Le monde arabe bouge. Contre les régimes en place qui n'ont pas su
anticiper pour introduire les changements nécessaires.
Pendant que théoriciens du complot et partisans de la puissance de la rue
s'affrontent pour donner un sens à ces mouvements de rue qui agitent le monde
arabe, des changements affectant les fondamentaux de la politique sont en train
de se produire dans cette région qui paraissait hostile à toute évolution.
Encore précaires, insuffisamment structurées, reposant sur la ferveur plus que
sur la réflexion et l'organisation, ces mutations n'en imposent pas moins
certaines données nouvelles qui n'étaient guère envisagées il y a un mois.
La principale donnée nouvelle concerne le poids de la rue. Même s'il est
encore exagéré d'en faire l'acteur clé de la vie politique dans les pays
arabes, celle-ci est en train de changer de rôle. Elle est train d'abandonner
son statut traditionnel, celui d'une masse docile qu'on peut mépriser, qu'il
faut éventuellement mater, pour en acquérir un nouveau, celui d'un
interlocuteur dont il faut tenir compte, car elle peut se transformer en
menace.
Un peu partout, des décisions sont prises en direction de la rue, même
si, pour l'heure, il s'agit essentiellement d'aides et de subvention aux
produits alimentaires. La plupart des pays arabes ont ainsi décidé de nouvelles
mesures en ce sens, le Koweït allant jusqu'à proposer de financer complètement
les produits alimentaires !
En Algérie, cette démarche a été poussée jusqu'à la caricature. L'Etat a
abandonné son droit de prélever des taxes douanières et des impôts pour plaire
à la rue. Le ministre de l'Intérieur Daho Ould Kablia a publiquement déclaré
qu'il renonçait à combattre l'informel, du moment que cela risquait de
provoquer des mouvements de protestation. Le ministère des Finances a renoncé à
combattre le commerce informel pour ne pas perturber les activités
commerciales. L'Etat a mis le paquet pour augmenter les subventions aux
produits alimentaires et les importations de céréales, pourvu qu'il n'y ait pas
de nouvelles pénuries susceptibles de raviver la colère de la rue.
Et, à en croire plusieurs journaux, le Premier ministre Ahmed Ouyahia
aurait envoyé une note demandant aux agents de la circulation de ne plus
procéder à des retraits de permis de conduire car cela risque de provoquer la
colère des Algériens !
A côté de ces mesures souvent grotesques, parfois illégales (une
circulaire ne peut suspendre l'application d'une loi), les grands mouvements de
protestation de janvier 2011 dans plusieurs pays arabes laisseront des traces.
En premier lieu, sur la succession des chefs d'Etat actuellement en exercice.
En Egypte par exemple, il est désormais acquis que M. Hosni Moubarak ne pourra
faire un nouveau mandat à la tête de l'Etat, au cas où il termine son mandat
actuel. Quant à l'accession au pouvoir de son fils Gamel, naguère envisagée
comme une hypothèse forte, elle est totalement exclue.
Pour l'Algérie, un mouvement similaire est en train de se dessiner. Il
apparaît désormais peu probable, voire impossible de voir le président
Abdelaziz Bouteflika postuler pour un quatrième mandat, sans risque de
provoquer des scissions graves au sein de la société et de ce qui reste des
institutions. Il est même probable que nombre de pays arabes vont changer de
dirigeants dans les années qui viennent, et que de nouvelles générations vont
s'imposer. Même Mahmoud Abbas, président d'une autorité virtuelle, n'est pas
épargné.
Cela ne signifie pas pour autant une victoire définitive de la rue, loin
s'en faut. Et les partisans du complot ont de solides arguments à faire valoir.
Car s'il paraît encore téméraire de mettre ce qui se passe à l'actif de quelque
obscure main de l'étranger, il n'en demeure pas moins que des connexions
troublantes sont observées depuis que les Etats-Unis ont décidé de parrainer
cette vague de contestation. On aura noté d'abord que les Etats-Unis ont
favorablement accueilli la «révolution du jasmin», et qu'ils ont demandé au
président Hosni Moubarak de ne pas réprimer trop violemment. Depuis quand les
Etats-Unis et les autres pays occidentaux ont-ils sympathisé avec la rue arabe
?
Pour les Etats-Unis, ce qui se
passe est évidemment le bienvenu, car cela permet de débloquer une région
sclérosée, avec des alliés devenus handicapants car incapables de la moindre
initiative. L'inertie des régimes et dirigeants en place est désormais perçue
par les Américains comme une menace. Secouer tout ce monde-là par des
mouvements de rue et des révolutions de palais peut permettre de créer une
situation plus favorable, pour les Etats-Unis s'entend. On retrouve d'ailleurs
le climat des fameuses révolutions colorées, comme en Ukraine…
Enfin, janvier 2011 consacre des
acteurs plus modernes parrainés par les Etats-Unis, ainsi que les outils
technologiques dont le monde arabe ne mesure toujours pas l'influence.
Le Qatar et sa puissante chaîne
Al-Jazeera sont ainsi devenus des acteurs de premier plan dans la gestion du
monde arabe. C'est un rôle que ce pays ne peut assumer à lui seul.
L'Internet et la téléphonie
mobile, introduits massivement dans le monde arabe comme des gadgets, se sont
révélés de formidables outils d'organisation de la contestation. En Algérie,
comme en Egypte, en Tunisie et ailleurs, les pouvoirs en place ont eu recours à
la vieille méthode qu'ils connaissent bien, censurer Internet et couper les
lignes téléphoniques ou l'envoi de SMS. Ils confirment qu'ils ont un siècle de
retard sur leurs sociétés, une autre donnée fondamentale qui va bouleverser le
monde arabe.
Ces changements sont d'une ampleur exceptionnelle. Mais beaucoup de
dirigeants arabes ne s'en sont pas encore aperçus. Ils n'ont donc pas amorcé le
changement, ce qui a provoqué cette déferlante de janvier 2011.
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Posté Le : 30/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com