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Ce qu'une victoire de Trump signifierait pour l'économie américaine



NEW YORK - L'élection présidentielle américaine de novembre revêt une importance primordiale pour de nombreuses raisons. Sont en jeu non seulement la survie de la démocratie américaine, mais également la gestion saine de l'économie, avec des implications majeures pour le reste du monde.

Les électeurs américains ne vont pas seulement devoir choisir entre différentes politiques, mais également entre différents objectifs pour le pays. Bien que la candidate démocrate, la vice-présidente Kamala Harris, n'ait pas encore détaillé pleinement son programme économique, il faut s'attendre à ce qu'elle préserve les principes essentiels du programme du président Joe Biden, parmi lesquels de solides mesures de maintien de la concurrence, de préservation de l'environnement (notamment via la réduction des émissions de gaz à effet de serre), de baisse du coût de la vie, de soutien à la croissance, d'amélioration de la souveraineté économique et de la résilience du pays, ainsi que d'atténuation des inégalités.

Son adversaire, l'ancien président Donald Trump, ne s'intéresse en revanche pas à la création d'une économie plus juste, plus solide et plus durable. Le duo républicain promet en effet un chèque en blanc aux sociétés du charbon et du pétrole, ainsi que des faveurs aux milliardaires tels qu'Elon Musk et Peter Thiel – une recette parfaite pour rendre l'économie américaine plus fragile, moins compétitive et moins équitable.

Par ailleurs, bien qu'une saine gestion de l'économie nécessite de fixer des objectifs et de concevoir des politiques pour les atteindre, la capacité à répondre aux chocs et à saisir de nouvelles opportunités est tout aussi importante. Or, nous pouvons déjà nous faire une idée de la manière dont chacun des candidats se comporterait sur ce point. Trump a lamentablement échoué dans sa réponse à la pandémie de COVID-19 lors de son précédent mandat, avec pour conséquence plus d'un million de morts. Tandis que les États-Unis avaient désespérément besoin de leadership, Trump suggérait l'idée d'utiliser du désinfectant en injection.

La réponse à de tels événements sans précédent impose du discernement, la prise des décisions difficiles fondées sur les meilleures données scientifiques. En la personne de Kamala Harris, les États-Unis pourraient compter sur de la réflexion, sur du pragmatisme dans l'élaboration de compromis et de solutions équilibrées. En celle de Trump, tout ne serait que narcissisme impulsif, exploitation du chaos et rejet de l'expertise scientifique.

Prenons l'exemple de la réponse apportée par Trump au défi que représente la Chine : une proposition d'introduction de taxes douanières généralisées de 60 % voire plus. Comme n'importe quel économiste sérieux aurait pu lui expliquer, une telle décision conduirait à l'augmentation des prix – pas seulement des biens importés directement de Chine, mais également des innombrables autres produits contenant des intrants chinois. Ainsi, les Américains aux revenus faibles et intermédiaires supporteraient l'essentiel de la charge. L'inflation allant crescendo et la Réserve fédérale américaine étant alors contrainte d'élever les taux d'intérêt, l'économie serait frappée par un triple coup de massue : ralentissement de la croissance, augmentation de l'inflation et montée du chômage.

La situation serait d'autant plus désastreuse que Trump a pris le parti extrême de menacer l'indépendance de la Fed (ce qui n'est pas surprenant, compte tenu de ses efforts soutenus pour saper l'indépendance de la justice et de la fonction publique). Un deuxième mandat de Trump introduirait ainsi une source persistante d'incertitude économique, qui pèserait sur l'investissement et la croissance, tout en accentuant quasi-certainement les anticipations d'inflation.

Les politiques fiscales proposées par Trump sont tout aussi problématiques. Rappelez-vous la réduction d'impôts de 2017 en faveur des grandes entreprises et des milliardaires, qui a échoué à stimuler l'investissement, et qui a simplement encouragé les rachats d'actions. Bien que les Républicains accueillent toujours à bras ouverts une réduction d'impôts pour les plus fortunés, quelques-uns d'entre eux reconnaissent qu'une telle politique aggraverait les déficits budgétaires, et ont par conséquent mis en place une clause d'extinction, qui commencera à entrer en vigueur en 2025. Or, faisant fi des données de preuve selon lesquelles les baisses d'impôts censées « ruisseler » ne fonctionnent pas et ne se financent pas elles-mêmes, Trump entend renouveler puis approfondir la réduction de 2017, ce qui alourdirait de plusieurs milliers de milliards de dollars la dette nationale.

Si les démagogues populistes tels que Trump n'accordent aucune importance aux déficits, les investisseurs aux États-Unis ainsi qu'à l'étranger feraient bien de s'en inquiéter. Des déficits croissants, liés à des dépenses sans effet bénéfique sur la productivité, ajouteraient encore davantage aux anticipations d'inflation, affecteraient la performance économique, et accentueraient les inégalités.

De même, une abrogation de la loi sur la réduction de l'inflation, accomplissement phare de l'administration Biden, serait non seulement mauvaise pour l'environnement et la compétitivité des États-Unis dans plusieurs secteurs essentiels pour l'avenir du pays, mais elle signifierait également la suppression de dispositions qui ont permis de réduire le prix des médicaments, et entraînerait par conséquent une hausse du coût de la vie.

Trump (comme les juges pro-business qu'il a nommés) entend également revenir sur les politiques de l'administration Biden-Harris relatives à la concurrence, ce qui – ici encore – aggraverait les inégalités et affaiblirait la performance économique, en consacrant le pouvoir du marché ainsi qu'en entravant l'innovation. Trump anéantirait par ailleurs les initiatives d'amélioration de l'accès à l'enseignement supérieur via des prêts étudiants mieux conçus, ajustés selon les revenus, ce qui réduirait en fin de compte l'investissement dans le secteur dont les États-Unis ont le plus besoin pour relever les défis d'une économie innovante au XXIe siècle.

Ceci nous amène aux caractéristiques du programme de Trump les plus préoccupantes pour la réussite économique des États-Unis à long terme. Premièrement, une nouvelle administration Trump réduirait considérablement les financements consacrés aux technologies et sciences fondamentales, qui constituent la source de l'avantage compétitif des États-Unis et de la hausse du niveau de vie dans le pays depuis 200 ans (Il va sans dire que la force économique de l'Amérique ne réside pas dans les casinos, les terrains de golf, ni les hôtels tapageurs).

Lors de son précédent mandat, Trump a proposé quasiment chaque année d'importantes réductions des financements consacrés aux sciences et technologies, mais les Républicains du Congrès les plus raisonnables ont fait obstacle à ces coupes budgétaires. Cette fois, en revanche, la situation serait différente, dans la mesure où le Parti républicain est devenu une secte rassemblée autour de la personnalité de Trump. Pire encore, le parti a déclaré une guerre sainte contre les universités américaines, y compris contre plusieurs établissements de premier plan, qui pourtant repoussent les frontières de la connaissance, qui attirent les meilleurs talents en provenance du monde entier, et qui soutiennent l'avantage compétitif du pays.

Plus inacceptable encore, Trump est déterminé à saper la primauté du droit, tant au niveau national qu'international. Ses antécédents de refus de paiement de fournisseurs et d'entrepreneurs en disent long sur le caractère de Trump, celui d'une brute épaisse résolue à user de tout pouvoir pour détrousser autrui. Le problème prend encore une tout autre dimension lorsque Trump soutient ouvertement des insurgés violents. Or, l'État de droit n'est pas seulement quelque chose que nous devons chérir en soi ; il est indispensable à une économie ainsi qu'à une démocratie qui fonctionnent.

À l'approche de l'automne 2024, il est impossible de prédire les chocs auxquels l'économie sera confrontée au cours des quatre prochaines années. Une chose est en revanche certaine : l'économie de 2028 sera plus puissante, plus équitable et plus résiliente si Harris remporte l'élection.



*Ancien économiste en chef de la Banque mondiale, et ancien président du Comité des conseillers économiques du président des États-Unis, est professeur à l'Université de Columbia. Lauréat du prix Nobel d'économie, il est l'auteur d'un récent ouvrage intitulé The Road to Freedom: Economics and the Good Society (W. W. Norton & Company, Allen Lane, 2024).




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