Algérie

Ces officiers qui ont dit non à la torture : Algérie 1954-1962 de Jean-Charles Jauffret, (Mémoires) - Éditions Autrement, Paris 2005



Ces officiers qui ont dit non à la torture : Algérie 1954-1962 de Jean-Charles Jauffret, (Mémoires) - Éditions Autrement, Paris 2005
Présentation

L'armée française, et plus particulièrement son encadrement supérieur, n'a pas tout accepté des dérives de la guerre contre-révolutionnaire en Algérie, en particulier l'emploi de la torture comme pis-aller des moyens de renseignement. à l'inverse d'une idée reçue, la leçon de la guerre d'Algérie, victoire militaire sur le terrain mais défaite morale et politique, a longtemps hanté les cénacles du haut commandement.

Quelles étaient alors les voix pour désavouer la torture et protester de l'intérieur, afin de ne pas cautionner l'irresponsabilité ? Qu'ils soient de confession catholique ou d'obédience marxiste, qu'ils agissent au nom de leur seule conscience ou au nom de l'éthique de l'officier, certains ont en effet dénoncé à l'époque, et même après la bataille d'Alger, les pratiques contraires aux traditions de l'armée, la banalisation voire l'"institutionnalisation" de la torture, au moment même où le général de Gaulle ordonnait la cessation des exactions en Algérie. Il y a donc bien eu un débat, de façon feutrée certes, et cet ouvrage entreprend de l'exposer et de l'analyser.

Hors de toute polémique, en croisant les sources - archives, fonds privés... -, ce travail livre le fruit d'une longue enquête auprès de cadres d'active et de réserve, au temps des derniers gros bataillons d'une République engagée dans un conflit dont personne ne voulait.

Les leçons discrètes de la «Guerre d’Algérie»
«Ces officiers qui ont dit non à la torture» n’est pas un simple hommage aux dizaines de militaires français qui se sont opposés à la pratique de la torture pendant la guerre d’indépendance algérienne. C’est aussi une étude richement documentée des conditions dans lesquelles la torture s’est banalisée dans les rangs de l’armée coloniale, sans jamais pour autant être officiellement institutionnalisée.

Spécialiste de l’histoire militaire française, Jean-Charles Jauffret examine dans la première partie de son livre l’attitude du commandement devant la pratique des interrogatoires musclés par les services de renseignements. Une «armée républicaine» - et, qui plus est, est censée agir en «territoire français» - a-t-elle le droit de recourir aux «pressions physiques» sur les détenus pour obtenir des informations? Cette question s’est tôt posée aux officiers des troupes coloniales, chargés de démanteler les réseaux d’un FLN tentaculaire encadrant rigoureusement les villes et les campagnes.


Si la majorité des officiers ont mis en veilleuse le code d’honneur de l’armée en couvrant les tortionnaires ou en leur infligeant des sanctions strictement symboliques, une petite minorité d’autres se sont conduits de façon plus glorieuse. Le plus connu est le général Pâris de la Bollardière, qui a franchi la barrière invisible du «devoir de réserve» en rendant publiques, dans la presse parisienne, les raisons de sa désapprobation des méthodes fortes des services de renseignement. D’autres officiers comme le colonel de Seguins-Pazzis - certes moins célèbres - n’ont pas été moins honorables. Ils ont régulièrement expliqué à leurs subalternes que la « lutte anti-subversive » ne pouvait s’accommoder de l’usage de la torture sans que l’armée y perde son âme.


Dans la deuxième partie du livre, l’auteur ébauche quelques portraits de militaires qui, par conviction religieuse ou idéologique, se sont élevés contre le recours à la torture. François Dureste, Jean Le Meur et Henri Péninou en sont quelques-uns, auxquels leur profonde religiosité a donné le courage de dénoncer les exactions de l’armée et les libertés excessives accordées aux services de renseignement par un commandement pressé de marquer des points contre le FLN. Marc Chevrel, René Paquet et Georges Alziari sont, quant à eux, des «officiers d’obédience marxiste» qui ont attiré l’attention de leurs supérieurs sur les «dérives de la guerre contre-révolutionnaire» et qui l’ont chèrement payé en mutations et mises en quarantaine.


La conduite de ces dizaines d’officiers prouve que la dénonciation de la torture et le refus d’y recourir étaient possibles. La torture n’étant pas institutionnalisée, les commandants des troupes disposaient d’une certaine marge de manœuvre pour refuser de l’employer, marge que beaucoup d’entre eux, malheureusement, n’ont pas utilisée en arguant des «exigences spécifiques de la guerre contre-révolutionnaire».


Dans le dernier chapitre, Jean-Charles Jauffret met en évidence l’influence de la guerre d’indépendance algérienne sur les codes militaires français. «[…] Les règlements actuels qui régissent l’armée sont directement inspirés d’une réflexion en profondeur sur les déviances et les erreurs commises pendant la guerre d’Algérie», affirme-t-il. Cette réflexion a été pudique et silencieuse puisque jusqu’à tout récemment, on s’obstinait encore à nier les exactions commises en Algérie et les universitaires qui les rappelaient étaient voués aux gémonies. Les leçons de la guerre d’Algérie n’en ont pas moins porté.

Dès 1966, le Règlement militaire de discipline générale a institué l’obligation de respecter les lois et coutumes de la guerre . Cette obligation a été rappelée en 1972 dans le Statut général des militaires et, en 1975, dans le nouveau Code de discipline. En 2000, le Guide du comportement du soldat semble avoir achevé de tirer les enseignements de la dernière grande aventure de l’armée française outre-mer, en stipulant clairement que «le soldat obéit aux ordres dans le respect des conventions internationales».


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