Algérie

«Ces agences dépassent les limites légales de leur travail»


Qu'est-ce qu'on entend par tourisme médical '
Le tourisme médical est défini comme étant l'acte de se déplacer de son propre pays vers un pays étranger pour des soins, mais généralement pour des raisons qui ne sont pas toujours les mêmes. Il y a les soins vitaux, qui concernent les indications médicales où la personne n'a pas forcément le choix, telles que la greffe du foie. Par ailleurs, les soins de confort font partie d'un choix personnel : réparer un nez ou faire de la chirurgie esthétique ne relèvent pas de la décision du médecin.
Quelles sont les raisons qui poussent les Algériens à choisir de se soigner à l'étranger '
Ou bien les soins ne sont pas disponibles dans le pays, ou bien ils sont disponibles mais sont très coûteux, donc le déplacement se fait pour des raisons économiques. Il y a également ceux qui se déplacent pour des raisons socioculturelles : comme dans notre société, où la chirurgie esthétique (remodeler ses lèvres ou améliorer son nez) relève de l'intimité.
Les patients préfèrent se déplacer, car ils jugent que c'est un acte intime qu'ils ne partagent qu'avec les personnes qu'ils ne connaissent pas, celles qui sont complètement étrangères. Ils peuvent même choisir de le faire dans un pays où ces soins sont encore plus chers, pour préserver leur vie privée.
Ce genre de cas on les trouve chez nous, parce qu'en Europe, par exemple, on considère cela comme un acte individuel. On est libre de changer une partie de son corps sans demander l'avis du voisin ou du cousin. Par contre, chez nous, on veut se faire beau ou belle, mais à l'abri des autres.
On préfère parler de cela après l'opération. Contrairement à l'acte médical, on fait tout pour faire parler de soi, on fait même des quêtes. On utilise les moyens de communication (Facebook), voire les médias (des émissions dédiées à des personnes qui nécessitent des prises en charge à l'étranger pour des soins inaccessibles), sans savoir réellement quelle est la part du vrai et du faux dans ces histoires.
Est- ce que réellement ces soins ne sont pas disponibles en Algérie '
C'est du cas par cas. Si la personne se déplace pour la transplantation du rein ou la greffe du foie, on sait que ces soins n'existent pas chez nous. Il y a eu quelques essais, mais on ne peut pas prendre en charge tout le monde. Il reste tout de même que ce sont des soins très coûteux.
Mais le plus important est de savoir que dans le cas des soins à l'étranger, il y a le bas de gamme et le haut de gamme. L'acte médical coûte dans certains pays quatre fois plus cher ou quatre fois moins cher. Cela diffère d'un pays à un autre et on ne sait pas pourquoi.
Si on prend l'exemple de la Turquie et de la France, alors que l'acte médical et les conditions médicales sont les mêmes, les prix appliqués sont différents. Il y a une voie qui s'ouvre vers la Turquie, qui est inexpliquée, un pays qui n'est connu depuis ces dernières années que comme une destination de tourisme médical.
Quels sont les risques que les patients encourent en choisissant ces destinations '
Dans le tourisme médical, la facture n'est pas arrêtée d'avance. Lorsqu'on vous dit que ça coûte 2000 euros, cela veut dire que la facture commence à partir de 2000 euros. Même la greffe de cheveux est un acte médical. Ce dernier est incontrôlable par la suite. Tout peut arriver. Il y a des gens qui font des complications, mais on ne voit pas ce volet-là dans un hôpital public, mais dans le privé, où le séjour est plus coûteux parfois que l'acte lui-même.
On fait signer des papiers aux patients qui, dans la majorité des cas, ne lisent même pas leur contenu. Alors que ces structures médicales protègent leurs droits à travers cette petite signature, notamment en cas de complications et de dépassement des délais, qui sont toujours à la charge du patient. Il y a eu en 2016 une dame qui s'est fait opérer en Tunisie pour des graisses abdominales et qui est décédée juste après l'intervention.
Bien qu'on ne puisse pas dire que l'opération ait été mal faite, on se demande néanmoins si ce risque avait été signalé dans le document qu'elle avait signé et si elle avait été suffisamment informée.
En général, ce n'est pas le cas. On ne diabolise pas tout ce qui se fait à l'étranger. Personne ne peut choisir d'aller se faire opérer à l'étranger si le même acte se fait dans les mêmes conditions ici.
La question qui se pose est de savoir si le patient est au courant du risque qu'il encourt. Car souvent, lorsque tout va bien, c'est tout le monde qui est content, mais lorsque tout va mal, c'est le patient seul qui assume les conséquences. Lorsqu'il s'agit d'un acte médical déterminé dans le temps, l'opération à l'étranger ne représente pas tellement un risque, mais quand il s'agit d'une maladie lourde qui demande un suivi, là on est dans une autre dimension.
Qui est censé envoyer un malade à l'étranger '
Lorsqu'un patient se présente et que le médecin traitant remarque une quelconque maladie qui ne relève pas de sa spécialité, la déontologie médicale, partout dans le monde, l'autorise uniquement à rédiger un rapport avec une orientation non nominative. Le médecin n'a pas le droit de citer le nom du médecin dans la lettre, il a juste le droit de citer la spécialité demandée. C'est au patient de faire son choix. C'est la règle, mais dans la pratique ce n'est pas toujours le cas.
Comment qualifiez-vous les pratiques de certaines agences de voyages qui se mêlent de l'orientation des patients '
C'est un dépassement par rapport aux limites légales de leur travail. Les gens ne mesurent pas les choses d'une façon réelle. Ce n'est pas parce que ça réussit pour quelqu'un que cela peut l'être toujours.
L'acte médical est individuel. En plus, si ça ne réussit pas, on vient vous demander qui vous a envoyé à cet endroit. Ces agences sont en train de s'impliquer dans un domaine où il y a une responsabilité médico-légale. Ces agences ne pèsent pas le risque qu'elles sont en train d'encourir. Je me demande si ce sont des engagements écrits ou verbaux. Cela fait la différence. Car si on met des patients en contact avec des cliniques à l'étranger parce que l'agence possède des contacts et des connaissances, là c'est différent.
Qu'en est-il de cette agence étrangère spécialisée dans le tourisme médical qui fait des pubs sur des chaînes privées algériennes '
La déontologie, partout dans le monde, interdit la pub de tout acte médical. Dans certains pays, les panneaux d'indication répondent à des normes réglementées du nombre de centimètres. Pour les cliniques également, il y a des normes citées dans les cahiers des charges. On n'a pas le droit de recourir à la publicité dans les médias lourds ni même dans les journaux pour les services.
On a juste le droit d'annoncer l'ouverture où le changement d'adresse. Ces mêmes personnes, qui font de la publicité pour des cliniques privées, n'ont pas le droit de le faire dans leur propre pays. Si on vous montre un couple qui rentre dans une clinique pour des soins concernant la procréation assistée et qu'il en ressort avec un bébé, on est dans le cas de publicité mensongère.
Le taux de réussite de la procréation assistée au Maghreb est entre 8 et 12%. Cette publicité est en contradiction avec les chiffres officiels. C'est très rare qu'on dis aux couples qu'ils ne peuvent pas réussir une grossesse. C'est tout le monde qui est traité dans ces cliniques, même s'ils ont très peu de chances.
Ce qui explique l'un des taux les plus faibles de la procréation assistée. On n'a pas de recul suffisant, il faut 15 à 20 ans pour évaluer le parcours et les situations qui vont se présenter et les conséquences. Chacun doit respecter les limites de sa fonction. Ce qui dérange dans les soins à l'étranger, c'est cet intermédiaire qui n'est pas du corps médical.
Cet intermédiaire doit être une structure hospitalière. Plus on fait de conventions et de partenariats écrits, plus le patient est protégé. Parce que la première structure va rédiger un rapport pour envoyer le patient et la structure d'accueil va s'engager par rapport à cette première structure. Mais quand on met son dossier et son destin entre les mains d'une agence de voyages, bien sûr qu'on se trompe de cible.
Comment évaluez-vous les structures de santé publiques et privées en Algérie '
Il faut faire plutôt la comparaison entre les hôpitaux algériens et tunisiens pour voir la différence. Il y a une difficulté à gérer les structures publiques, cela est évident. Côté privé, les cliniques sont dotées de toutes les commodités et moyens pour mener à bien leur travail. En Algérie, les cliniques privées ont contribué énormément à l'évolution du secteur de la santé. Quoiqu'on en dise, il faut voir combien d'actes opératoires, combien de problèmes de santé ces cliniques ont réglés. Si ces cliniques n'existaient pas, tout ce poids aurait pesé encore sur la santé publique qui est déjà en difficulté.
D'ailleurs, un médecin privé ou un médecin public font tous partie de la santé publique. Un patient qui va trouver son médecin privé fermé va aller à l'hôpital, donc c'est une charge de plus pour le public. Mais dans l'expérience de la médecine privée, nous sommes toujours au début. Nos cliniques ne datent que des années 1990.
Le problème est qu'on est un plus sévères avec le privé qu'avec le public, je ne sais pas pourquoi. Il y a des visites inopinées dans des structures privées, que je salue, mais j'aimerais bien que ces visites se généralisent au public. Ce sont les mêmes citoyens qui se font opérer dans le privé et dans le public, il faut que leurs droits soient protégés dans les deux secteurs. Il faut que ce soit comme en Europe, l'acte de se déplacer dans le privé ou le public est un acte individuel. Pour l'exercice du métier de médecin dans le privé ou le public, il faut qu'il soit aussi un choix personnel.
On ne voit pas en Europe des cas où le médecin du privé gagne dix fois ce que gagne un médecin dans le public. Ce n'est pas logique. C'est une équation boiteuse. Cela doit renter dans l'ordre pour qu'il n'y ait pas d'hémorragie vers le privé à l'intérieur du pays ou carrément vers l'étranger.
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