Algérie

Casbah d'Alger dans la double crise du logement et de la conscience



Casbah d'Alger dans la double crise du logement et de la conscience
Depuis au moins cinquante ans, tout ce qui tourne autour de la Casbah d'Alger, dans le discours officiel, lorsqu'il s'agit de s'interroger sur l'entité de cette enceinte urbaine datant de plusieurs siècles, ressortent inévitablement les considérations les plus dévalorisantes, voire, apocalyptiques, au point où les citoyens algériens qui ne la connaissent pas, parce qu'ils sont des nouvelles générations ou parce qu'ils habitent loin de la capitale, se demandent s'il n'est pas préférable d'évacuer en extrême urgence cette vieille cité, la raser carrément, libérer son espace et voir ce qu'il faut mettre à la place ? il y a de fervents défenseurs de ce site, parmi les plus rêveurs, qui pensent sérieusement à une façon de la détruire et de la remplacer, maison par maison, identique à l'ancienne, par la force des moyens dont dispose la modernité.Et pourtant la Casbah d'Alger est sortie triomphante de toutes les adversités, de tous les malheurs qui l'ont frappée, depuis ses balbutiements au bord de la Méditerranée. Lorsque Bologhine Ibn Ziri a posé la première pierre de la Citadelle, vers la fin du premier millénaire, sur les ruines de la cité romaine, Icosium, il ne savait pas que la ville, et beaucoup plus tard, presque dix siècles après, le pays tout entier, porteront son nom ? peut-être une coïncidence aussi qu'au large de la cité il y avait des îlots que les navigateurs longeaient avant d'accoster sur le port de Mezeghenna, de vastes rivages berbères sur lesquelles Bologhine avait justement décidé de construire sa citadelle. Toutes les conquêtes arrivées par la suite, les Almoravides, les Almohades, les Hafsides, les Ottomans -qui ont entrepris son extension pour occuper les espaces vers la largeur mais surtout sur la hauteur- l'ont préservé et, mieux même, participé à son essor, sur le plan architectural et urbanistique, mais sur celui de l'émancipation de ses habitants aussi.À l'épreuve de tous les heurtsLes séismes du dix-huitième siècle sur Alger, surtout les plus terribles, de 1716 et de 1755, ont pratiquement détruit les deux-tiers de la citadelle. Le Dey d'Alger, donna les directives à Yahia, l'Agha des autochtones, de créer des cellules de secours aux sinistrés et dans les semaines qui ont suivi de faire le nécessaire pour rebâtir la citadelle, selon des normes spéciales, qui résisteraient aux secousses pernicieuses. L'Agha Yahia regroupa autour de lui des chevronnés de la bâtisse, en maçons et charpentiers, le gros dans les tribus kabyles, même dans les rivages des Babors, ramenés par les voies maritimes.Ils s'accordèrent, alors sur la formule «parasismique» originale de coller les habitations les unes aux autres, de petites surfaces élaborées, murs en briques de terre, mortier à la chaux et des plafonds bas, avec des structures d'armature en bois. La plupart de l'ensemble de la Casbah d'aujourd'hui a été construite depuis ces deux grands séismes. En moins d'une décennie, la cité a été refaite à neuf et les activités de la vie courante reprirent paisiblement, avec un peu plus d'engouement dans le travail de l'artisanat, qui caractérisait traditionnellement la citadelle. Certains historiens rapportent que l'appellation des rues (les zniqate), en relation avec le métier artisanal pratiqué, aurait été établie durant cette période, des espaces de quartier, en «rez-de-chaussée», attribués par les services du beylicat ou loués par les propriétaires, occupés par divers artisans des régions limitrophes (dans la Mitidja, Koléa, Cherchell) très esquintées par le tremblement de terre.Il a été rapporté aussi que c'est dans ce contexte de parfaite symbiose dans les activités de production, de culture et de bonne police que la Casbah d'Alger était alors considérée comme le centre rayonnant dans une onde d'agglomérations de plus de deux cents lieues depuis les limites de l'est, de l'ouest et du sud, d'où une grande communauté de manufacturiers et d'agro-alimentaires (principalement de Biskra et de Oued Souf ) ? au point où les groupes à l'intérieur de la Casbah vivaient pratiquement comme dans une situation d'autonomie par rapport à l'autorité de la Régence. Les liens étaient tellement solides, dans la pierre et dans l'esprit, disaient ses poètes alors, que les tremblements de terre de 1810, 1817 et 1825, pourtant assez violents, sont passés quasi-inaperçus par les Qasbaouis. On ne fit manifestement attention, dans les faits de la vie de tous les jours, à la présence autoritaire des Turcs qu'au lendemain de la journée du 30 avril 1827 dans laquelle ils apprirent que le Dey, qui logeait tout en haut de la citadelle dans un palais, avait giflé une importante personnalité étrangère. Ce fut le fameux coup d'éventail affligé par le Dey Hussein, le dernier d'Alger, au visage du Consul de France.De l'«occidentalisation» au businessLes troupes françaises entrèrent à Mezeghenna le 5 juillet 1830 et ils ne tardèrent pas à opérer des aménagements dans la citadelle, à leur convenance. Ils détruisirent un pan important de la Casbah inférieure (la Basse Casbah) pour dresser des structures européennes, depuis l'ancienne synagogue (Djemaa Lihoud) jusqu'au rivage et tout autour de l'ancienne cité. De sorte qu'elle se retrouva, petit à petit, recluse dans son propre espace, laissé tel quel au départ de la tutelle turque, dans son environnement traditionnel, associé aux activités des métiers domestiques et aux pratiques de l'activité culturelle ? la musique andalouse, l'enluminure, l'art vestimentaire, la parfumerie, et cætera, dans le sillage des cérémonies religieuses autour des mosquées, des fêtes de famille, dans les cafés et les bains maures.Mais l'intérêt urbain va connaître un mouvement de déplacement vers les nouveaux quartiers bâtis et organisés par les Français, les nouvelles configurations dans les modalités d'échange, bien entendu pour les besoins du nouvel occupant,vont conduire les habitants de la Casbah à sortir de leurs habitudes de travail dans la citadelle et aller prendre des tâches nouvelles dans les structures économiques européennes, dans le port, les chemins-de-fer, les manufactures motorisées et dans les services. Au fur et à mesure que la ville d'Alger coloniale prenait de l'expansion, la citadelle se confinait dans lesactivités du plus intime domestique, dans le quartier aux besoins de la famille.La citadelle connaîtra enfin sa dernière phase de dévitalisation à partir de l'indépendance. La plupart des habitants d'origine vont aller s'installer dans les quartiers abandonnés par les pieds-noirs, beaucoup plus commodes et spacieux en laissant leurs maisons en location et sous-location à des familles venues de la province rurale.Qui se mettent à accélérer le processus de dégradation, afin de contraindre l'autorité publique à les reloger dans les appartements programmés dans les plans de recasement, qui défilent au grès des renouvellements de gouvernement, mais sans succès. On parle de business dans les passements de pas de porte, d'entassements de plusieurs familles dans une même structure d'habitation, mais il y a aussi une multitude d'habitants qui ne veut pas quitter les lieux. Des quelque 800 maisons (douerate) encore habitées, selon les estimations, la moitié ne se décide pas à aller ailleurs, tandis que se pose le problème de la conservation du patrimoine national. La Casbah a été classée en 1992 patrimoine mondial de l'Unesco, qui flatte tout le monde, même si on ne sait pas ce que cela veut dire, mais en tout cas, une chose est sûre, il faut dare-dare une législation pour traiter judicieusement la question : entre la part de laculture et celle du social.Toutes les deux garanties par la Constitution.N. B.




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