Algérie

Ce n'est pas moi de Sofiane Hadjadj, (Roman) - Éditions Barzakh, Alger, 2003



Eloge de la folie

«Il est bien curieux d'aimer une personne au point de désirer mourir avec elle, au moment où, précisément, c'est la vie que nous essayons d'envisager. » Cette dualité traduit la magie des paradoxes qui fait que la vie porte la mort, que l'amour peut être aliénation, et que folie n'est pas nécessairement déraison. C'est ce que traverse le second livre de Sofiane Hadjadj. Architecte de formation, Sofiane Hadjadj, qui codirige avec Selma Hellal les éditions Barzakh, passe de l'autre côté du miroir et publie un récit Ce n'est pas moi qui fait suite à un recueil de nouvelles La Loi, paru en 2000.

L'histoire met en scène deux personnages, un homme, une femme. Un vieil homme étrange, dont on ne connaît pas le nom, qu'on appelle Professeur. Vingt-trois années passées dans un asile, sur les hauteurs de la ville d'Alger, il monologue sur la vie, les hommes, dont M., son assistant, cristallise pour lui la bêtise. Cet homme raconte sa rencontre avec une jeune femme « d'une beauté singulière ». Des visites qui lui offrent six mois de sursis, voire une seconde vie. Puis un malentendu et la séparation.
Une jeune femme, journaliste, entre ses amours saphiques à sens unique et ses « à quoi bon de vivre ? ». Elle se retrouve grâce ou à cause des résolutions de son rédacteur en chef sur le chemin de la « maison des fous », à la rencontre de cet homme mystérieux. Sous son charme maléfique, elle multiplie les visites jusqu'à l'épuisement devant son cynisme. Jusqu'à ce qu'elle sombre elle-même dans la folie. Ce récit à deux voix qui se suivent, sans jamais se croiser, met en avant deux personnes au premier plan d'une ville en guerre. L'un au crépuscule de sa vie, l'autre à la recherche de soi, se retrouvent sur la frontière qui sépare la raison de la déraison. C'est aussi l'histoire d'un impossible salut, d'une perdition inéluctable. Une histoire de saison, de rencontre qui commence en hiver pour éclore au printemps et mourir en été, suivant ainsi le cycle de la vie. Etrange façon de vivre pour ces deux-là, « la seule arme pour ne pas sombrer dans la folie ».
« Deux êtres égarés dans les paysages chimériques de l'inconscience ». Elle, entre sa soif de la mer, ses rêves étranges et son désir d'absolu. Lui, « reclus volontaire », revenu de tout et de tous, misanthrope accompli, souffre de « divagations diverses », formule qu'il emprunte à son docteur.
De ce rituel d'échanges, de ces visites qui de janvier jusqu'à juin, il troque la folie pour la résurrection. Lui parle de son enfance heureuse à Tunis, de son adolescence polissonne et de ses publications de scientifique. Elle ramène le monde dans sa claustration volontaire. Lui accepte enfin de vivre le « bonheur terrestre ». Elle finit par faire le deuil de la vie.

Au travers de ce texte et des soliloques de ses personnages, l'auteur qui ne manque pas de glisser des clins d'il assassins au monde de la presse, aux maîtres du chaâbi et aux stars du foot, pose l'éternelle question de la vie et de la mort, de la peur de l'amour, et de l'aptitude au bonheur qui sépare le monde en deux, « des gens prédisposés au bonheur et d'autres qui acceptent de nager dans les eaux troubles de l'incertitude quitte à frôler la déraison ».


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