Algérie

Ce qu'il reste des années d'exode !



Hiver 1996, j'étais en visite dans mon village natal, dans l'est de l'Algérie. Fuyant les massacres des terroristes, des enfants et des femmes, derrière les hommes, marchaient et portaient leurs affaires sur le dos, et j'ai entendu le chauffeur de taxi dire : « Les pauvres, aucun taxi ne peut s'aventurer dans leurs villages ». Comme d'habitude, c'est toujours les pauvres qui payent la facture de la misère. Ces images m'ont rappelé les scènes de guerre vues à la télé. J'étais très affecté par cette scène d'exode qui m'a marqué à jamais. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que nous étions en guerre. Contre qui ? Contre nos propres enfants ! Si les martyrs de la Guerre de Libération Nationale avaient su que leur sang servait à une guerre fratricide, ils n'auraient pas sacrifié leur vie ! Ces instigateurs guerriers savaient-ils que la libération de l'Algérie était une longue histoire cramoisie de sang de centaines de milliers d'Algériens ? Mais parle-t-on de notre victoire ou de notre défaite ? Car nous avons réussi à sortir les colons. Cependant, nous n'avons pas su vaincre notre propre colonialisme ! Nous n'avons pas su construire notre pays sur un socle commun et rationnel, avec des hommes d'Etat responsables et consciencieux de l'avenir de leur pays et de leur peuple, qui font passer l'intérêt de l'Etat avant leur propre intérêt. Peut-être allez-vous me dire que c'est l'échec du système politique depuis l'indépendance. Néanmoins, je crois que c'est la défaite de notre école, mais aussi de notre propre histoire. Depuis la nuit des temps, nous commettons les mêmes erreurs, comme si notre histoire ne servait à rien, elle tourne en rond ! C'est un jugement sévère, mais parlons vrai entre Algériens, qu'avons-nous fait pour développer le pays ? Si chaque Algérien s'interrogeait sur ses devoirs envers sa patrie au lieu de ne penser qu'à ses droits, peut-être n'en serions-nous pas arrivés là ! L'échec du système politique algérien n'est pas seulement dû aux hommes du pouvoir. C'est aussi l'échec de tout Algérien, qu'il vive au pays ou à l'étranger. Quand on se réclame citoyen d'un pays, ce n'est pas seulement pour tirer profit de son histoire, remplir ses comptes dans les banques internationales et payer des soirées dans des hôtels luxueux. Etre de ce pays, c'est faire évoluer les mentalités et participer à la consolidation des institutions d'Etat. Pour être appliquées, les lois doivent assurer l'autonomie du pouvoir exécutif. Etre de ce pays, c'est participer de près ou de loin aux débats et manifestations, afin d'instaurer la culture d'un Etat de droit et aider la société à s'organiser. Or, se limiter aux critiques destructives, comme le font certains, au nom de la liberté, est inutile. D'ailleurs ces critiques parviennent-elles aux oreilles des concernés ? C'est tout à fait légitime de critiquer, mais dans quel but critiquer une pensée, un projet, ou autre ? L'ultime objectif c'est l'évolution des mentalités, la participation à la construction d'un projet identifié en sachant renoncer à certains caprices et pratiquer l'autocritique. C'est la substance même d'un projet démocratique. Cependant, il me semble que certains intellectuels n'arrivent pas à distinguer une critique constructive d'une vengeance personnelle. La plupart des débats intellectuels restent des lettres mortes car, d'une part, le pouvoir reste sourd devant son élite, et d'autre part ces débats ne sont pas accompagnés par des débats ouverts au peuple (dans des centres culturels, avec les associations, les partis politiques, sur les forums internet, etc.) Pourtant, le contact et le dialogue avec le peuple sont primordiaux car notre culture est toujours de tradition orale. C'est ainsi qu'on peut sortir de cette culture de radiotrottoir. Depuis la nuit des temps, nous fonctionnons par la culture de la rumeur : « ils ont dit que ». Même pendant la décennie noire, on se demandait « Qui tue qui ? » Cependant, qui sont ces « ils » ? Est-ce le pouvoir ? Des hommes et des femmes de ce peuple ? Sont-ils des fantômes ? C'est un cercle informel auquel chacun tente d'attribuer une identité en vain. Le plus extraordinaire, c'est que les membres du pouvoir eux-mêmes ignorent l'identité de ces « ils ». Est-ce que notre souveraineté et le centre des décisions du pays sont entre les mains de quelques personnes obscurantistes ? Dans ce cas, la nature et la manière de la gestion politique de notre pays reste à définir. Le peuple n'arrive pas à comprendre ce qui se passe dans les couloirs du pouvoir. Il n'arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une guerre civile après l'indépendance, pourquoi les Algériens s'entretuent. Et pourtant, tout le monde se dit qu'il est fils du 1er Novembre ! Le peuple n'arrive pas à comprendre qu'avec toutes les richesses que la terre et le ciel lui donnent, il demeure pauvre. Des richesses humaines et matérielles qui ne profitent qu'à une petite minorité. Est-ce par là qu'on découvre que nous avons raté notre indépendance ? Ou bien sommes-nous immatures pour construire une nation ? J'ai suivi avec intérêt les débats politiques entre Algériens par le biais de la presse nationale et quelques ouvrages sur la question. Je me suis rendu compte que chaque camp accuse l'autre de la faillite en se victimisant. Pourquoi ces personnes ne se rendent-elles pas compte des erreurs qu'elles ont également commises ? En effet, nos politiques n'arrivent pas à admettre leur incompétence dans la gestion politique et le peuple fait souvent confiance en ces dirigeants. Or cette confiance est fréquemment galvaudée et broyée. Cependant, le peuple croira-t-il toujours à la loyauté de ses dirigeants, voire même de son élite ? Il me semble que le peuple est à bout de patience. Arrivera-t-il à garder longtemps le silence ? Comme notre histoire tourne en rond, tous les ingrédients d'un second 5 Octobre sont réunis : corruption, dilapidation des biens publics, désintérêt des politiques, cherté de la vie, etc. Les leçons à tirer de l'histoire de notre pays seront-elles enfin retenues ?


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