Algérie

«Ce vieux monde qui refuse de mourir»



«Ce vieux monde qui refuse de mourir»
Le journaliste français Edwy Plenel ne croit pas à l'existence de l'identité au singulier.Edwey Plenel, directeur du site d'information français Mediapart, était l'invité, lundi, du 21e Salon international du livre d'Alger qui se déroule jusqu'au 5 novembre au Palais des expositions des Pins maritimes. Il est revenu, dans une conférence animée à la salle El Djazaïr, sur la situation politique en France, sur certains enjeux géostratégiques et sur le journalisme. Il a évoqué «la quête du bouc émissaire» en France après les derniers attentats terroristes (Paris, Nice) et parlé de «la politique de la peur» portée par «un discours autoritaire».«C'est une honte ! Ahmed Merabet, le policier qui a été tué lors de l'attentat contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo, était musulman et gardien de la paix de la République française. Il n'a pas été brandi en exemple. Presque un tiers des victimes de Nice avaient un lien avec l'Algérie. Face aux menaces, on invoque la restriction des libertés, la mise en congé du peuple. On refuse de faire confiance au peuple et à sa dynamique. On refuse de parler de la liberté comme si la liberté était faible», a déclaré l'auteur de Pour les musulmans (paru en 2015).Il a qualifié la «polémique» sur le port du burkini l'été dernier en France d'«épisode ridicule». Il a critiqué l'attitude de certains hommes politiques français qui disent que «les réfugiés devraient rester chez eux». «Le propre de l'humain est de bouger. Notre espèce n'a pas arrêté de se déplacer, de faire mouvement. Depuis plus de cinq siècles, l'Occident qui, comme l'a souligné Edward Saïd, est une création politique, pas une réalité géographique, s'est projeté sur le monde, est allé chez tous les peuples sans leur demander leur autorisation. Et nous continuons, par nécessité économique, à être des prévaricateurs partout, la Françafrique notamment.En même temps, nous dénions aux autres peuples le droit de bouger, de partir ailleurs pour avoir une vie plus digne», a estimé Edwy Plenel. «Nous vivons dans un monde fragile avec les enjeux écologiques. Les civilisations et les espèces peuvent mourir. Nous voulons tout faire ensemble, pas se refermer. Eux, ils veulent bâtir des murs», a-t-il dit reprenant une citation de Frantz Fanon : «Il ne faut pas essayer de fixer l'homme puisque son destin est d'être lâché.» Edwy Plenel, ancien directeur de rédaction du quotidien Le Monde, a critiqué certaines pratiques journalistiques actuelles. «C'est le divertissement qui gagne, l'audience, le buzz, le people, la superficialité.Albert Camus, en prenant la direction du journal Combat (en 1943), disait qu'il fallait élever le pays en élevant son langage. Pour moi, la démocratie, c'est une conversation. Il faut qu'au coeur de cette conversation il n'y ait pas la rumeur, l'idéologie, le préjugé. Il faut qu'il y ait des faits et des vérités. C'est ce que nous devons arriver à produire en étant au service du droit de savoir des citoyens», a-t-il soutenu. M. Plenel a précisé que Mediapart est un site observé et sujet de thèses d'université, comme à la faculté d'économie de Chicago (Etats-Unis). «On veut comprendre pourquoi le journal marche.Ce n'est pas pour tirer une gloire, mais pour dire qu'il y a un chemin et que derrière ce chemin, il y a l'attente du public. Une attente d'exigence démocratique», a-t-il appuyé, faisant un plaidoyer pour l'égalité. La quête de l'égalité a été, selon lui, le moteur du combat anticolonial. «Non, une nation n'est pas supérieure à une autre au point de vouloir occuper son territoire. Une civilisation n'est pas supérieure à une autre au point de nier l'existence, les droits, la culture et les croyances d'une autre civilisation.Il n'est pas normal qu'un pays qui se réclame des droits de l'homme n'offre pas les droits à tous les hommes et à toutes les femmes. Nous avons le droit d'avoir les droits et de nous battre pour les avoir. Nous avons le droit de refuser l'injustice et les inégalités», a-t-il dit, soulignant que ceux qui rejettent la dynamique de liberté sont une minorité : «Ce sont ceux qui ont approprié le bien commun politique et économique. Ils ont donc peur de cette exigence d'égalité et pour affronter cette dynamique, ils mettent un habillage. Cela s'appelle 'l'identité'.La France, en la matière, est un véritable laboratoire. On construit un mythe, l'identité au singulier, l'identité nationale. On se sert de cela pour créer une hiérarchie. Tu n'appartiens pas à cette identité parce que tu es musulman, tu es venu d'Algérie, tu viens d'une situation sociale inférieure? D'où la nécessité de restaurer les causes communes de l'égalité qui n'ont pas de frontière, qui nous appartiennent à tous contre cette vision des identités closes, fermées.»L'auteur de Dire nous. Contre les peurs et les haines (paru en 2016) a confié avoir beaucoup appris des itinéraires de Dany Laferrière (un des invités du SILA 2016), de Frantz Fanon et d'Edouad Glissant. «Nous devons avoir l'imaginaire de notre monde. C'est nous qui avons raison. Je vous parlais des crispations d'un vieux monde qui ne veut pas mourir et qui a peur de ce nouveau monde que nous représentons et qui n'a pas encore percé.Malgré les conflits et les drames, nous vivons dans un monde intra et pluriculturel. Nous sommes liés les uns aux autres, nous sommes faits les uns des autres», a-t-il noté. Pour lui, le candidat républicain Donald Trump, qui veut construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, est l'exemple même de ce «vieux monde».


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