Messali Hadj, en résidence forcée à Reibell, adressa une correspondance le 1 mars 1944 à l’Administrateur de la commune mixte de Chellala-Reibell pour demander l’autorisation d’aller passer la fête du Mouloud auprès de sa famille et de lui rappeler: «Vos connaissances, monsieur l’Administrateur, des affaires islamiques m’évitent d’insister auprès de vous sur le rôle important que joue cette fête dans la société musulmane».
Il se souvenait des 7 jours de fêtes qui se déroulaient à cette occasion dans sa ville natale.
Entre les prières de l’Asr et du Moghrib à la Grande Mosquée de Tlemcen, on récitait dès le début du mois de Rabi’ 1 de chaque année, les 24 Séances poétiques de Sidi Barkât Al ‘Arousy (877 H/1472 JC). Dans certaines mosquées de quartier, le poème d’Al-Barzendji (1103 H/1691 JC) était à l’honneur. Dans la zaouïa ed-Darqaouiya de Hadj Ben Yellès où il avait participé tout jeune aux récitations quotidiennes de la Bûrda et Hamziyya de Sidi Al-Bousairî (696 H/1295 JC).
Il se rappelait lorsque le souverain de Grenade invita Ibn Merzouk Al-Djedd pour célébrer la nuit du Mouloud à l’inauguration de son grand palais (763 H/1361 JC). Ces jours de fêtes étaient l’occasion de déguster «taknatta» ou du «mchahad» ou quelquefois du «thrid bi-djâdj».
Il se rappelait ces lustres ou «triyyât» que fabriquaient tous les menuisiers de quartier pour permettre aux enfants d’illuminer leur maison avec les bougies et d’exposer les bonbons qu’on se transmettait de l’époque de Sidi Al-Halwi. Le «fanîd» du Mouloud de Tlemcen n’avait aucun égal.
 Ibn Khalikan nous décrit la nuit du Mouloud célébrée en 604 H/1307 JC à Ervil près de Mossoul par le roi Al-Moudhâffar Ad-Dîn, un des beaux-frères de Salah Ed-Din Al-Ayyoubi qui doit sa célébrité aux soins apportés à l’organisation de la célébration de la nuit du Mouloud. Ceuta aussi eut ses nuits prestigieuses du Mouloud de 1249 à 1278 selon Al-Maqqary, et «pour endiguer l’influence des festivités chrétiennes de la nativité de Jésus en Andalousie musulmane et par voie de conséquence à Ceuta», selon Ibn ‘Idâri dans Al-Bayân Al-Mughrîb.
 Ibn Djubayr, à la fin du VIe/XIIe siècle, nous signale qu’à cette occasion, La Mecque se caractérisait «par une augmentation du nombre de visiteurs de la maison natale du Prophète qui restait exceptionnellement ouverte toute la journée à cette fin».
 Les Fatimides avaient institutionnalisé la fête du Mouloud depuis l’an 362 H/973 JC au même titre que le Nouvel An hégirien ou ‘Achoura, ou l’Ennayer ainsi que l’anniversaire de Ali, Fatima et du Prince régnant.
La nuit du Mouloud était célébrée au Méchouar avec une splendeur et un éclat inaccoutumés dans le monde, avant de devenir une fête populaire dont la tradition s’est transmise de génération en génération à Tlemcen et surtout dans le Touat où émigrèrent les Tlemcéniens lors de la chute des Zyanides.
 Une réception grandiose était donnée la nuit du 11 au 12 de Rabi Al-Awwal dans un des palais du Méchouar. Une profusion de coussins, de divans et de tapis garnissait l’immense salle d’apparat. Des candélabres se dressaient de proche en proche, pareils à des colonnes dressées sur des socles de cuivre doré. Chaque invité avait sa place fixée: il y avait aussi bien de braves gens du peuple que des commerçants, des artisans, des étudiants et des notables. Des pages revêtus de tuniques aux couleurs variées circulaient parmi les convives. Tantôt ils promenaient des cassolettes et des encensoirs d’où des fumées d’ambre gris répandaient des nuages dans l’atmosphère et emplissaient les narines des assistants, tantôt ils aspergeaient d’eau de fleurs d’oranger de sorte que chacun en eût sa part de plaisir. Les tables, par leur éclat et forme, ressemblaient à des lunes. Les plats étaient pris pour des parterres fleuris. Leur vue était un régal pour les yeux et leur parfum un délice pour l’odorat. Après quoi venaient les plus beaux fruits qui puissent se voir, et enfin les gâteaux.
 Le Roi, en l’occurrence Abou Hammou Moussa II, et plus tard son fils, Abou Tachfine II, assis au milieu de la salle, sur son trône, les jambes croisées, gardait le silence et l’immobilité qui sied à un monarque. Dans l’intervalle des heures, on procédait à la récitation d’abord du poème composé par le Roi. Un héraut, choisi pour la douceur de sa voix, se plaçait sur une estrade vis-à-vis du monarque et récitait ou chantait le poème en scandant la mesure. Puis venaient les poèmes composés par les secrétaires de la cour:
 - Abou Zakariya Yahya Ibn Khaldoun, le frère de Abdderrahmane;
 - Mohammed Ben Youcef Al-Quîssi;
 - Al-Hadj Abî Abdallah Mohammed ibn Abî Djam’a et-Talâlissi, le docteur-poète.
 Chacun rivalisait d’éloquence et d’habileté à la gloire du Prophète. Un orchestre de Karîdj sévillan exécutait des airs de mélodies dans les intermèdes.
 L’objet de curiosité à tous était le Coffre de la Mangâna qui était orné de figures d’argent d’un travail très ingénieux. Sur le plan supérieur de l’appareil, s’élevait un buisson sur lequel était perché un oiseau avec ses deux petits sous les ailes. Un serpent, sortant de son repaire situé au pied de l’arbuste, grimpait lentement vers cet oiseau, pour s’emparer des petits. Sur la partie antérieure, il y avait dix portes, autant que l’on compte d’heures dans la nuit. A chaque heure, une de ces portes tremblait et faisait entendre un frémissement aux deux extrémités latérales où se trouvaient deux autres portes plus hautes et plus larges que les autres. Au-dessus de toutes ces portes et près de la corniche, l’on voyait le globe de la lune qui se mouvait sur une trajectoire et représentait exactement la marche naturelle que cet astre suivait alors dans la sphère céleste pendant cette nuit.
 Au commencement de chaque heure, au moment où la porte qui la représentait, se trouvant placée au centre, faisait entendre son frémissement, deux aigles sortaient tout à coup par les deux grandes portes, chacun d’eux tenant en son bec un poids de cuivre, qu’ils laissaient tomber avec eux dans un bassin en cuivre. Ces poids entraient par un trou qui était pratiqué dans le milieu du bassin et roulaient dans l’intérieur de l’horloge. Alors le serpent, parvenu au haut du buisson, poussait un sifflement aigu et mordait l’un des petits oiseaux, malgré les cris du père. A ce moment, la porte, indiquant l’heure qui se terminait, s’ouvrait toute seule. Il en sortait une jeune fille, à la taille prise dans une ceinture, aussi gracieuse qu’il se puisse voir. De la main droite, elle présentait un feuillet où le nom de l’heure se lisait à travers une petite pièce écrite en vers. La main gauche, elle la tenait placée sur sa bouche comme pour saluer.
 Ce n’est qu’après avoir présidé à la prière en commun du Fadjr, que le Roi se retirait dans ses appartements.
 Cette horloge était l’oeuvre de l’ingénieur en automates de l’époque, le très célèbre Aboul-Hassan Ali ben Ahmad Ibn Al-Fahhâm qui fut le plus savant de son temps dans les sciences mathématiques, féru de géométrie et de mécanique, formé à l’école d’Ibn en-Nedjdjar. Il avait déjà réalisé aussi l’horloge d’Abou ‘Inân à Fez dont on voit encore les vestiges sur les murs qui font face à la médersa Al-Bou’naniyya de Fès.
 Il fut récompensé par les rois de ces pays, qui lui servirent une rente de mille dinars en or, fournie par les gouverneurs des provinces.
Posté Le : 11/04/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Mohammed BAGHLI
Source : www.quotidien-oran.com