Algérie

Ce président qui fait perdre du temps à la France



Près de trois ans après son élection, la chute de popularité de Nicolas Sarkozy est telle que certains de ses «amis» politiques se sentent pousser des ailes pour le scrutin présidentiel de 2012. On parle ainsi des candidatures possibles d'Alain Juppé, de Jean-François Coppé ou bien encore de François Fillon. A écouter et à lire les fausses confidences recueillies ici et là, il ne s'agirait pas pour ces impétrants de s'opposer frontalement à l'actuel locataire de l'Elysée mais de se tenir simplement prêt au cas où le concerné jetterait l'éponge, convaincu que l'hostilité d'une majorité d'électeurs le condamnerait à une défaite certaine. Le scénario est alléchant mais, à dire vrai, personne n'y croit vraiment. La machine électorale de l'UMP est en rodage, la situation va certainement se décanter après les élections régionales et, de toutes les façons, l'on voit mal «Sarko» jeter l'éponge.

 Il y aura de nouveaux slogans, de nouvelles incursions dans le champ de l'identité française et de la lutte contre l'immigration clandestine et l'islam radical (les paris sont ouverts) mais je suis curieux de savoir comment sera défendu le bilan de cette présidence. Comment Sarkozy va-t-il justifier ces années perdues par la France; ces années de fausses réformes et de vaines gesticulations ?

 Il y a un nombre important d'ouvrages qui ont été écrit sur le président français mais l'un d'eux mérite vraiment que l'on s'y attarde. Rédigé par Thomas Legrand, éditorialiste inspiré sur France Inter, le livre en question est un état des lieux sans concessions de ce qu'est le «sarkozysme» (*). Un diagnostic à mi-mandat qu'il faut d'ores et déjà opposer aux opportunistes de tous poils qui sont convaincus que la gauche ne pourra jamais s'imposer en 2012 et qu'il n'y a rien d'autre à faire que de se résigner à la réélection du patron de l'UMP.

 Le diagnostic en question s'attarde beaucoup sur le verbe. Depuis 2007, l'action présidentielle française est en effet une somme inouïe de discours, de monologues et de bla-bla en tous genres. Je parle, c'est donc bien la preuve que j'agis, tel semble être le mot d'ordre. «Depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, note le journaliste, il y a un problème d'adaptation de son discours à la réalité». Et de préciser : «On ne compte plus les affirmations qui ne reposent sur rien, les projets ambitieux sans lendemain, les promesses de rupture ensablées, les révolutions qui n'en sont pas.»

 Liste pour convaincre les sceptiques : Le «travailler plus pour gagner plus» ? Un slogan qui n'a rien donné car impraticable dans les faits. La «discrimination positive» et la «laïcité positive» ? Oubliées toutes les deux car ayant provoqué de vigoureuses réactions et protestations y compris dans le camp du président.

 «L'immigration choisie» ? Infaisable, remarque Thomas Legrand. La «politique de civilisation» chère à Edgar Morin ? Disparue des écrans radars après avoir constitué une belle trouvaille du moment. La «réforme de la françafrique» ? Pour savoir ce qu'elle est devenue, citons simplement le cas de ce ministre français, Jean-Marie Bockel en l'occurrence, viré du secrétariat d'Etat à la coopération à la demande d'Omar Bongo sans que cela n'émeuve personne.

 Les yeux rivés sur les sondages, le président français apparaît pour ce qu'il est. Un politicien qui n'a pas de prise sur le réel «et qui tente d'ordonner à la réalité de changer.» Un exemple tout simple. A le croire, grâce à lui, il n'y aurait plus de paradis fiscaux dans le monde ! Il paraît que l'on en rit encore du côté des îles Caïman… Pour Thomas Legrand, le «sarkozysme est une construction de circonstance et d'opportunité qui se donne des airs de doctrine et qui ne résiste pas à la réalité française, à ses équilibres chèrement et longuement acquis.»

 Il y a donc le verbe ou plutôt les verbes. Celui de la justification et celui de l'annonce à tout va. Et l'intérêt du livre est qu'il démonte aussi la technique de communication du président français. Ecoutez l'un des ses discours ou l'une de ses interventions et cela ne saurait vous échapper. Nicolas Sarkozy donne souvent l'impression de répondre à un «dialogue antérieur», à une «interpellation injuste et outrancière» et de se défendre contre les tenants de l'immobilisme : «On me dit que j'en fais trop», «on me reproche d'agir», sont des phrases souvent répétées avec quelques variantes.

 Problème : mais qui est le «on» ? Il y a bien sûr des journalistes extrêmement féroces à l'encontre de Sarkozy mais, en réalité, personne ou presque ne peut l'apostropher ou bien lui poser les questions qu'il n'a pas envie d'entendre. «On ne voit jamais – ou alors par accident – un contradicteur échanger des arguments avec le président de la République, relève Thomas Legrand qui évoque ce «monologue sécurisé», qui relève d'une «situation unique et anachronique» et qui prouve que la vie politique française est encore loin d'avoir atteint la modernité et la transparence que l'on pourrait attendre d'elle en ce début de XXIe siècle. Reste un élément surprenant dans ce livre. Pour l'auteur, l'anti-sarkozysme est une fausse route qui tend même à conforter le principal intéressé. «Le sarkozysme, affirme-t-il, nous occupe à plein temps mais ce n'est pas une maladie grave.

 Ceux qui en sont atteint ne risquent qu'une forme d'enrégimentement idéologique de surface et qui ne durera pas.» Et d'ajouter que le «sarkozysme, ce n'est pas une idée, c'est une ambition» dénuée de pensée, de doctrine ou de vision pour l'avenir de la France. En clair, il ne servirait à rien de pousser des cris d'orfraie au nom de la démocratie, Nicolas Sarkozy n'étant qu'un banal président de droite dont la présidence ne menacerait en rien le modèle républicain français. Voilà un point de vue original qui renvoie dos-à-dos le sarkozysme et l'anti-sarkozysme qu'il soit primaire ou non. Mais est-ce aussi rassurant que cela car qui peut jurer que deux mandats ne finiront pas par transformer profondément, et en mal, le pays que Nicolas Sarkozy préside ? Qu'on le veuille ou non, faire perdre du temps à son pays, c'est n'est ni plus ni moins que l'affaiblir et mettre en danger ses institutions.

(*) Ce n'est rien qu'un président qui nous fait perdre du temps, Thomas Legrand, Stock, 12 euros.










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