Sur la place du
Palais-Royal, en ce mardi 26 mai 2009, des femmes et des hommes protestent sous
un ciel d'azur alors que les heures précédentes n'ont été que nuages sombres et
trombes d'eau sur la ville. Face au Conseil d'Etat, ils disent tout simplement
non. Ils clament leur indignation, peut-être même leur colère. Mais ils ne
bougent pas, ne martèlent aucun slogan, ne brandissent aucun poing et seuls
quelques-unes et quelques-uns portent sur leurs dos des pancartes. Il est
dix-huit heures trente, c'est la sortie des bureaux, la rue de Rivoli, comme de
coutume, est encombrée mais pas plus le vacarme de la circulation que le
grondement souterrain du métro ne sont audibles.
En réalité, c'est
le silence de ces manifestants qui est assourdissant. C'est lui qui pèse sur la
place, rendant secondaire toute l'agitation des alentours. C'est lui qui prend
le passant ou le touriste à la poitrine ou à la gorge et le fait se retourner,
s'inquiéter, parfois s'éloigner après s'être demandé ce qui peut bien se
passer. C'est ce silence qui transforme la place en clairière, en sanctuaire.
Combien sont-ils
? Cent ? Deux cents, peut-être. Une journaliste dépêchée par un quotidien
populaire les compte un par un. Ils ne sont ni masse, ni paquets humains ni
foule gesticulante mais ils composent au contraire la plus belle forme
géométrique, égalitaire et solidaire. Ils forment un cercle. Un Cercle de
silence qui va durer une heure. Soixante minutes d'interpellation muette. Une
heure pour «dénoncer les traitements inhumains réservés aux migrants du seul
fait qu'ils n'ont pas de papiers en règle.» Une heure pour interpeller les
consciences d'un pays, dit des droits de l'Homme, dont des lois, décrets et
circulaires «brisent des vies humaines et font voler en éclat des couples et
des familles.»
Nombre d'entre
eux, mais pas tous, sont croyants. Des «cathos» comme l'on dit ici, avec
parfois cette petite moue de mépris qu'arborent les ultras de la laïcité pour
discréditer ceux qui, envers et contre tout, gardent et affichent leur foi. Ces
croyants savent, n'ont pas oublié, ce que cette phrase de l'Eternel signifie :
«Tu accueilleras l'étranger.» D'autres sont là par conviction, celle qu'inspire
le devoir d'humanité face «aux interpellations au faciès», face à
«l'enfermement d'hommes, de femmes et même d'enfants dans des centres de
rétention administrative et leur expulsion.» Tous n'acceptent pas que «la
France refuse sa protection aux demandeurs d'asile qui sont exposés à de très
graves dangers en cas de retour dans leur pays d'origine.» Tous dénoncent et
refusent «cette chasse aux étrangers qui inflige des traumatismes profonds à
ceux qui en sont les témoins, à la société tout entière, aux enfants particulièrement.»
Au centre du
Cercle, brûle la flamme d'une lampe à pétrole posée à même le sol. A bonne
distance des unes et des autres, elle incarne tant de choses, tant de souffles,
de mémoires d'hommes, d'espérances. Elle rappelle que, de tous temps, l'Humanité
réunie autour d'un feu a su trouver les moyens de survivre et de faire face aux
épreuves les plus dures. A entendre ce Cercle, à l'observer, à le partager,
l'on se sent homme parmi les hommes. Et l'on réalise aussi la puissance du
silence.
Une heure sans
parler, à rester immobile, les bras pendants, derrière le dos ou croisés. Une
heure d'intériorité. Une éternité. Ce silence vaut mille violences contre
l'iniquité, l'injustice et toutes ces tares qui, justement, savent si bien se
nourrir de la violence pour se renforcer et triompher.
Un cercle, deux
cercles, dix, ils sont désormais plus de 140 à se former ici et là dans
l'Hexagone, tous les troisièmes vendredis du mois mais aussi lorsque des
circonstances exceptionnelles l'exigent comme en ce mardi, lendemain de
l'ouverture de la morne campagne électorale pour les élections européennes (*).
De six à huit mille participants. Encore plus demain, sûrement. Il ne s'agit
pas de manifestations banales mais d'un rassemblement «d'humanistes épars»,
d'une «objection de conscience», d'une révolte non violente avec «l'arrêt de la
politique d'enfermement et d'expulsion des étrangers» pour seul mot d'ordre
général. Il y a souvent deux France. Il y a celle que l'on moque et celle que
l'on admire ; celle que l'on honnit et exècre et celle que l'on aime et
respecte ; celle qui accable et désespère et celle qui redonne espoir et foi
dans et à l'Humanité. Celles et ceux qui composent, mois après mois, les
Cercles de silence, font assurément partie de la seconde. Ces femmes et ces
hommes sont l'honneur de leur pays, sa conscience et leur mérite est grand que
de vouloir «que la France redevienne un pays d'accueil sans cesse enrichi et
transformé par des êtres humains venus du monde entier.» Leur rendre hommage
n'est pas qu'un simple remerciement mais une obligation. Un devoir pour que
l'on sache, au Sud comme au Nord, qu'il existe des Françaises et des Français
qui, comme d'autres avant eux, ne craignent pas de se lever pour dire non quand
tant d'autres se couchent ou détournent la tête.
(*) Les prochains
Cercles se tiendront les 19 juin, 17 juillet, 21 août et 18 septembre
(http://cercledesilence.info/).
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Posté Le : 28/05/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid
Source : www.lequotidien-oran.com