore.
Mais plus que toute théorie scientifique empirique, une journée sur le terrain, dans ce cadre de vie de l'Algérien suffit à elle seule largement pour rendre compte du malheur que l'on peut causer à soi-même.
Le cercle vicieux
Ce qui est plus dangereux dans cette situation, c'est l'entrée inévitable dans un interminable cercle vicieux. La cause et l'effet s'emmêlent lorsque la personne victime de ces tares du cadre de vie se retrouve, par la suite, dans la position de créateur de stress. Voyons cela sur le terrain. Une personne qui conduit sa voiture, entre dans un embouteillage de plusieurs heures. Avec la peur d'arriver en retard, la consommation de carburant, trop cher, et le mal de l'attente, elle arrive dans son poste de travail dans un état particulier.
En fait, le problème n'est pas si simple qu'il apparaît. Les victimes de ce mal deviennent elles-mêmes des causes. Si le guichetier à l'état civil, la poste ou dans les transports a mauvaise mine et grincheux c'est en partie à cause de ce cadre de vie. De victime, il se met presque inconsciemment à la place du bourreau une fois en poste, au travail. «Depuis quelque temps, je n'arrive plus à supporter oces encombrements. Ça fait vingt ans quand-même. Pis encore, c'est que l'embouteillage est créé parce que les services concernés ne veulent pas imaginer une solution. C'est pourtant facile de voir que quatre chemins débouchant tous sur une seule voie créent la saturation. C'est vraiment à cause d'un rien qu'on vit quotidiennement ce calvaire», fulmine un citoyen de Draâ ben Khedda. «Comment voulez-vous recevoir les gens avec le sourire après deux heures passées dans ce calvaire' Dans mon bureau, j'ai envie de hurler et de frapper ma tête au mur, voilà dans quel état on reçoit des centaines de gens à qui on transmet notre mal», explique-t-il.
Un enfer qu'on peut éviter à moindre frais
D'autres personnes s'insurgent contre les nids-de-poules et les ralentisseurs qui se trouvent à chaque mètre. «A la longue, ces trucs rendent la vie insupportable. Pourtant, ça ne coûte vraiment rien de boucher ces maudits trous. Sur le trajet que je fais chaque matin, je perds au moins une heure à ralentir et accélérer pour passer dessus ou dedans, c'est un désastre psychologique», affirme un automobiliste qui exprime sa préférence pour la vie dans les années 60 et 70. La mine grincheuse du serveur de café ou de l'agent devant les guichets est souvent causée par un «rien du tout» comme ces nids-de-poules, des ralentisseurs à chaque mètre. Elle peut même être causée par une autre mine grincheuse. «Je vous assure que la plupart des causes de notre colère au quotidien sont facilement évitables. On n'a pas besoin de budgets faramineux pour boucher un nid-de-poule qu'on rencontre chaque matin quand même», dit un autre citoyen désabusé par ce phénomène.
Ce colosse enragé par une dent
Enfin, beaucoup de personnes approchées affirmaient que nous sommes responsables dans nombre de nos malheurs. «Notre pays ressemble à un colosse enragé par une dent. Dans un espace de deux millions de kilomètres carrés, on trouve le moyen de se battre pour passer en premier devant un carrefour alors qu'on peut tous passer en respectant le Code de la route», constate avec amertume un vieux retraité. «C'est bien de construire des autoroutes à coups de milliards, mais il ne coûte pas quelques dinars de boucher les nids-de-poules et de désengorger les fossés et les buses de la boue. A quoi sert une autoroute si les eaux fluviales coulent sur la chaussée au lieu de passer dans les buses'», s'insurge un autre.
La majeure partie de nos interlocuteurs a mis l'accent sur le fait que ces petits détails qui nous empoisonnent la vie ne peuvent disparaître qu'à une seule condition. Que chacun fasse son travail correctement en évitant le bâclage. Notre cadre de vie a toutes les conditions matérielles pour une vie paisible, mais il manque affreusement du sens de la perfection.
Enfin, l'une des réponses obtenues, auprès d'un vieil homme qui ne parle que le kabyle a retenu, plus que toute autre, notre attention.
Le meilleur remède à ce mal qui nous empoissonne la vie est incontestablement d'être actif au lieu de rester passif. Pour se prémunir de ses effets, à la longue dévastateurs, la meilleure défense c'est l'attaque, c'est-à-dire de lutter pour le changer, l'améliorer... ce cadre de vie.


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