Algérie

Ces chefs d'entreprise qui défient l'état



Une revanche, justifie-t-il, sur l'administration qui étouffe fiscalement les opérateurs. «En sus du double paiement de l'impôt sur les bénéfices pour les EURL, il faut encore payer pour déposer un paquet de paperasses qui est déjà exigé par les services fiscaux», s'écrie notre interlocuteur. D'après lui, c'est une corvée bureaucratique de plus que de déposer les comptes sociaux «alors que le ministère du Commerce peut très bien obtenir les informations qu'il souhaite auprès de l'administration du fisc». Il se défend d'avoir une quelconque phobie de la transparence, et ce ne sont pas les amendes encourues qui vont le faire changer d'avis. Abderrahmane n'est pas un cas isolé, le front de la désobéissance est plus large. En 2010, près de 42% des sociétés commerciales inscrites au Centre national du registre du commerce (CNRC) n'ont pas déposé leurs comptes sociaux annuels. Sur les 86 997 sociétés enregistrées au niveau du CNRC, seules 50 514 l'ont fait, selon le tout dernier décompte du CNRC. Ces sociétés défaillantes sont de facto blacklistées sur le fichier national des fraudeurs, en vertu de l'article 29 de la loi de finances de 2009. Par conséquent, elles ne peuvent pas soumissionner aux marchés publics  et sont interdites d'opérations de commerce extérieur. Ce sont pas moins de 11 300 sociétés pour lesquelles le registre du commerce ne sera pas renouvelé, en application de l'arrêté portant limitation de la durée de validité du registre du commerce. Selon toujours les chiffres de CNRC, le secteur des services est l'une des niches importantes où le nombre des sociétés récalcitrantes a atteint quelque 13 100 entités, soit un taux de près de 34%. Le secteur des BTPH vient en seconde position avec 9497 sociétés contrevenantes (24,6%), suivies de 6752 entreprises industrielles. L'activité où l'informel prospère, le commerce de gros et de détail, n'est pas en reste avec 5675 sociétés hors-la-loi, soit un taux de 14,7%. Idem pour les activités de l'importation, de la revente en l'état et de l'exportation où 2860 entités  n'ont pas publié leurs comptes sociaux en 2010, soit 7,41%.
En 2009, il a été enregistré 49 170 dépôts, soit un taux de 49,7% des sociétés soumises au dépôt. Ainsi, le taux de croissance global est de seulement 2,7% par rapport à  l'exercice 2009. Des résultats jugés «en deçà des prévisions et des objectifs», selon le CNRC.
Les raisons du refus
Depuis quelques années, cet organisme public rattaché au ministère du Commerce a déployé des efforts pour ramener dans la légalité les  entreprises récalcitrantes : placards publicitaires pour rappeler aux sociétés leurs obligations, prorogations annuelles des délais de dépôt d'un mois, allégement du dossier de dépôt et du montant du droit d'enregistrement (passant de 25 000 DA à  20 000 DA) et ouverture d'antennes locales, etc. Si le taux des dépôts des comptes sociaux enregistre une augmentation depuis 2004, le front du refus demeure cependant ample. Un sondage réalisé l'année dernière par cet organisme invoque plusieurs raisons pour expliquer l'insubordination des opérateurs économiques. D'abord, «le peu d'intérêt» accordé par les chefs d'entreprise à  l'opération de dépôt des comptes annuels et «aux sanctions qui en découlent». Ensuite, «la difficulté» à  appliquer le nouveau système comptable et financier par certains comptables et commissaires aux comptes est venu compliquer les choses. Ces opérateurs hors-la-loi recourent à  un stratagème : la cessation d'activité, sans procéder à  la radiation du registres du commerce. En dernier lieu, on reconnaît au CNRC sans ambages «l'aspect non dissuasif» des sanctions infligées par la justice aux sociétés contrevenantes qui demeurent en deçà de celles prévues dans l'article 35 de la loi de 04-08 relative aux conditions d' exercice des activités commerciales. Celui-ci prévoit le paiement d'une amende allant de 30 000 à  300 000 DA. Bon nombre de patrons préfèrent par contre s'acquitter de l'amende plutôt que d'accomplir le dépôt légal, avouait récemment le ministre du Commerce.
  «L'image du pays est écornée»  
Interrogé sur le non-respect de cette procédure, Lyes Hamidi, docteur en droit, soulève le problème de l'absence totale de transparence dans la majorité des entreprises. «Les responsables des entreprises entretiennent le culte du secret. L'Algérien n'aime pas révéler sa fortune et son patrimoine. Aux USA, par exemple, c'est le contraire», souligne notre interlocuteur. «En Algérie, beaucoup  d'opérateurs économiques ne déclarent pas leur chiffre d'affaires. Ils ont peur d'être taxés», ajoute-t-il. La hantise que des tiers (institutions et organismes financiers, opérateurs économiques, ndlr) se saisissent d'«informations» dites stratégiques renforce aussi la dérobade des opérateurs, selon lui.   M. Hamidi évoque aussi la «négligence» et l'«ignorance» que font valoir des chefs d'entreprise. Cela dit, il soutient que le défaut de transparence entache l'image de marque de tout le pays. «Il existe un  manque flagrant de sérieux de la part des entreprises. Pour le tiers, le pays n'est pas transparent. C'est toute l'image du pays qui est ainsi écorchée», déplore-t-il. D'aucuns soulèvent (lire ci-dessous) la non-application stricte de la loi envers des contrevenants et plaident pour «l'introduction en droit des sociétés de la responsabilité pénale des personnes morales».


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