Algérie

Casseroles et gamelles


L'Algérie est-elle en passe de caracoler en tête du hit-parade mondial de la corruption ' Encore deux toutes petites places à grignoter et nous y serons. C'est ce que pourrait suggérer le dernier classement de Transparency international qui classe l'Algérie 105e sur 107 pays passés en revue. Une bonne dernière place, même dans un domaine aussi peu gratifiant que la corruption, nous donnerait au moins le sentiment d'être en tête de quelque chose. Mais même cette triste satisfaction, on ne l'aura pas, car il suffit de bien suivre l'actualité internationale pour s'apercevoir que les pays qui nous dépassent dans la rapine et le détournement des deniers publics ne sont pas que deux. Tout dépend évidemment des éléments dont a pu disposer l'ONG internationale pour établir son baromètre mondial, sachant qu'en Algérie, si la corruption est un vrai sujet de discussion nationale, au moins autant qu'elle est un sport de même envergure, les preuves font souvent défaut ou mettent du temps à «sortir». De là à penser qu'elle est d'une ampleur plus «raisonnable» (sic), c'est un pas que le bon sens le plus élémentaire interdirait de faire. Mais un bon nombre d'autres pays, notamment en Afrique, Asie et dans le monde arabe, à défaut de lui prendre sa place, mériteraient au moins de la partager avec elle.Opaque par essence et parce que criminelle et délictuelle, la corruption a un terreau : la dépense publique qui rétribue les marchés nationaux et internationaux et où viennent s'intercaler des personnes suffisamment influentes pour s'octroyer des commissions. Elle a ses réseaux, puissants et ramifiant à l'échelle internationale, comme l'ont montré les scandales à répétition qui ont secoué le secteur de l'énergie à travers ses deux grandes entreprises mamelles, Sonatrach et Sonelgaz. Mais ces deux entreprises ne sont les plus citées que parce qu'elles sont les plus emblématiques en termes de contrats à l'international et des montants faramineux qu'elles mettent en jeu. On manque, enfin, de preuves (elles nous viennent souvent de l'étranger), parce que, s'il y a un domaine où les Algériens méritent une des premières places sans contestation, c'est l'art d'organiser et d'entretenir une opacité qui, à son tour, génère toutes les embrouilles et brouille les pistes. Ainsi pendant une bonne dizaine d'années, seul Chakib Khellil, à la fois ministre de tutelle et seul vrai P-dg de Sonatrach savait exactement la nature des liens de la compagnie pétrolière avec ses partenaires corrupteurs. Et un beau jour, alors que son nom était sur toutes lèvres, le Monsieur s'envole en toute quiétude vers l'étranger.
C'est un enseignement primordial, donc : n'est pas corruptible qui veut. Et quand un responsable l'est, il est rarement seul, car il lui faut d'autres détenteurs de pouvoir décisionnel pour entourer sa gamelle nourricière d'un glacis protecteur et surtout éviter que des Eliot Ness mal avisés et trop curieux viennent y fouiner. Il n'y a qu'à voir le nombre de personnes complètement étrangères au secteur des Travaux publics impliquées dans les pots de vin de l'autoroute Est-Ouest. Ou encore dans l'affaire Khalifa, un retentissant scandale bancaire dont on ne peut certainement pas dire qu'il révélera un jour tous ses secrets. Elle (la corruption) est dans tous les secteurs, avec prime aux milieux d'affaires, nous dit Transparency international. La remarque est opportune, vraie, mais elle n'apprend rien de nouveau aux Algériens qui la rencontrent tous les jours en sortant de chez eux, dans le passage d'une voiture de luxe, dans une demeure cossue au coin d'une rue, bref dans une multitude de signes d'une soudaine richesse à l'origine douteuse. Chacun sait que cette richesse est le produit d'une rapine et qu'elle pousse l'insolence jusqu'à s'afficher en narguant la République et ses citoyens. Elle est comme la drogue dont on parle des quantités saisies sans évaluer celles qui passent. Qui peut dire combien d'affaires similaires à celles de Sonatrach, Sonelgaz, ou présentant les mêmes vices cachés que l'autoroute Est-Ouest, exploseront dans le sillage de celles déjà apparues ' L'absence de contrôle de l'Etat, une probabilité d'impunité plus forte que le risque de sanction sont des facteurs encourageants et Me Ksentini a raison de s'insurger contre la qualification de délit de l'acte de corruption alors qu'il s'agit d'un crime qui doit être jugé comme tel par la Justice.
Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh) est allé loin dans son appréciation de cette «gangrène» qui déshonore l'Algérie et ternit son image. Justice stricte et volonté politique réelle d'endiguer le fléau apparaissent comme les deux actions sans lesquelles la corruption continuera à prospérer, car sans elles, comme disait un vieux confrère, «la canaille et la racaille se réconcilient toujours à la gamelle»' et tintent les casseroles qu'ils peuvent traîner.
A. S.
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