Algérie

Cela s'est passé... l'année de la pomme de terre


Du Ramadan 2OO7, hormis la magie de son côté spirituel et la légitime satisfaction d'avoir accompli un devoir sacré, on retiendra peu de souvenirs agréables malgré toute la bonne volonté d'habiller un événement religieux de ses plus beaux atours et d'oublier les difficultés auxquelles on a dû faire face, quels que soient les désagréments endurés au cours de ce mois sacré. On le marquera d'une pierre blanche qui rappellera aux générations futures que la pomme de terre a profité de cette période de piété et de recueillement pour atteindre l'incroyable prix de 120 Da le Kg; la semoule 60 Da et le sachet de lait introuvable. Au début du mois, pour désamorcer la menace annoncée d'une pénurie imminente de la pomme de terre, à moins d'une intervention urgente et bien ciblée, on lui a créé un observatoire qui, au lieu de confier cette délicate mission à de véritables «pompiers» vu la sensibilité du problème, a opté pour la solution de facilité consistant en une alléchante exonération de ce légume de toutes les taxes douanières pour stimuler l'importation dans le but d'inonder le marché et de le mettre à la portée des petites bourses. Cette mesure, généreuse en apparence dans ses intentions parce que prétendument imparable pour mater la spéculation et faire baisser la tension sur les prix a été exploitée à fond par des requins, qui ne s'attendaient pas à pareille aubaine et n'a servi en fin de compte qu'à souffler sur les braises de l'inflation. Non seulement on s'aperçoit avec dépit que la perspective de se payer un plat de cet auguste légume devient un exploit qu'on doit payer au prix fort, mais que le fisc s'est fait proprement piéger et plumer au profit d'importateurs qui ont raflé la mise ainsi gracieusement présentée sur un plateau d'argent avec la bénédiction de nos décideurs ! Depuis le premier arrivage, et une suspicion insidieusement lancée contre la qualité du produit, le prix a maintenu son escalade entraînant dans son sillage même celui de la sacro-sainte semoule et de ses dérivés. La rumeur, à tord ou à raison, s'est fait un point d'honneur d'insinuer que même les porcs canadiens ont dédaigné cette variété de pomme de terre spongieuse au toucher, d'une couleur grisâtre et à l'aspect peu ragoûtant qu'on a retrouvée sur les étals du marché après une longue attente. Sa curieuse ressemblance à un rat repu a fini par dégoutter à jamais le plus inconditionnel des mangeurs de frites. Aux termes de toute une campagne d'explications farfelues sur les défaillances de la production nationale et des déclarations fracassantes de nos services compétents d'avoir pris toutes les dispositions qui nous épargneraient toute mauvaise surprise, surtout à la veille de ce mois sacré au grand bonheur du consommateur, l'alternative de tous les espoirs nous a ramené après quelques péripéties d'un feuilleton sans fin, un produit non comestible et permis à certains d'empocher sans aucun état d'âme, les avantages de la détaxation. Le consommateur, éternel dindon de la farce, déjà passablement groggy par toutes les contraintes de son pouvoir d'achat qui devient carrément ridicule, est littéralement assommé par l'effet de cette mesure malgré la résistance légendaire de son crâne buriné par tant de coups de massue. La fin de la galère n'est pas pour cette fois encore ! Jusque-là l'Observatoire, responsable de cette ineffable prouesse fait montre d'une indécente indifférence aux résultats de son action et aux récriminations de la plèbe. Comme si de rien n'était et que personne ne s'aviserait de demander des comptes, il est toujours là à tirer des plans sur la comète en attendant que les choses se décantent d'elles-mêmes. Il est sans doute occupé à peaufiner la duplication de ce genre de victoire à la Pyrrhus remportée avec panache sur le fisc et sur le consommateur d'un seul coup pour trouver une autre astuce qui pourrait aider d'autres monopoles à nous inonder au prix fort de pacotilles «taïwanaises», ou de stocks morts à la limite de la péremption de quelque autre produit. Privée de tout depuis longtemps déjà, la ménagère voit avec effarement les derniers produits de première nécessité happés par la spirale sans fin des hausses successives et généralisées. Le père de famille ne voit plus comment assurer le minimum vital, il subit dans sa chair la loi d'une spéculation débridée qui s'est installée dans la durée en toute impunité. D'aucuns accusent l'amateurisme ou l'incompétence quand ce n'est pas la duplicité, d'autres carrément la niaiserie du maître d'?uvre face aux techniques diaboliques des spéculateurs. Toujours est-il que toutes les tentatives de réguler le marché se sont avérées d'une indigence inexplicable et semblent même des fois «concoctées» pour aboutir à l'effet inverse. Les formules les plus prometteuses théoriquement sont vicieusement perverties et détournées dans le sens des intérêts d'une certaine catégorie de commerçants. Il est vrai aussi que l'Algérien dont on a progressivement façonné les habitudes de consommation, tombe facilement dans le jeu des spéculateurs en paniquant à la moindre alerte souvent délibérément provoquée, et c'est la ruée vers le stockage injustifié qui se traduit par la rupture de l'équilibre entre l'offre et la demande. La situation idéale qu'attendent les spéculateurs embusqués pour augmenter les prix et se débarrasser de tous les rebuts. Telle est malheureusement la réaction toute pavlovienne du consommateur dès qu'on agite le spectre de la pénurie. Au lieu de rationaliser ses achats, il participe de lui-même à la raréfaction du produit par des achats massifs et en subit les effets induits. Pour le cas des denrées périssables et notamment la pomme de terre, on accusait invariablement l'absence des moyens de stockage dans l'existence de pénuries, rappelons-nous la patate de Mascara et la tomate d'Adrar. On a même marché dans certaines régions du pays, pour réclamer l'aménagement de chambres froides.Des crédits ont donc été accordés pour leur construction et leur équipement aux frais de l'Etat. Mais, malgré la connaissance des spécificités du marché on n'a pas défini au préalable les moyens de contrôles de celles-ci. Cette omission volontaire ou non dans la détermination des responsabilités est devenue dans la pratique une arme à double tranchant, en allant automatiquement renforcer la capacité de manipulation des stocks par celui qui en détient les clés. Ces investissements qui allaient assurer la disponibilité du produit à tout moment et donc la stabilisation du prix, tombées malheureusement entre des mains peu scrupuleuses, servent maintenant à organiser et gérer «scientifiquement» et à l'abri des risques d'avaries liées au stockage traditionnel l'approvisionnement parcimonieux du marché et engendrer ainsi la tension sur le produit avec les répercussions conséquentes. On distribue le produit quand on veut et dans les quantités qui ne peuvent influer sur le prix de vente. L'exemple de la datte est édifiant : le kg de dattes acheté du jardin mitoyen revient plus cher que le kg de banane qu'on ramène de l'autre bout du monde ! Pourrait-on un jour nous expliquer ce phénomène ? Les produits, même soutenus par l'Etat, obéissent désormais aux lois impitoyables d'un véritable cartel qui a imposé ses règles sur toutes les transactions commerciales encouragé malheureusement par l'incurie du service public. Pousser le ridicule jusqu'à importer de la pomme de terre destinée à l'origine à nourrir les porcs, comme le soutiennent certains introduits dans le monde des affaires, et pourrie par-dessus le marché, ou simplement la transporter dans des conditions déplorables sans tenir compte des incidences de la manutention et du stockage, relève de l'inconscience si ce n'est pas du mépris ! Polémiquer pour connaître la vérité sur la cause de ce pitoyable ratage et du fiasco retentissant de toute l'opération n'avance à rien : le résultat est là. Quand on se permet la légèreté de traiter de cette manière l'approvisionnement en produits stratégiques qui constituent l'alimentation de base des plus démunis et de l'objectif initial des sacrifices fiscaux spécialement consentis en ce mois sacré afin de soulager la détresse du pauvre, que reste-t-il de la crédibilité des institutions concernées par ce problème. Que deviennent les bases fondamentales du management élémentaire dans la gestion de n'importe quel acte de la vie courante (prévoir, organiser, contrôler) pour que nos tares deviennent chroniques et se répètent inlassablement dans tous les domaines ? A voir comment sont menées les affaires, on ne peut s'empêcher de relever l'improvisation, le dilettantisme et surtout le manque de suivi des actions lancées qui débouchent parfois sur le contraire des objectifs poursuivis faute de contrôles interphases dissuasifs et des éventuelles rectifications nécessaires. Ce qui se traduit conséquemment par une augmentation du prix de revient qu'on fera endosser honteusement à celui qui se trouve en bout de chaîne : le consommateur ! N'est-ce pas une honte nationale lorsque un pays n'arrive pas à assurer le minimum de la subsistance à ses habitants malgré les moyens colossaux dont il dispose et les sommes faramineuses qu'il injecte par exemple dans l'agriculture ? Chaque jour qui passe s'il y a une poignée de malins qui s'enrichit par des moyens quelquefois peu avouables, des milliers d'autres sont rattrapés par la précarité et ce ne sont pas les aides parcimonieuses et à la limite dégradantes véhiculées par des mesures empiriques et isolées de tout contexte pérenne qui pourront rendre l'espoir à ces hittistes, nos enfants ! Je ne reconnais plus cette Algérie fière et généreuse qui a gravé en lettres de feu le mot «DIGNITÉ» dans nos esprits, lorsque je vois ces cohortes d'enfants livrés à eux-mêmes envahir la nuit les rues pour fouiller les poubelles, ou tôt le matin, ces nuées de jeunes et de moins jeunes prendre d'assaut les immenses décharges publiques aux alentours de nos agglomérations à la recherche de la pitance quotidienne. Le spectacle de ces familles entières allongées à même le sol dans des abris de fortunes sur les trottoirs par tous les temps est loin de refléter les statistiques d'autosatisfaction auxquelles personne ne croit plus et les déclarations cyniquement triomphalistes du gestionnaire ou simplement l'illusion d'exaucer les incantations de l'imam. Si dans le passé, elle constituait un ciment entre les membres de la société qui, dans un instinct de survie, développe des règles de protection et d'assistance mutuelle à l'intérieur de la communauté, la pauvreté devient aujourd'hui un motif de rejet, voire de bannissement. Malheur au pauvre ! «L'homme est un loup pour l'homme», disait un célèbre penseur. Cette citation se vérifie chaque jour dans le comportement des commerçants qui laissent leurs produits arriver à péremption avant de les détruire lorsqu'ils ne peuvent pas arnaquer le consommateur ou les agriculteurs qui préfèrent voir leurs fruits et légumes dépérir sur les lieux de culture que de les récolter à temps pour ne pas diminuer les prix ; a-t-on vu déjà des soldes en fin de journée ! L'Etat qui était omniprésent et auquel certains reprochaient quelque peu une bureaucratie envahissante qui gênait les timides initiatives de libéralisation de l'économie au lieu de se limiter à son rôle de régulateur s'est soudainement et complètement retiré du circuit laissant le champ libre à toute une faune de rapaces sortie d'on ne sait où. Dans la débandade qui a suivi, l'Etat a oublié qu'il a toujours le devoir de protéger les catégories défavorisées en mettant des mécanismes de contrôle et de suivi rigoureux de l'exécution de ses plans sociaux. Dans tous les pays du monde, l'esprit de l'économie de marché par lequel se sont engouffrés chez nous tous les maux qui dérèglent notre commerce, n'a jamais été synonyme d'anarchie et encore moins de démission de l'Etat. Ce ramadan a mis a nu la vulnérabilité du père de famille qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la privation et le dénuement. Le lait en poudre instantané, appelé communément «Lahda», se vend maintenant par dose de 50 gr et 100 gr, parce que simplement on est incapable financièrement de se payer en une fois un paquet complet à 250 Da ! Qui aura le privilège, dans le foyer, de déguster la préparation de cette pincée de poudre de lait ? A qui est le tour de partir à l'école aujourd'hui le ventre creux ? Il est curieux de constater qu'à chaque fois qu'on se frotte au monde interlope du commerce international, les prix des marchandises prennent l'ascenseur. Mais que deviennent donc nos cellules de réflexion, nos économistes et toutes les têtes pensantes qui nous saturent de théories oiseuses sans oublier nos politiques qui nous prédisaient qu'avec le libéralisme le pays va nager dans le bonheur ? Quels sont les résultats de tous ces forums, rencontres, échanges de délégations, journées d'études et toutes les circonstances inventées pour dépenser en palabres stériles l'argent de l'Etat à poursuivre (ou faire semblant !) des projets «panacée», mais le plus souvent sans lendemain. L'hospitalité de l'Algérie et la beauté de ses paysages sont mondialement encensées, mais pour les investissements on les préfère ailleurs ! Nous citerons pour cela l'exemple du lait en poudre. Il y a quelques années, on le payait au détail à 80 Da le paquet. Dès que les négociations avec l'OMC sont annoncées en miroitant des lendemains enchanteurs, il passe à 150 Da. Après les accords d'association avec l'UE et le démantèlement des barrières douanières, il caracole à 250 Da alors que tout le monde s'attendait logiquement à voir les prix chuter et se mettre à la portée des petites bourses. Ce phénomène est malheureusement généralisé à la plupart des produits importés et le pays perd subséquemment des moyens financiers sur tous les plans sans aucune amélioration du pouvoir d'achat en contrepartie. Les conditionnalités de la mondialisation n'ont apporté pour le moment que la hausse des prix pour la plus grande partie de la population, le sacrifice gratuit des recettes douanières et le massacre de la production nationale par la concurrence étrangère. Ce qui se traduit dans les faits par une augmentation du chômage et conséquemment la paupérisation de pans entiers de la population. On perd consciemment le beurre et l'argent du beurre. Imaginez donc l'Algérie sans Hassi Messaoud ! Doit-on continuer à fréquenter ce beau monde avec des incidences pareilles sur notre niveau de vie ou se résigner à vivre en autarcie en attendant de se hisser surtout sur le plan des méthodes de gestion au niveau des autres pays qui ont vu leur économie profiter de la synergie créée par la mondialisation pour attirer les investissements directs et les avantages collatéraux liées aux détaxations. On demeure perplexe avec ces paradoxes propres à notre économie: plus on a de l'argent, plus on se paupérise, plus les taxes douanières diminuent plus les prix des marchandises augmentent ! Plus les produits et les services deviennent chers plus leur qualité tend vers la médiocrité. Les plus rationnels d'entre nous n'arrivent pas à expliquer ce phénomène. Devrions-nous mettre ces déboires récurrents sur le compte de la fatalité et s'accommoder de cette explication ou satisfaire la morbidité des adeptes de l'auto-flagellation aux conséquences incalculables sur le crédit de la Nation. Nier impudemment tous les efforts de ces milliers de cadres auxquels on ne peut reprocher ni le manque de qualification ni l'absence de nationalisme ou plus simplement de conscience professionnelle quand on est témoin chaque jour de leur abnégation, voire leurs sacrifices pour tenter de mener à bon port le vaisseau Algérie relève de la mauvaise foi. Il faut admettre cependant que les choses ne sont pas tellement aisées en face des lobbies internationaux qui gèrent la planète et concéder que, de par notre histoire et notre personnalité peu encline à la souplesse (taghenanete, quand tu nous tiens !), nous avons peu de chance d'être admis dans le réseau solidaire tissé par une certaine communauté et d'établir des passerelles avec cet univers politiquement malthusien contrairement aux autres pays dont la naissance ne s'est pas faite dans la douleur et les déchirements.Les rancoeurs tenaces liées à notre passé et les positions intangibles de notre politique parasitent sournoisement les rapports avec nos partenaires potentiels. Dans les relations (même d'affaires) il n'y a pas que l'argent et la compétence... Il y aurait autre chose.   * Cadre supérieur à la retraite - Bou-Saâda
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