Algérie

Casbah (Alger) - Seul un miracle algérien peut sauver la Casbah



Casbah (Alger) - Seul un miracle algérien peut sauver la Casbah


Voici le texte intégral de la présentation qu'a faite l'architecte allemand Armin Dürr à la Réunion internationale d'experts sur la sauvegarde et la revitalisation de la Casbah d'Alger du 21 au 23 janvier 2018.



Mesdames, Messieurs

Je suis un architecte qui viens de la pratique de la renovation et j'aimerais vous présenter mes impressions faite lors d'une visite de la Casbah. Elles sont trés individuelles, tendance pessimiste, mais elles donnent une sorte de flash sur l'histoire de la renovation de la Casbah.

Bien que j'ai pu constater quelques améliorisations et progrès lors de nos visites de ces jours.

Je vous fais part des impressions, d'un architecte, de la Casbah, après une visite en Septembre 2010. C'est-à-dire plus de 23 ans après mon séjour en tant que coopérant de la RFA (République Fédérale d'Allemagne).

Je ne sais pas, si plus de 2 décennies après je dois dire «Au Revoir la Casbah ou revoir, avec tristesse la Casbah?»

Durant les années 1984 à 1987 j'ai participé, comme d'autres architectes étrangers (dans le cadre de la coopération Algéro-Allemande) et algériens, au sein de l'Atelier Casbah à Alger, à différents programmes de la rénovation de la Casbah dont l'objectif était la sauvegarde de ce patrimoine unique en Algérie et qui par la suite et à juste titre a été reconnu comme faisant partie de celui de l'humanité.

casbah esquisse

Des bâtisses dignes d'être conservées ou sauvées ont fait l'objet de relevés, de projets et documentations nécessaires pour leurs restaurations. Ainsi, moi et mes collègues avions tout préparé pour entamer les réalisations. Mais déjà à l'époque nous constations une course contre le temps, les bâtisses risquaient de tomber en ruine en attendant les décisions de commencer les travaux.

Nous étions par ailleurs chargés d'élaborer, en collaboration avec d'autres architectes allemands, un avant-projet du Plan d'Aménagement de la Casbah en continuation du «Plan d'Aménagement Préliminaire/Projet de Revalorisation» de 1981».

Après mon séjour en Algérie, ma carrière professionnelle déviait de la restauration du patrimoine vers d'autres activités du bâtiment, où j'ai réalisé de grands projets.

En me rendant en Algérie en 2010, je me demandais dans quel état allais-je retrouver, la Casbah après 23 ans, tout en considérant que l'Algérie avec ses riches ressources naturelles serait en mesure de mettre les moyens financiers pour sauvegarder ses biens culturels?

Nous avons fait une première approche par la basse Casbah, l'ilot Lalahoum. Je me suis retrouvé face à de vastes démolitions entreprises déjà dans les années 1980 pour faire place à des projets de reconstructions ou de nouvelles constructions.

J'ai été surpris de me retrouver face à des bulldozer et camions en action de démolition.

Mais cette fois on ne démolissait pas des maisons de la Casbah, mais des bidonvilles qu'on n'a pas pu empêcher de s'installer! Pour moi c'était inimaginable de voir des bidonvilles à la Casbah! D'autant plus que c'est là où j'imaginais la reconstruction de bâtisses dont j'avais fait les plans d'exécution vingt ans auparavant. Or je me suis retrouvé face aux bidonvilles! Pas la moindre rénovation, ni la moindre reconstruction ... Walou !!

Est-ce un symbole de l'incompétence de ce pays pour faire face à son histoire et pour préserver son patrimoine? C'était incompréhensible, car j'ai travaillé avec Fouzia Asloum et d'autres architectes algérien, dont la compétence ne peut être remise en cause.

J'ai continué ma visite avec Djaffar en remontant à travers des ruelles escarpées et relativement inanimées, jusqu'au Boulevard de la Victoire pour arriver à Dar el Ghoula.

Je me suis souvenu qu'en 1986, au bureau Ofirac/Unité Casbah, j'avais préparé le projet «Dar el Ghoula», qui avait comme contenu de fermer le vide le long de la Rue Debih Cherif et d'aménager le terrain vague autour de la partie supérieure de la Rampe Ourida Meddad.

Le projet prévoyait de revitaliser le quartier «Dar el Ghoula» avec des boutiques, bureaux, cafés, restaurants dans le bâtiment à la Rue Debih Cherif et l'intégrer l'espace public autour de l'escalier de l'époque coloniale, avec des aires de jeux et un petit parc de verdure et un café pour les habitants de la Casbah.

Je me suis renseigné et j'ai constaté que les démolitions de bidonvilles en cours, n'est accompagné d'aucun projet de réalisation, pas même de celui initié en 1986, pourtant techniquement facile à exécuter, car le site est accessible sans problème relative à la propriété foncière. Walou, encore une fois!!

Frustrés, nous avons continué notre promenade dans les ruelles étroites vers la Basse Casbah. Du temps de mon séjour à Alger, j'avais connu la Casbah très animée: Les rues étaient pleines de gens, qui vaquaient à leurs activités quotidiennes dans les petites boutiques ou ateliers de réparation, les vendeurs animaient les scènes, des enfants jouant au foot. Rien de tout de cela. Il n'y pas un chat dans les ruelles. Elles sont d'un calme effrayant.

Comme je ne pouvais pas comprendre ce que Djaffar Lesbet disait en arabe à quelques résidents sur la situation de la Casbah, je me suis concentré sur les expressions de leur visage et leurs gestes, qui sont souvent plus éloquents que les mots. J'ai deviné une grande déception, de l'amertume, l'absence d'espoir d'amélioration, voire la quasi dépression. Ils nous mettaient en garde contre l'agression par "voyous".

En passant près du «Cimetière des Princesses», j'apprends qu'il n'existe plus? J'ai constaté la perte d'un endroit particulier de la Haute Casbah. A mon époque c'était un lieu calme, verdoyant et paisible, invitant hier à la méditation, aujourd'hui à la désolation.

Dans ma mémoire se forment des images de maisons intérieurement bien conservées, richement décorées et en bonne état. Mais on a du mal à les trouver aujourd'hui!

Je n'ai pas trouvé une seule maison en excellent état, bien entretenue et conservée pour fasciner l'œil de l'architecte.

La Rue du Chat, où je me souviens avoir fait un projet de reconstruction de la bâtisse n°19/21, est devenue une impasse, suite à l'effondrement des maisons mitoyennes. Cependant les étaiements immenses, peuvent-ils être interprétés comme signe d'un nouvel intérêt pour la sauvegarde de la Casbah ou est-ce juste encore une action «alibi»?

La grande animation dans la rue Amar Ali ravive mes souvenirs: «Ambiance Casbah» presque comme avant.

Nous avons reçu une invitation spontanée de boire un thé avec quelques connaissances de Djaffar Lesbet et grâce à ces «anciens copains» autour d'une table j'avais le sentiment d'avoir retrouvé pour un moment l'ancienne ambiance de la Casbah.

Cependant, l'impression générale produisait en moi un effet assez déprimant, tant par son ambiance, que par l'état des constructions après toutes ces années de labeurs, de financement et d'effort d'innombrables experts ... la situation n'a fait qu'empirer.

Tout en tentant d'être réaliste, je ne peux faire abstraction des efforts que moi et mes collègues Algériens avons programmés. J'ai du mal à croire à la préservation ou à la reconstruction de la Casbah. Or elle est un témoin unique de la culture algéroise ... Tout comme je ne peux me résoudre à dire ADIEU LA CASBAH.

Arrivés au «Palais de Dar Aziza» nous avons constaté qu'un nouveau Bureau de la Sauvegarde et Conservation du Patrimoine est installé ici, qui est dirigé par un directeur très actif et stressé.

Un nouveau «Plan d'Aménagement de la Casbah» a été élaboré et doit être réalisé. Mais comment cela marcherait-il cette fois? Je n'ai pu le savoir.

De précieuses années pour la préservation de la Casbah ont été inutilement perdues. Nombreux projets préparés n'ont jamais été réalisés, tant de gaspillage de moyens financiers, d'énergies et d'idées d'innombrables experts ont été perdus!

J'ai comme l'impression que les habitants se sont comportés, durant toutes ces années, comme des «locataires en transit», qui ont par la destruction de leurs maison réussi à obtenir un logement. Djaffar Lesbet a décrit dans ses publications ce processus absurde, presque diabolique et l'a dénoncé mainte fois.

Même si on arrivait à casser ce cycle de destruction et de déclin il reste la question: Pourquoi n'a-t-il pas été possible de préserver et de restaurer la Casbah?

Il n'est pas concevable que la volonté décidée et qu'en plus la conscience pour l'estime du patrimoine culturel manque.

L'Algérie est un pays, qui est capable de construire des centaines de milliers de logement et des infrastructures nécessaires, elle est aussi en mesure de résoudre les questions de la préservation de la Casbah. Cela ne peut pas être qu'une question d'argent.

Il se pourrait que l'Algérie ait été et soit encore trop prise par la consolidation de son système social, les soucis quotidiens à l'égard du travail, chômage, transport, logement et des incertitudes du future et de ce fait, les intérêts culturels sont simplement refoulés.

Est-il présomptueux de penser que le peuple Algérien n'est peut-être pas encore mûr pour s'occuper de la sauvegarde de son patrimoine bâti?

Mais c'est la faute à qui ...?

Toutefois, on pourrait supposer, un demi-siècle après l'indépendance, que cette responsabilité envers l'histoire aurait pu être privilégiée.

Je pense à la reconstruction après la guerre de ma ville natale, Nuremberg, la ville historique, intramuros, était à 90% détruite par les bombes en 1945. Sa reconstruction était terminée, au moins pour l'essentiel, après 20 ans, mais le vif intérêt des citoyens pour sauvegarder les immeubles résidentiels historiques se réveilla seulement quand il était devenu «chic» de vivre dans la vielle ville, d'habiter une vieille maison à colombage avec tout le confort d'aujourd'hui. En plus les subventions publiques ont, bien sûr, facilité les rénovations. Or les financements du gouvernement Algérien ont été supérieurs à ceux consentis par le gouvernement Allemand.

Et je reviens à un des projets de la Casbah cité auparavant: Dar el GhoulaPourquoi rien de tout cela n'a éte´réaliser?

Ma perception pragmatique, pose une autre question, qui pourrait être qualifié d'hérétique par des conservateurs: Est-ce la raison de l'échec de tous les efforts réside dans le fait, que la vie dans la Casbah exige un mode de vie et une condition d'habitat qui n'existent plus à nos jours?

Après le départ des Français beaucoup d'anciens habitants de la Casbah ont déménagé dans des appartements confortables, dans les immeubles de l'époque coloniale, pourquoi?

De plus, les Algériens devraient s'interroger pourquoi le mode d'entretien des maisons de la Casbah c'est ainsi perdu.

S'il est agréable de flâner dans les ruelles étroites ou d'escalader les escaliers en pente, il est peut-être différent de devoir le faire tous les jours. Car l'accessibilité n'est pas tellement confortable, si on pense par exemple à tout genre de transport (personnes, marchandises, collecte des ordures, ambulance, stationnement des voitures etc.). Bien qu'on sait aujourd'hui concevoir des solutions. Il est facile de les résoudre, comme on le fait pour les zones piétonnes dans les autres villes.

Les pièces dans une maison type de la Casbah sont généralement petites, orientées autour du patio, sans fenêtres vers l'extérieur - la vue sur la mer depuis la terrasse, bien sûr, est unique et extraordinaire. C'est pourquoi il est indispensable que les citoyens qui ont les moyens de construire une maison à la Casbah, et ceux qu'on devrait convaincre qu'ils pourraient jouir d'une situation «moderne et confortable» et attrayant, de s'y investir.

Mais ces réflexions expriment peut-être plutôt la pensée européenne et ne s'adaptent pas à la situation en Algérie!

En conclusion de mes brèves «retrouvailles» avec la Casbah après plus de deux décennies, je dirais que cela n'inspire aucun sentiment de pessimisme ou d'optimisme, il faut être réaliste!

Je souhaite que les nouveaux efforts aient du succès, mais je ne crois plus que cette énième tentative réussira.

Cependant il me reste finalement l'amer sentiment que l'ensemble de la Casbah est un patrimoine en péril.

Alors avec grand regret de dire: AU REVOIR ou ADIEU LA CASBAH!

Mais pour donner une note positive à cette réunion importante je vais citer le commentaire de mon ami: «L'Algérie c'est le pays des miracles, où rien ne va ou tout va, tout en allant pas....»

Continuons alors à lutter et à espérer pour sauver ce qui reste de notre chère Casbah!


Armin Dürr (Architecte)


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