Algérie

«Ce film, c'était exactement le bon timing»



«Ce film, c'était exactement le bon timing»
- Votre immeuble est sous haute surveillance policière ! De quoi a-t-on peur ' Est-ce vous qui avez donné l'alerte '
Non. à‡a a commencé vendredi dernier après le passage du film Persépolis et d'un débat. On a l'habitude de se faire attaquer chaque fois par des sites islamistes ou salafistes, je ne sais pas comment on peut les appeler. Nous, Nessma, ne plaisons pas à  certaines catégories de la population que sont les extrémistes en général. Donc on se fait attaquer parfois au bout de 8 minutes d'un programme où on en a 800 négatifs. C'est tout préparé, ils appuient sur des boutons et ça marche ; il faut voir combien ils sont organisés ! Ce genre de combat, on en a l'habitude, sauf que là, il y a recrudescence de la violence verbale. Des pages entières sont créées pour appeler au meurtre de ma personne même, de ma famille et des employés de Nessma TV.
En voyant cette recrudescence et une autre page sur la volonté de venir incendier Nessma dimanche, donc nous avons été alertés… Par contre, nos immeubles publics au centre-ville ne sont pas sous le contrôle de la police. Ce n'est pas la peine. Pour ce qui s'est passé : la tension est montée d'un cran et, dimanche, on a été attaqués. Ils voulaient nous brûler dans l'immeuble. La police, avec une dose d'intelligence, a su désamorcer le conflit.
- Donc le dispositif de sécurité déployé en bas de votre immeuble, c'est pour prévenir la marche annoncée contre votre chaîne dans quelques heures, après la prière de vendredi…
Oui ! Mercredi soir, il y avait 15 bus de la police, car ils ont dit qu'ils allaient venir ce soir-là. Cette fois, comme c'est vendredi, après la prière, la police a supposé qu'ils vont venir nous brûler… Mais ce qui est extraordinaire, c'est qu'il n'y a aucun soutien, aucune société civile. Rien. Il y a seulement Human Watch Right et Reporters sans frontières, l'instance de Ben Achour (la haute instance pour l'atteinte des objectifs de la révolution) qui a rendu public un communiqué. Il n'y a pas de gens qui veulent nous défendre, qui veulent nous soutenir. Aujourd'hui, nous sommes devenus des pestiférés, des gens veulent nous brûler. De toute manière, heureusement que l'Etat est là. Pas de crainte, il n'arrivera rien à  Nessma. N'empêche que c'est une pression incroyable, surtout une pression personnelle, puisqu'ils sont venus incendier ma voiture devant chez moi et aussi celle de mon voisin, pensant que c'était la mienne.
Donc mes enfants, ma famille, tous les employés de Nessma ne sont pas en sécurité. Nous pensons à  renvoyer les Algériens et les Marocains chez eux pour ne pas avoir à  les protéger. Quant aux vedettes de la chaîne, on leur a demandé de ne pas sortir dans la rue, les cameramen prennent des risques quand ils veulent faire des reportages, on les frappe...
- Combien de gens allez-vous rapatrier '
A peu près une quinzaine de personnes entre Algériens et Marocains qui travaillent ici  entre monteur, cameramen, journalistes, animateurs, dont Chawki Karoum. Mais je voudrais quand même revenir  sur le fond de l'histoire. On prend un film qui s'appelle Persépolis, doublé en daridja par une association de défense des droits de la femme parrainée par l'ONU. Ce film a été programmé sur Nessma et, le même jour, dans les salles de cinéma où il est passé une dizaine de fois. Il a obtenu le visa du ministère de la Culture. Les Affaires religieuses n'ont rien dit. Cette semaine, il passe à  Riyad et à  Abu Dhabi où il a remporté le grand prix. C'est vrai qu'il y a des scènes où une fille qui rêve et se représente Dieu.
C'est quelque chose qui me choque aussi, il y a eu erreur humaine dans le visionnage, certainement que si l'on avait vu cette scène, on l'aurait enlevée. Mais il faut toute raison garder, c'est un film, un dessin animé, c'est l'imaginaire d'une petite fille. Aujourd'hui, nous nous retrouvons taxés d'impies, on veut nous brûler et personne ne nous défend.
- Justement à  ce propos, au tout début de la polémique, vous avez dénoncé le comportement des agresseurs avant de vous en excuser publiquement, quelques jours après. Pourquoi ce revirement '
Je continue à  le dénoncer… Ce n'est pas un revirement, en aucun cas. C'est important à  un moment donné, je regarde la télé et qu'est-ce que je vois ' On est sur deux territoires bien  différents : un territoire de crise politique, médiatique, d'image ; On a l'habitude. Quand on a ramené Hillary Clinton on a eu ce tollé provoqué par la jalousie. Tout le monde a vu le complot ; mais là d'un coup on s'est retrouvés, par le fait de sites islamistes,  par la propagande, sur un terrain qui était le terrain du sacré. Les gens disent maintenant que nous sommes des impies sans que jamais personne n'ait jamais vu le film. Les gens le leur ont montré par les tracts, la télé et la radio publiques.
Passer pendant 18 minutes au journal de 20 heures, des manifestations contre Nessma  TV '! Je suis un homme de télé,  c'est monté en épingle… Soudain, je me suis retrouvé dans la rue, les gens m'insultent, insultent mes enfants et les employés.
Vous àªtes fatalement, peut-être aussi malgré vous, devenu un animateur de premier plan de la campagne électorale !
- Quand on est une télé qui a la plus grosse audience dans un pays, comment ne pas àªtre animateur de la campagne électorale '
Sauf que certains politiques et des médias vous reprochent, à Â  tort ou à  raison, de faire le jeu des islamistes.  Qu'en dites-vous '
Bien sûr. Lorsqu'on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage. Je passe un film qui dénonce la prise du pouvoir islamiste par la Révolution iranienne et je fais le jeu de islamistes !
- Certains poussent même le raisonnement jusqu'à considérer que vous auriez pu agir à  dessein,  tout en  rappelant votre proximité avec le président déchu…
On n'a jamais eu  de proximité avec le président déchu. Tous les médias, télés et radios qui existaient en Tunisie appartenaient à  la famille Ben Ali ou leurs alliés… Nous étions la seule télé qui n'appartenait pas à  Ben Ali.
Alors, tous ces gens-là existent aujourd'hui et ce sont ceux-là qui nous reprochent notre proximité avec la famille Ben Ali. Les radios qui appartenaient à  Serine Ben Ali ou à  la famille  Belahcene Trabelsi, ou la télé qui, pendant 23 ans, lustraient les chaussures de Ben Ali qui étaient peintes en mauve, ces mêmes journalistes, ces mêmes personnalités nous ont attaqués par ce qu'on n'était pas des  ben-alistes.  Vous savez ce qui nous a protégé ' On avait des étrangers dans le capital. C'est pour cela que la famille Ben Ali ne nous a pas mangés. Ben Ali nous a laissé une ardoise de 25 millions de dollars de dettes entre le fisc, la douane… Je vous rappelle que nous sommes la seule télé à  avoir fait une émission, le 30 décembre, sur Sidi Bouzid qui a ouvert une brèche. Je pense que ce film devait passer, c'était exactement le bon timing, et la preuve si ce n'était pas le bon timing, il n'aurait pas fait un bide c'est un film pour lequel tous les Tunisiens ont un point d'interrogation dans la tête, en se disant : «Ecoutez, on va dans la démocratie,  c'est génial !»
Quand on voit Ennahda, qui se comporte comme un parti démocratique – j'ai  rien à  dire, la preuve : ils sont sur mon plateau, ils s'en servent puisque c'est Ennahda qui a la plus grande place dans mes programmes, quand on fait les statistiques – donc Ennahda, j'ai rien contre. Il joue le jeu, mais tout le monde se dit : si les islamistes prennent le pouvoir, est-ce qu'il joueront toujours le jeu démocratique ' Ce n'est pas ma question, c'est celle de 90 millions… ou peut-être 300 millions d'Arabes. Quel est l'exemple où des islamistes qui ont pris le pouvoir sont devenus démocrates ' Si, peut-être la Turquie. El hamdou Lilah, il y a un exemple ! Espérons que la Tunisie sera peut-être comme cela si jamais les islamistes prennent le pouvoir. Donc avoir un film qui montre la dérive d'une révolution avec un plateau d'explication derrière, est-ce que ce n'est pas  le bon moment pour faire cela '  Il n'y a pas meilleur moment.
- Vous avez pourtant déclaré tout récemment  que vous n'aviez pas visionné le film…
Je passe à  Nessma 250 films par an et 900 épisodes de séries. C'est pas mon métier de visionner les films ; des gens l'ont fait et ont considéré qu'il n'y avait de pas de problème : c'était un rêve de petite fille. De plus, ils étaient  rassurés par le visa du ministère de la Culture et le fait que ce film passe à  Riyad. Sommes-nous devenus plus wahhabites que Riyad '! Je me pose la question.
- Confirmez-vous que des avocats ont déposé plainte contre vous '
Il y a un collectif de 147 personnes (avocats et citoyens) qui, effectivement, ont déposé plainte. Mais il y en a d'autres aussi.
- Avez-vous été entendu par le juge du tribunal de Tunis '
J'ai été entendu par le juge d'instruction. L'affaire est en cours. Il y a une enquête ; ils ont entendu le responsable du visionnage de Nessma  ainsi que l'association qui nous a donné le film.
- L'ambassadeur d'Iran en Tunisie est intervenu cette semaine dans les médias tunisiens pour se démarquer de cette polémique ; il a affirmé qu'il aurait même demandé aux pouvoirs publics tunisiens d'intervenir pour ne pas diffuser ce film. Quel est votre commentaire '
Votre information sur l'ambassadeur iranien est fausse. Il a sorti un communiqué pour dire qu'il avait prévenu le pouvoir et Nessma en leur disant de ne pas passer ce film. C'est faux, en plus. Il a juste appelé pour établir une relation culturelle. Donc il ne m'a jamais envoyé de lettre. Mais apparemment, il a dit qu'il a envoyé une lettre au gouvernement en pensant que ce dernier peut m'imposer des choses.
Il semble apparemment oublier que nous sommes dans un pays libre. Mais la liberté a pris un coup à  partir de ce film, Persépolis.
 


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