Premier épisode
Il est arrivé quelque chose en Algérie il y a
environ trois semaines. On appelle ça un événement dans le jargon
journalistique. C'est-à-dire, un fait qui serait passé inaperçu si la presse ne
s'en était pas intéressée. Les protagonistes sont un homme qui a écrit un
livre, Cheikh d'une zaouia, le Haut Conseil islamique (HCI) et l'Association
des Oulémas Musulmans (AOM).
L'histoire est très courte : le Cheikh a
écrit un livre sur le soufisme contenant des miniatures représentant le
Prophète Mohamed (QSSL) et une photographie de l'Émir Abdelkader encadrée par
l'étoile de David.
Le HCI et l'AOM ont protesté contre ce fait,
et leur désapprobation a été largement répercutée par la presse nationale. Dieu
merci, cette affaire n'a pas duré longtemps. Les esprits se sont vite calmés et
la vie quotidienne a repris son cours habituel.
Espérons seulement que les satellites, qui
surveillent étroitement nos faits et gestes depuis les cieux, ne se soient pas
emparés de cet événement pour nourrir les très méchantes histoires qui courent
sur notre compte de l'autre côté des mers. C'est qu'en général, la presse de
là-bas ne rate pas une occasion pour ravitailler et chloroformer une certaine
opinion qui raffole de ce genre de nourriture spirituelle. Parce que chez eux
aussi, il y a une multitude de gens qui n'arrivent pas à joindre les deux
bouts, alors les médias les aident à les joindre en leur servant des clichés
sur les Arabes et les musulmans. Pour les épater et leur montrer qu'ils ne
doivent pas se plaindre, eux qui vivent dans des pays démocratiques et
civilisés où ils peuvent, paraît-il, tout dire et tout faire. Pour les préparer
également à d'éventuelles « interventions humanitaires ». Il ne faut pas en
vouloir aux Occidentaux. Il faut surtout essayer d'éviter dans la mesure du
possible d'apporter de l'eau à leur moulin. Ils ont, eux, des intérêts et des
projets qu'ils sont payés pour défendre et réaliser, en employant la ruse et la
force si nécessaire, comme ils l'ont prouvé à plusieurs reprises. Ils ont plein
de laboratoires où ils confectionnent, avec beaucoup d'intelligence, les
feuilletons dont ils ont besoin pour atteindre ce but. En d'autres termes, ils
ont des usines où ils fabriquent de la vérité en série.
Et il faut aussi l'avouer courageusement :
ils travaillent d'arrache-pied et ne sont pas envoûtés par leur estomac. Ils ne
sont pas colonisés par des frustrations.
En somme, ils ont des responsables qui
peuvent résister au fumet troubleur d'esprit que dégage un agneau rôti.
Mais, revenons à notre histoire sur le livre
qui a provoqué la colère du HCI. Il nous semble que cet événement appelle
quelques remarques.
Remarque 1
Nous pensons que le HCI aurait dû éviter de
faire de la publicité gratuite pour un bouquin qui n'aurait sûrement pas été
remarqué par la majorité des Algériens. Il ne faut pas être un génie pour le
deviner : la plupart des Algériens ne savent pas lire. Par lire, nous
n'entendons pas seulement déchiffrer un texte, mais le comprendre, en saisir
les sens. L'analphabétisme fait partie des tares qui caractérisent le monde
arabe, en général, et l'Algérie, en particulier. Le HCI doit être normalement
au courant de ce désastre qui frappe une grande partie de la population plus de
40 ans après l'Indépendance. Des signes révélateurs de cette honte, on peut en
trouver partout. Entrons, par exemple, dans une pharmacie et observons nos
pauvres concitoyens essayer de saisir les explications que leur donne le
vendeur sur le mode d'emploi des médicaments qui leur ont été prescrits.
C'est malheureux. C'est un spectacle qui peut
détruire un homme aussi efficacement qu'une insulte. On ne peut pas s'empêcher
de se sentir terriblement coupable des efforts pénibles que doivent fournir ces
gens pour mémoriser les indications de l'employé.
On remarque aussi que beaucoup de librairies,
parmi celles rares qui existaient dans le pays, ont fermé ou se sont
reconverties en boutiques vendant autre chose. Nous n'avons pas de
bibliothèques dignes de ce nom. Encore pire, notre école, qui est censée au
moins éliminer cette anomalie, fabrique des diplômés qui s'en vont chercher du
travail avec à la main une demande d'emploi illisible, ne sachant pas comment
remplir un imprimé, et répondant aux questions qui leur sont posées avec un
charabia qui cisaille les nerfs. Comment pourraient-ils lire un livre complet
sur le soufisme ?
Voici donc un problème urgent que Dieu ne
nous pardonnera jamais d'avoir négligé : l'analphabétisme qui sévit chez nous.
Par ailleurs, nous pensons que ceux qui savent lire et s'intéressent à la lecture
sont capables de porter un jugement personnel sur le contenu de ce livre.
On voit donc qu'il était inutile de
s'inquiéter. Par contre, il y a tellement d'analphabètes dans ce pays, qu'il
serait peut-être temps de tirer la sonnette d'alarme, et de nous asseoir autour
d'une table et discuter des moyens que nous pourrions mettre en action pour,
par exemple, apprendre à ces compatriotes des rudiments de langue qui leur
éviteraient de prendre des médicaments n'importe comment, et d'aggraver de ce
fait les maux qui les auraient entraînés vers le médecin.
Remarque 2
Le Cheikh qui a écrit le livre est un homme
instruit. Il écrit des livres sur le soufisme et donne par-ci par-là des
conférences sur le sujet. Parmi ses thèmes favoris, il insiste beaucoup sur le
respect de l'autre. C'est pourquoi il est bizarre que son livre contienne des
images représentant le Prophète Mohamed (QSSL) et une photographie de l'Émir
Abdelkader encadrée par l'étoile de David.
C'est, peut-être,
parce qu'il voyage beaucoup et vit en Europe. Il a dû oublier que la plupart
des Algériens considèrent la représentation du Prophète (QSSL) comme contraire
aux préceptes de la religion musulmane. Il aurait été donc judicieux de
respecter cet avis qui n'appartient pas à une poignée de personnes mais à un
peuple. Il nous semble qu'il est très maladroit de professer le respect de
l'autre et de publier entre-temps un livre contenant des miniatures qui
dérangent la foi de toute une communauté. Certains pourraient interpréter la
chose comme un moyen employé par l'auteur pour attirer l'attention, aidé en
cela par le souvenir encore vivace des caricatures danoises, cette affaire
cousu de fil blanc et fabriquée avec de l'argent.
Par ailleurs, l'auteur du livre sait
pertinemment que pour l'Algérien, l'étoile de David est évocatrice d'une
injustice et de massacres subis par les Palestiniens depuis 1948. Et rappelons
que c'est Israël qui a fait de cette image le symbole de l'arbitraire et de la
cruauté. En d'autres termes, pour la majorité des musulmans, cette étoile n'est
plus celle de David, mais du sionisme. Le Cheikh ne l'ignore certainement pas.
Les Algériens ne font aucun mal en souhaitant que le Prophète Mohamed (QSSL) ne
soit pas représenté. Par contre, ils subissent quotidiennement une multitude de
maux qui, malheureusement, ne semblent pas attirer l'attention. Les partis qui
auraient pu s'en occuper et les dénoncer ont été laminés. C'est pourquoi nous
pensons que la zaouia du Cheikh pourrait jouer ce rôle.
Un livre détaillant les tenants et aboutissants
des problèmes que vivent beaucoup d'Algériens serait une bonne idée.
Deuxième épisode
Le livre dont nous venons de nous entretenir
a été écrit à l'occasion du centenaire d'une voie soufie, qui a été célébré par
l'organisation d'un congrès international à Mostaganem du 24 juillet au 31 du
même mois. L'auteur est le cheikh de la zaouia. Des enseignants et des invités
de différents pays ont participé à cette manifestation.
C'était parfait. Il n'y avait pas une seule
fausse note. On remarquait, en particulier, de jolies tentes blanches abritant
des expositions bien fournies en documents et photos, et des jeunes filles,
dont certaines parlaient en français, accueillant les visiteurs et leur
indiquant le chemin de l'amphithéâtre où se déroulait le colloque. Les gens
étaient d'une politesse exquise.
Les discussions portaient essentiellement sur
le soufisme, la tolérance, le respect de l'autre, la fraternité, l'amitié,
l'amour, l'espoir, le discours interreligieux et la paix. Un enseignant
universitaire algérien était ravi de la présence à la manifestation d'un «
chercheur » étranger et le faisait savoir à ceux qu'il rencontrait sur son
chemin.
Le thème de la première journée a été « La
terre ». Il y avait beaucoup de monde. Les conférenciers ont parlé notamment
des changements climatiques, de l'effet de serre, des défis environnementaux,
et de l'art de tisser la vie. Le congrès a donc inauguré ses travaux par des
interventions scientifiques sur les dangers qui guettent la planète Terre. Les
problèmes soulevés sont évidemment très importants pour l'avenir de l'humanité.
De grands savants en parlent tout le temps. Des politiciens opportunistes
aussi.
Cependant, si on est un type terre à terre
comme celui qui écrit en ce moment, en écoutant ces conférences, on ne pouvait
pas s'empêcher de ressentir comme un malaise. Comment vous expliquer la chose ?
C'est ce que qui se passe en vous lorsque
vous voyez votre enfant se casser la tête pour préparer un exposé sur la couche
d'ozone menacée par la pollution, alors qu'il n'arrête pas depuis des semaines
de se plaindre des odeurs nocives que dégagent les toilettes de son école. Vous
vous dites alors : s'ils ont réellement l'intention de former des citoyens
comme ils le déclarent, pourquoi n'apprennent-ils pas à nos élèves comment
dénoncer l'environnement malsain dans lequel ils vivent à longueur de vie ?
Comment ces enfants pourraient-ils écrire sur les rayons ultraviolets alors
qu'ils sont incapables de décrire et de nommer les objets simples qui les
entourent ? Pourquoi ne pas leur apprendre à rédiger des lettres aux élus pour
leur rappeler leur devoir ? Comment peut-on leur faire admettre qu'il faut
nettoyer la terre quand les adultes chez eux ne savent pas nettoyer des
toilettes ?
C'est ce
sentiment-là qu'on a éprouvé. On s'est dit qu'il aurait été peut-être plus
bénéfique de discuter de problèmes beaucoup moins compliqués, mais qui ont des
conséquences désastreuses et actuelles sur notre vie quotidienne. Prenons un
exemple.
À Mostaganem, la pollution fait des ravages
et des thèses bien étoffées sur ce sujet ont été soutenues à l'université de
cette ville par de jeunes chercheurs algériens qui auraient été ravis d'exposer
leurs travaux. Ne serait-il pas plus intéressant pour une zaouia de provoquer
des débats sur ce genre de questions liées à notre environnement immédiat ?
Par ailleurs, à Mostaganem et en dehors de
Mostaganem, la société s'enfonce de jour en jour dans des difficultés qui
appellent des solutions efficaces et urgentes et qui auraient été, à notre
avis, de très bons thèmes pour le congrès. Comme le chômage, qui a réduit un
grand nombre de citoyens à la mendicité ; la drogue, qui esquinte nos
adolescents ; la prostitution, qui se banalise ; l'émigration clandestine, qui
sème des cadavres sur nos plages ; la corruption, qui se fête et s'affiche
comme un trophée ; les maladies, dont les conséquences sont visibles sur le
physique et l'intelligence de nos enfants ; le pouvoir d'achat, qui dégringole
sans arrêt ; les regards, qui dégorgent leur contenu pestilentiel à la moindre
goutte de pluie ;... etc.
On le voit, ce ne sont pas les problèmes qui
manquent sur le seuil de notre porte. Il serait peut-être raisonnable de laisser
les grandes questions à ceux qui ont rempli le ciel de satellites et d'essayer
de répondre à celles, beaucoup moins complexes, qui ont transformé la vie de
millions d'Algériens en enfer.
Conclusion
Ceux qui ont toujours mangé à leur faim
ignorent l'humiliation que ressent un homme qui rentre chez lui les mains vides
dans un pays riche. Un homme qui n'ose plus lever les yeux pour ne pas
rencontrer le regard insultant de son épouse et de ses enfants. Un homme qui a
perdu sa dignité. Un homme qui, désormais, pourrait aller jusqu'à fermer les
yeux sur tous les écarts de sa famille parce qu'il est incapable de lui offrir
de quoi manger. C'est sur cet homme-là que Dieu nous interrogera d'abord. Dieu
ne nous accusera pas d'avoir pollué l'atmosphère. Nous y sommes pour rien. Mais
Il ne nous pardonnera pas de polémiquer sur des miniatures pendant que des
êtres humains sont transformés en chiffon par une pauvreté qui n'a pas lieu
d'être. S'inquiéter sur le réchauffement climatique et parler de
fraternité est, certes, d'une importance qu'aucun homme sensé ne peut nier, et
d'aucuns pourraient trouver médiocre d'écrire sur la misère quand la planète
est en danger et que les hommes ne s'aiment pas assez. Ils auraient peut-être
raison. C'est si démodé aujourd'hui de parler des hommes qui ont faim
injustement. C'est si terre à terre. Ce n'est pas un scoop.
Je suis de Mostaganem et j'ai eu la chance et le plaisir d'assister au centenaire de la tariqa alawiyya. Le cheikh bentounes a le mérite d'organiser une rencontre de haut niveau scientifique dans une ville certe où d'autres préoccupations sont plus urgentes. cependant si cheikh bentounes a contribuer à rendre mostaganem pendanr une semaine comme un pôle pour les scientifiques et les penseurs de tout bord, il a au moins ce mérite. Quant aux miniatures du prophète et l'étoile de david, j'ai compris après son communiqué qu'on est ignorant de notre histoire et notre patrimoine et que le peuple algérien est pris en otage par une pensée religieuse rétrograde et renfermée loin de celle qui nous ont précédés (à lire impérativement le communiqué du cheikh bentounes).
Bravo cheikh pour ce que vous faites pour notre religion et notre pays. que Dieu vous aide dans vos projets.
zarouki - medecin - Tanger
29/08/2009 - 4091
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Posté Le : 20/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Boudaoud Mohamed
Source : www.lequotidien-oran.com