Résumé de 167e partie n Pour finir ce récit sur la vie d'Isabelle Eberhardt, voici quelques beaux textes de cette femme extraordinaire qui a tant aimé notre pays'
«Bou-Sâada, la reine fauve vêtue de ses jardins obscurs et gardée par ses collines violettes, dort, voluptueuse, au bord escarpé de l'oued où l'eau bruisse sur les cailloux blancs et roses. Penchés comme en une nonchalance de rêve sur les petits murs terreux, les amandiers pleurent leurs larmes blanches sous la caresse du vent... Leur parfum doux plane dans la tiédeur molle de l'air, évoquant une mélancolie charmante...
C'est le printemps et, sous ces apparences de langueur, et de fin attendrie des choses, la vie couve, violente, pleine d'amour et d'ardeur, la sève puissante monte des réservoirs mystérieux de la terre, pour éclore bientôt en une ivresse de renouveau.
Le silence des cités du Sud règne sur Bou-Sâada et, dans la ville arabe, les passants sont rares. Dans l'oued pourtant, circulent parfois des théories de femmes et de fillettes en costumes éclatants.
Mlahfa violettes, vert émeraude, rose vif, jaune citron, grenat, bleu ciel, orange, rouges ou blanches brodées de fleurs et d'étoiles multicolores... Têtes coiffées du lourd édifice de la coiffure saharienne, composée de tresses, de mains d'or ou d'argent, de chaînettes, de petits miroirs et d'amulettes, ou couronnées de diadèmes ornés de plumes noires. Tout cela passe, chatoie au soleil, les groupes se forment et se déforment en un arc-en-ciel sans cesse changeant, comme des essaims de papillons charmants.
Et ce sont encore des groupes d'hommes vêtus et encapuchonnés de blanc, aux visages graves et bronzés, qui débouchent en silence des ruelles ocreuses...
Depuis des années, devant une masure en boue séchée au soleil ami, deux vieilles femmes sont assises du matin au soir.
Elles portent des mlahfa rouge sombre, dont la laine épaisse forme des plis lourds autour de leur corps de momies. Coiffées selon l'usage du pays, avec des tresses de laine rouge et des tresses de cheveux gris teints au henné en orangé vif, elles portent de lourds anneaux dans leurs oreilles fatiguées, que soutiennent des chaînettes d'argent agrafées dans les mouchoirs de soie de la coiffure. Des colliers de pièces d'or et de pâte aromatique durcie, de lourdes plaques d'argent ciselé couvrent leurs poitrines affaissées ; à chacun de leurs mouvements rares et lents, toutes ces parures et les bracelets à clous de leurs chevilles et de leurs poignets osseux, tintent.
... Le soleil rouge monte lentement derrière les montagnes drapées de brume légère. Une lueur pourpre passe à la face des choses, comme un voile de pudeur. Les rayons naissants sèment des aigrettes de feu à la cime des dattiers et les coupoles d'argent des marabouts semblent en or massif. Pendant un instant, toute la vieille ville fauve flambe, comme calcinée par une flamme intérieure, tandis que les dessous des jardins, le lit de l'oued, les sentiers étroits demeurent dans l'ombre, vagues, comme emplis d'une fumée bleue qui délaye les formes, adoucit les angles, ouvrant des lointains de mystère entre les petits murs bas et les troncs ciselés des dattiers... Sur le bord de la rivière, la lueur du jour incarnadin teinte en rose les larmes éparses, figées en neige candide, des amandiers pensifs.»
Extrait des Pleurs d'amandiers, 1903. (A suivre...)
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Posté Le : 11/10/2011
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : K Noubi
Source : www.infosoir.com