Algérie

Certains producteurs traitent les artistes comme des sacs de pommes de terre ! Bahia Rachedi. Comédienne



Certains producteurs traitent les artistes comme des sacs de pommes de terre ! Bahia Rachedi. Comédienne
Bahia Rachedi sera la reine Aïcha dans le long métrage L'Andalous, de Mohamed et Amina Chouikh. La sortie de ce film fort attendu est prévue les prochaines semaines. El Watan Week-end a rencontré la comédienne au Festival national du théâtre féminin de Annaba.
- 1. Vous attendiez-vous à ces honneurs au Festival national du théâtre féminin '

J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à être honorée ici. L'année écoulée, Sonia Mekkiou (commissaire du festival) m'avait invitée pour la première édition du festival. Je n'ai pas pu être présente. Cette année, j'ai été surprise d'être conviée à y assister en tant qu'invitée d'honneur. Cela m'a beaucoup touchée. La reconnaissance fait toujours plaisir à l'artiste. J'ai été honorée dans une grande ville, Annaba. Une ville d'art et de culture.

- 2. Quid de la présence de la femme au théâtre '

Insuffisante ! Cela dit, je constate qu'au théâtre, on traite les mêmes sujets liés à la femme : le mariage, le divorce, le conflit avec l'homme, l'époux' Pourtant, les problèmes de couple existent partout. Je souhaite que les questions liées à la situation de la femme soient traitées d'une manière plus sérieuse au théâtre. Le théâtre n'est pas un art simple. C'est un art vivant. Et toute erreur est détectée par le public, ça ne rate pas (')

- 3. Qu'en est-il des textes dramaturgiques actuellement '

Les gens se font de la concurrence sur des futilités. Tu achètes un habit de couleur verte, j'achète un habit de couleur verte avec une autre nuance. Tu as écrit une pièce sur un tel sujet, je fais une pièce traitant du même sujet. Résultat : on se répète et on fait la même chose. On a l'impression qu'il n'y a aucun effort fourni en matière de création dramatique. Il faut qu'on cesse avec cette mauvaise habitude de voir des pièces mises en scène, scénographiées et écrites par la même personne. Il faut bannir cette tendance à vouloir tout faire sur scène. Qu'on laisse l'occasion à d'autres de créer, de faire des propositions, de montrer leurs capacités. Il y a par exemple des séries et des feuilletons diffusés par les télévisions étrangères depuis vingt ou trente ans. Le spectateur ne s'ennuie pas, car l'histoire évolue, change' Ce n'est jamais la même chose. Je regarde Amour, gloire et beauté (ce feuilleton américain, dont le titre original est The bold and the beautiful, a été créé par Lee Phillip Bell et William Joseph Bell en 1987 et diffusé depuis dans 130 pays jusqu'à aujourd'hui) depuis longtemps. Comme ils sont plusieurs scénaristes à écrire pour ce feuilleton, plusieurs décorateurs ou réalisateurs, l'histoire est en perpétuel changement, les scènes et les dialogues ne se ressemblent pas'

- 4. Quels sujets vous voudriez voir sur scène '

J'aime le théâtre qui s'exprime en arabe classique, el fosha. Je m'intéresse aux thèmes sérieux. J'ai beaucoup apprécié la pièce Nissaa bila malamih (femmes sans traits) qu'a mise en scène Mohamed Islam Abbas (à partir d'un texte irakien adapté par Rabah Houadef). Les comédiennes sont d'un bon niveau, avec un jeu et une diction corrects. C'est le genre de travaux dramatiques que je veux voir sur scène. Il y a aussi les sujets historiques. La pièce Djamilate, de Sonia Mekkiou m'a beaucoup plu aussi. J'aime le théâtre qui brise les tabous. Il faut le faire sans provoquer les gens et susciter des réactions négatives. Le théâtre doit pouvoir dire ce que les gens ne peuvent exprimer chez eux, sur le lieu du travail ou dans la rue.
- 5. Peut-on parler d'une crise de texte au théâtre '

Il y a une crise, oui. Ecrire et mettre en scène une pièce, ce n'est pas la même chose. Certains ne veulent pas acheter des textes sous prétexte que c'est coûteux. Ils écrivent eux-mêmes leurs textes croyant bien faire. Le spectateur est la victime de ce genre de pratique.

- 6. Comptez-vous faire un retour sur les planches '

Le retour sur les planches exige beaucoup d'énergie physique. Mon dernier rôle joué était dans la pièce El Boqala en 2007 avec Sid Ahmed Kara. J'ai joué aussi dans la pièce Les enfants de La Casbah, de Fouzia Aït El Hadj. Je ne suis plus capable d'interpréter le rôle que j'ai assuré dans cette pièce. Cela exige beaucoup de temps et énormément d'énergie. Je n'ai ni l'un ni l'autre ! Ma situation morale ne me permet plus de remonter sur scène. L'artiste algérien vit sur ses nerfs. Tout le temps. Il y a peu de travail pour nous malheureusement. Aujourd'hui, l'artiste cache sa maladie pour qu'il ne soit pas mis de côté dans les projets. C'est une véritable souffrance. Un drame.
- 7. S'agit-il d'une marginalisation des artistes '

Ce n'est pas une marginalisation. Cela est lié à la faiblesse de la production artistique en Algérie. La Télévision nationale ne produit presque rien comme 'uvre de fiction. Elle achète ce qu'elle diffuse de producteurs privés. Des producteurs qui souvent manquent de professionnalisme et traitent les artistes comme des sacs de pommes de terre ! Ils font tout pour réduire les dépenses et limiter les soldes des artistes. Ils ne mettent rien à la disposition des artistes, ni restauration, ni moyens de transport, ni costumes. Rien. Tant qu'il n'y a pas de loi qui impose des pratiques claires entre producteurs et artistes, la situation ne changera pas. De plus, je pense qu'il est préférable que les artistes restent liés par contrat à la Télévision nationale. Moi, je fais confiance à la Télévision nationale.

- 8. Vous faites partie du Conseil national des arts et des lettres (CNAL) que préside Abdelkader Bendamèche. Sur quels dossiers planche actuellement le conseil '

Il n'y a pas de base ou de loi de référence pour lancer les travaux. Les artistes travaillent depuis des décennies sans loi qui les protège. Des artistes livrés à eux-mêmes, en nage libre ! On ne peut donc pas tout régler en trois ou quatre mois. Il faut du temps. Nous avons commencé avec un lourd dossier, celui de l'adhésion des artistes à la CNAS (sécurité sociale). Cela leur permettra d'avoir des cartes pour se soigner, pour avoir des prises en charge en cas de maladie, bénéficier du régime de retraite et garantir le capital décès pour leur famille. Tout cela est nécessaire, voire obligatoire, pour les artistes. Cela les met en confiance pour qu'ils puissent travailler tranquillement. Nous venons à peine de terminer l'examen, la préparation et l'adoption de ce dossier. Nous avons fait des propositions qui seront transmises au ministère de la Culture et à d'autres départements ministériels. D'autres dossiers seront ensuite ouverts comme celui relatif aux contrats avec les producteurs. Il ne faut plus que les artistes attendent des mois, voire des années avant d'être payés par ces producteurs.
- 9. Et qu'en est-il de «Djazaïriet», l'émission hebdomadaire que vous animez sur la chaîne El Djazaïria '

C'est une nouvelle expérience que je ne peux pas évaluer pour l'instant. Mais je sais que je donne le meilleur de moi-même dans cette émission. Je dis ce que je n'ai pas pu dire en quarante ans de carrière. Et croyez-moi, j'exprime tout ce que je pense. Il y a même des petites révélations. Je ne me retiens pas. Les filles qui sont avec moi dans cette émission le savent. Les gens aiment le langage de la franchise. Le téléspectateur de 2013 est éveillé. Il est au courant de tout. Il refuse qu'on se moque de lui. Il s'intéresse à l'image et au contenu. Il fait attention à ce que vous dites à l'antenne. Les gens m'envoient des messages sur facebook. Ma fille a ouvert un compte sur ce réseau social. Cela me permet d'interagir avec les téléspectateurs même si facebook n'est pas ma tasse de thé !


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