Algérie

Ce qui reste de Tahar Ouettar



Publié le 25.07.2024 dans le Quotidien l’Expression

Quatorze ans après sa mort, que reste-t-il de Tahar Ouettar (1936-2010), l'écrivain qui a occupé largement la scène littéraire algérienne pendant plus d'un demi-siècle?
Il y a des écrivains dont le nom ne peut être effacé par le temps. Leurs textes ne seront jamais oubliés par les générations successives de lecteurs. D'autres, par contre, seront omis dès leur mort. Quatorze ans après sa mort, que reste-t-il de Tahar Ouettar (1936-2010), l'écrivain qui a occupé largement la scène littéraire algérienne pendant plus d'un demi-siècle? Tahar Ouettar appartient à cette génération fondatrice du roman algérien de langue arabe. Il est aussi le premier nom de romancier algérien arrivé et reconnu au Moyen-Orient. Le mérite de cette reconnaissance orientale revient d'abord à la maison d'édition libanaise Ibn Ruchd, réputée par son choix de textes littéraires progressistes et modernistes, qui a publié son premier roman et a promu le nom de Tahar Ouettar. Dès la sortie du roman, le nom de l'écrivain est mis du côté des écrivains de la gauche arabe. La publication de son premier roman L'As a été accueilli avec un grand enthousiasme idéologique, les médias libanais et palestiniens installés à Beyrouth et à Damas ont soutenu cette découverte littéraire algérienne. Le critique palestinien Fayçal Derraj, fraîchement diplômé de l'université de La Sorbonne, celui qui a fait connaître les noms de Lucien Goldmann, Georg Lukacs, Pierre Zima et d'autres auprès des universitaires et des lecteurs arabes, fut le véritable parrain des textes de Tahar Ouettar au Moyen-Orient. En Algérie, et dès les années 1970, le nom de Tahar Ouettar a été lié à la gauche culturelle et politique. Sa célébrité littéraire a débuté par la publication de son roman L'As en 1974. Dans ce texte classique, le romancier retrace le conflit historique entre le Parti communiste algérien et le FLN pendant la Guerre de libération. Le sujet est sensible à la gauche algérienne.
L'As est sorti au moment où l'Algérie était porteuse et portée par les idées du socialisme. La Révolution agraire fut le centre de la politique du pouvoir de l'époque. La gauche algérienne était représentée essentiellement par le PAGS (Parti d'avant-garde socialiste) (anciennement le Parti communiste algérien). Le roman a profité de cette mobilisation en faveur du socialisme pour creuser une grande place médiatique dans les journaux en français et en arabe, dominés par l'idéologie de la gauche. Tout le vent idéologique soufflait en faveur du roman. Même l'université était un espace ouvert aux débats dirigés par les mouvements estudiantins appartenant à la gauche. Vite l'université a pris en charge les romans de Ouettar; ainsi, des centaines, voire des milliers de thèses en arabe et en français ont été soutenues avec pour sujet les romans de Ouettar.
À cette période, Tahar Ouettar en tant qu'écrivain en arabe n'avait pas de concurrent, à l'exception de Abdelhamid Benhedouga. Ce dernier, victime de l'idéologie hégémonique et propagandiste de la gauche, a été taxé d'écrivain de droite. Un grand écrivain marginalisé par les préjugés idéologiques. À cette période, l'Algérie littéraire regorgeait de grands écrivains en langue française, à l'image de Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Tahar Djaout, Youcef Sebti, Djamel Amrani...
Avec la mort du président Houari Boumediène, le nouveau pouvoir en place a tourné le dos au socialisme comme choix politique et économique. Cette situation idéologique a déstabilisé Tahar Ouettar. Le sens de son égarement idéologique est exprimé dans la dédicace de son roman L'Amour et la Mort au temps harrachi, tome 2 de L'As. Face à cette confusion idéologique due au changement des médias orientés vers le libéralisme et l'islamisme, Tahar Ouettar a commencé à chercher comment se positionner pour retrouver sa notoriété et sa renommée culturelles et littéraires menacées. Ainsi, il a créé l'association culturelle El-Djahidhiya dans le but d'en faire un espace littéraire et culturel pour défendre la raison, les lumières, la diversité et la différence. Dans cette optique, il a fait appel à d'autres écrivains, à l'instar de Tahar Djaout, Youcef Sebti (tous les deux assassinés par la horde islamiste). Et dans cette orientation d'ouverture, El-Djahidhiya a organisé un colloque international sur les écrits de Mohammed Dib. Mais Tahar Ouettar, qui a goûté à la grande gloire littéraire sous l'ère socialiste avec la mainmise de la gauche sur les médias et sur la vie culturelle en général, a commencé à chercher une nouvelle gloire politico-idéologique. Il a trouvé son but dans l'islam politique présent dans la vie sociétale, politique et institutionnelle. Fasciné par l'islam politique, il a commencé à défendre ses thèses politiques, idéologiques et morales contre la présence de l'État menacé par l'extrémisme et le terrorisme. Tout ce qu'il a pu gagner de son nouvel engagement et sa nouvelle position, c'était sa protection de l'assassinat dont étaient victimes beaucoup d'écrivains démocrates. Il s'attaque aux écrivains démocrates [RTF bookmark start: _GoBack][RTF bookmark end: _GoBack]qui se sont alignés au côté de l'État et de son armée qui combattaient le terrorisme. Sa déclaration haineuse et mortifère en commentant l'assassinat de Tahar Djaout dans ces mots abjects «c'est une perte pour sa famille et pour la France» ne sera jamais oubliée. Lorsque l'écrivain arrive à mettre une distance de liberté entre son texte littéraire et le poids de l'idéologie, il offre une longue vie à son écriture. Chaque fois que l'écrivain associe son écriture aux valeurs philosophiques, tels le bien, le mal, la mort, l'égalité, l'éternité, la paix, la justice, le vivre ensemble, l'amour, il rend ses textes résistants à la mort qui habite l'idéologie. L'écriture s'adresse à l'existence de l'être humain et non pas à son affiliation politique ou à ses convictions idéologiques.
Dès que l'écrivain fait de ses textes une monture de l'idéologie nue, il les condamne à une mort certaine.
Ce qui reste de Tahar Ouettar, ce n'est pas ses positions politiques ou idéologiques mais ses romans libérés du discours cru socialiste ou islamiste, comme Le Pêcheur et le Palais, Roumana ou encore Noces de mulet.
Amin Zaoui




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