Algérie

Ce qui va changer pour les particuliers et les entreprises


Si elle n'y met pas totalement fin, l'instruction que le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Loukal, vient d'adresser aux banques commerciales et autres agents autorisés à collecter des devises, peut être interprétée comme un premier pas vers la démonopolisation des encaisses en devises que détient la Banque d'Algérie depuis la promulgation, le 14 avril 1990, de l'ordonnance relative à la monnaie et au crédit.Il y a en effet dans le contenu de cette instruction, rendue publique le 26 novembre dernier, la volonté clairement affichée d'en découdre avec ce mode de gestion de la devise anachronique et en totale contradiction avec les règles universelles de l'économie de marché.
Cette directive de l'autorité monétaire algérienne permet, en effet, pour la première fois après 27 années d'interdiction, aux banques commerciales et aux agents dûment habilités à collecter des devises, de disposer en toute propriété de 70% de leurs encaisses en monnaies étrangères, les 30% restants étant toujours conservés par la Banque d'Algérie à titre de précaution.
Les opérateurs concernés pourront dès le début de l'année 2018 en faire un usage marchand (octrois de prêts en devises, emprunts et placements en devises convertibles, participation au marché du change, etc.) selon les règles prudentielles et de commercialité en vigueur dans le pays.
Les dispositions introduites par le gouverneur de la Banque d'Algérie sont nombreuses et à bien des égards novatrices. On peut, à titre d'exemple, citer celle relative à la réglementation des opérations de trésorerie, qui permettra aux banques et aux intermédiaires d'effectuer, entre eux, dès l'entame de l'année 2018, des emprunts et des placements en devises librement convertibles.
Les intermédiaires en question seront également autorisés à accorder des prêts en monnaies étrangères à leurs clientèles et à participer au marché de la devise en veillant au strict respect de la législation y afférente (affichage des taux d'intérêt applicables aux devises traitées, coût des commissions, etc.).
C'est, comme on le constate, un changement systémique de grande importance qui vient d'être ainsi opéré, à la grande satisfaction des citoyens ordinaires, mais aussi et surtout, des hommes d'affaires, qui pourront désormais négocier certaines transactions monétaires directement avec leurs banquiers. Ils ont bon espoir que cette réforme mette fin à leurs déboires pour acquérir, chacun pour ce qui le concerne (allocation touristique, de soins ou de formation pour les citoyens ordinaires et frais de mission pour les hommes d'affaires) les devises nécessaires.
Gérer ses devises, un vrai casse-tête !
Convertir des dinars en devises pour voyager ou régler des problèmes personnels est en effet devenu un véritable parcours du combattant qui contraint ceux qui en ont expressément besoin à suivre une procédure longue et semée d'embûches qu'un bureaucrate malveillant peut stopper net sans possibilité de recours, notamment quand il s'agit de l'octroi d'une autorisation de change que seule la Banque d'Algérie peut délivrer. Les demandes ayant essuyé des refus après plusieurs semaines d'attente sont de ce fait légion, mais plus fortement encore pour celles ayant trait aux allocations pour soins ou aide aux étudiants en formation à l'étranger, pourtant dûment autorisées par la loi.
La Banque d'Algérie se comporte, à bien des égards, comme un monopole qui n'a de comptes à rendre à personne, constatent de nombreux citoyens qui en ont fait l'amère expérience et qui déplorent, a contrario, les facilités déconcertantes de transferts accordés à des trafiquants de tous bords ayant fait du blanchiment d'argent sale leur spécialité. De nombreux cas ont été largement rapportés par la presse, notamment dans l'acquisition de bien immobiliers à l'étranger, sans que cela émeuve les institutions légalement chargées de lutter contre ces fuites de capitaux.
Si la Banque d'Algérie se comporte ainsi, c'est en réalité parce que les devises que l'on dépose pour une raison ou une autre dans un compte bancaire n'appartiennent pas, comme il aurait été logique, à l'agence qui les a encaissées, mais à la Banque d'Algérie à qui elles sont automatiquement reversées sans autre avantage pour la banque domiciliataire que le prélèvement d'une commission d'un montant dérisoire.
Les établissements (agences bancaires, agents agréés de change, etc.) qui collectent les devises au moyen de comptes courants et autres modes de versement n'ont, de par l'ordonnance sur la monnaie et le crédit, aucun droit d'utiliser ces encaisses, au risque de poursuites pour usage illicite et trafic de devises.
En matière de droit de propriété et de mode de gestion, rien ne peut effectivement se faire sans l'aval de la Banque Centrale algérienne et pour montrer à quel point ce droit de propriété est sans partage, il est bon de savoir que même les devises que les banques allouent au marché interbancaire du change, qui fixe périodiquement la parité du dinar, sont en réalité intégralement fournies par la Banque d'Algérie.
Ce qui revient à dire que la valeur du dinar n'est pas le résultat d'échanges de devises provenant de diverses sources, mais uniquement des apports de la Banque d'Algérie qui peut ainsi fixer la parité du dinar à sa guise.
En permettant aux agences bancaires et autres agents de collecte de devises agréés la possibilité de faire directement usage d'un peu plus des deux tiers de leurs encaisses en monnaies étrangères, l'instruction du 26 novembre 2017 est de nature à les encourager à inciter les citoyens et les entreprises (notamment celles qui exportent) à ouvrir des comptes courants ou d'épargne à leur niveau.
Dans le souci de ratisser large, les banques seraient alors tentées de lancer des actions de communication multiformes, proposant notamment des taux d'intérêt attractifs, et des placements fructueux à l'effet de capter, jusqu'au sein de l'émigration, le maximum de détenteurs de devises oisives.
A titre de mesure incitative, il pourrait par exemple leur être proposé une utilisation automatique des intérêts générés par leurs placements qu'ils pourraient dépenser sans aucune formalité administrative pour financer leurs voyages à l'étranger et des placements de leur choix. Ça sera autant de devises en moins à acheter sur le marché informel. La pression sur la demande en devises en serait ainsi mécaniquement diminuée.
Quid de son application '
Mais si cette directive en question a pour objectif de mettre progressivement fin à ce monopole qui tire l'économie algérienne vers le bas, sa formulation reste toutefois bien timide et à certains égards, difficile à appliquer, ne serait-ce que du fait qu'elle va à contre-courant d'une ordonnance présidentielle (l'ordonnance relative à la monnaie et au crédit), ce qui, au regard du droit, est illégal, comme nous l' explique cet avocat qui nous apprend qu'«en matière de droit, l'ordonnance prime sur tous les autres lois et règlements, qui ne peuvent être abrogés ou complétés qu'au moyen d'une autre ordonnance».
«Le Conseil d'Etat a la possibilité de la rejeter s'il en est saisi, de même que des litiges de diverses natures pourraient surgir en cours d'application», tient-il à préciser.
Il y a également d'autres zones d'ombre à éclaircir pour comprendre la portée de cette directive publiée précisément en cette période de fortes restrictions budgétaires, au point de laisser penser que le gouvernement algérien a délibérément choisi de se désengager du financement des investissements publics et des besoins du citoyen (allocation tourisme, soins à l'étranger, rapatriement de dépouilles, aides aux étudiants en formation à l'étranger, etc.) qu'il souhaiterait désormais confier à des banques et autres établissements autorisés à collecter des devises.
L'Etat ne gérerait à l'avenir que les recettes provenant des hydrocarbures et des emprunts extérieurs, pour financer son train de vie et certains grands investissements publics.
En lisant les termes de cette instruction, on s'interroge enfin sur son champ d'application qui aurait logiquement dû s'étendre aux personnes morales (entreprises) ayant ouvert des comptes devises dans des agences bancaires, mais qui ne l'est concrètement pas. Cette possibilité n'étant pas textuellement mentionnée, les banquiers pourraient effectivement comprendre que les sociétés sont exclues du champ d'application de cette instruction qui ne concernerait que les comptes en devises détenus par de simples citoyens.
La question qui se pose et qui mériterait d'être clairement explicitée est effectivement de savoir si les banques où sont domiciliées les entreprises qui exportent et qui encaissent d'importantes sommes en devises (Sonatrach, Cevital, Condor, etc.) auront le droit d'utiliser ces encaisses pour effectuer des opérations de change ou d'investissement que cette directive les autorise à faire '
La directive de la Banque d'Algérie ne l' explicite pas. Des questions importantes, comme la provenance des devises, ne sont également pas tranchées par cette directive. D'où doivent-elles provenir ' La directive ne le précise pas, sachant pourtant pertinemment que la source principale sera, pour longtemps encore, le marché parallèle de la devise que la législation algérienne proscrit pourtant expressément.
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