«C'est l'oubli des vivants qui fait mourir les morts.» Auguste ComteComme les archives nationales, la toponymie constitue aussi un élément fondamental structurant de la mémoire collective d'un peuple à travers des noms de lieux.La Casbah : rue de Thèbes, un repère d'un martyrologe de barbarieIl en est ainsi de l'ex-rue de Thèbes, actuellement Boudries père et fils, le martyre d'une nuit funeste du 10 août 1956, où des mains assassines ont, dans la froideur de la lâcheté, perpétré un ignoble carnage contre une population de femmes, d'hommes, de vieillards, d'enfants et même d'angéliques nourrissons. Ces suppliciés ont été, dans leur innocence, déchiquetés par une bombe meurtrière déposée par des criminels, des agents des services secrets français aux relents sanguinaires et xénophobes instrumentalisés par les autorités colonialistes sous le sinistre vocable de «Main rouge».Prélude à une violence aveugle de la France colonialiste, le premier acte de terrorisme d'Etat venait ainsi d'être sauvagement commis par des mercenaires supplétifs, sans âme aucune, de la police française à une heure d'un couvre-feu décrété, appliqué et strictement observé par une population civile soumise aux innommables exactions d'une autorité de répression fasciste et impitoyable.Le monde entier a été stupéfait par cette bestiale cruauté accomplie dans un abject esprit de revanche haineuse de la responsabilité collective, arbitrairement infligée contre une population désarmée, mais résistante et courageuse dans ses profondes aspirations pour la libération de sa patrie asservie par un colonialisme de l'âge de la pierre.C'est cette détermination, à travers une participation active au combat libérateur, qui a été la cause essentielle de cette abominable action punitive qui a dévasté tout un quartier avec son lot macabre de dizaines de morts, blessés et mutilés, surpris dans leur profond sommeil transformé en un véritable cauchemar.La Bataille d'Alger : un grand classique du 7e art qui a immortalisé par l'image la guérilla urbaine dans la capitale algérienneLe film phare de la résistante Casbah La Bataille d'Alger, de Yacef Saâdi, réalisé par Gilles Pontecorvo, a fidèlement retracé cet épisode criminel ourdi par un système pervers de dégénérescence morale. Notre propos n'est point de décrire ici ce que les séquences de ce classique de référence du cinéma universel a magistralement immortalisé au frontispice mondial du 7e art, mais de pérenniser un souvenir de ce qui ne doit point s'oublier.Un souvenir indélébile d'atrocités colonialistes d'ignominieCet événement cynique d'atrocités, dramatiquement vécu dans la chair de toute une communauté humaine portant toujours les affreux stigmates d'un odieux ethnocide, a ainsi imposé et inauguré un cycle infernal de violence et de répression à Alger. Cela au corps défendant de la Zone autonome d'Alger historique et plus particulièrement de son chef, Yacef Saâdi, qui n'avait d'autre choix que celui de la stratégie révolutionnaire de la réplique armée, à travers les spectaculaires et impressionnantes actions des bombes déposées cinquante jours plus tard, le 30 septembre 1956, dans les bars huppés fréquentés alors par les cercles d'ultras fascistes, de bourreaux, d'officiers de l'armée et de la police française.Cependant, nous évoquerons un témoignage populaire qui a résisté au temps d'un citoyen qui a enduré cet enfer, dans un quartier enseveli sous les décombres, aux cris et hurlements des martyrs, dans un désarroi de panique aggravé par l'obscurité totale engendrée par la déflagration de la bombe endommageant entièrement le circuit électrique de toute La Casbah.M'hamed Moulay : un militant courageux, chahid du devoirIl s'agit du plus connu sous le sobriquet respectueux et affectif de «Badidi» (qui signifie dans le jargon populaire : ba : «père» et «didi» : grand aîné), un électricien de profession qui s'est mis à l'œuvre pour improviser en un tour de main un système d'éclairage du quartier, qui a été une rescousse salutaire pour les habitants devenus secouristes d'un sanglant charnier humain.Pour ses courageuses activités militantes «Badidi» fut arrêté plus tard sur dénonciation par l'armée d'occupation et soumis à une torture inhumaine en son domicile, sous le regard horrifié de sa famille et de ses voisins. Reconduit dans un état d'agonie dans son magasin mitoyen, il y subira de nouveau la dernière série du supplice avant d'être violemment éjecté à l'extérieur et froidement mitraillé dans le dos, en un simulacre d'évasion, pratique couramment usitée par la soldatesque coloniale pendant la guerre de libération, sous le code homicide de «corvée de bois». Il rendit l'âme à l'âge de 50 ans, dans des circonstances terrifiantes sous l'aile protectrice de la rahma divine et d'un élan de dignité et de bravoure qui humilièrent et déshonorèrent ses vils et vampiriques assassins.Le poignard de Le Pen : Une pièce à conviction de meurtres collectifsAprès les sévices infligés au martyr et quittant la maison dans la précipitation, les tortionnaires ont, par mégarde, égaré un poignard aux initiales de J.M. Le Pen, incrustées sur la manche de l'arme à poing. Cette pièce à conviction a été retrouvée par Mohamed, le fils de la victime, qui, dans un réflexe extraordinaire de ruse, l'enfouit dans un endroit insoupçonnable, qui était simplement un boîtier d'un compteur d'électricité.Revenus quelques instants après sur les lieux du forfait fous de rage par cette scandaleuse perte, ils mirent à sac toute la maison sans parvenir à retrouver la preuve témoin des sanguinaires expéditions punitives de barbarie. Tel l''il de Caïn de Victor Hugo perpétuellement fixé sur l'assassin, ce poignard du crime soigneusement conservé des années durant a survécu à la guerre de libération pour témoigner à l'éternité d'une infâme déchéance incarnée par la symbolique d'un nom Le Pen, honni par l'histoire car désormais affilié au meurtre et au crime contre l'humanité.Une évocation de courage, de solidarité et d'héroïsme d'une populationSe remémorant l'événement, Djamel Soufi, un écolier de 12 ans à l'époque, fils de Si Mohamed Soufi, l'imam connu de la mosquée Sidi M'hamed Cherif des années quarante et qui habitait dans la douira familiale, au n°3 de la rue de Thèbes, a tenu à faire ce témoignage d'un vécu traumatisant qui fut le sien. Septuagénaire aujourd'hui, ce dernier est toujours marqué par la démonstration spectaculaire d'héroïsme d'une population à travers son élan de solidarité inédite et son proverbial courage face à un crime indigne du genre humain.Est toujours vivace en sa mémoire, la frayeur d'un réveil d'apocalypse où à la terrible explosion a succédé à une vision de fin du monde des douérates voisines entièrement détruites et la leur complètement soufflée, suivie quelques instants après de lancinants râles de détresse qui perçaient l'écrasant silence d'une nuit d'épouvante sans fin.Cette rétrospective mémorielle est une évocation d'un vécu d'une génération à une période charnière et sanglante de notre histoire, qui a lacéré les enfants sans enfance que nous étions, dans la tourmente de la folie meurtrière d'un colonialisme enlisé dans le désarroi d'une phase finissante de déclin. Les repères d'histoire ainsi revisités, à la date anniversaire du 10 Août 1956, 58 années après le drame, seront témoins pour l'éternité des souffrances, des atrocités et des sacrifices de nos aînés pour constituer les points cardinaux de notre géographie mentale, gardienne perpétuelle d'une toponymie expressive émanant d'un lumineux pan d'histoire à immortaliser pour la postérité.Lieux de mémoire à respecter, à préserver et à pérenniser pour la postéritéEn ceci, et à l'évocation du 60e anniversaire du 1er Novembre 1954, ils seront, incha Allah, fleuris à l'ancienne tradition de «h'bek, Yasmine, Fel ou Sissane» floralies d'une symbolique civilisationelle de La Casbah, à l'endroit de ses martyrs et de ses héros, dont le sacrifice sera fidèlement pérennisé en direction de la jeunesse et des générations montantes. Ce qui sera enfin un devoir générationnel accompli pour un ancrage mémoriel avec des lieux de ressourcement qui incarnent aussi un legs patrimonial de culture et d'histoire à transmettre aux générations futures dépositaires, légitimes de cet héritage qui constitue une précieuse part de soi.L'Algérie, une patrie historique, culturelle et affectiveCes lieux de mémoire qui sont par ailleurs des segments constitutifs d'une patrie historique, culturelle et affective doivent par fidélité de serment être entretenus, préservés et aimés au-dessus de tout, car repères de renaissance «existentielle» d'une nation miraculeusement ressuscitée d'un long naufrage d'infrahumanité séculaire.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 09/11/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Lounis Aït Aoudia
Source : www.elwatan.com