La baie d’Arzew est balisée par deux phares. A l’ouest, c’est celui de la pointe de l’Aiguille, cette arête qui matérialise le cap Carbon, et à l’est celui de cap Ivi. Installé sur le flanc de la montagne, ce phare est visible par temps clair à plus de 120 km. En effet, à 212 m du niveau de la mer, ses lumières sont perceptibles depuis la côte espagnole.
Construit en 1878, il occupe un site historique d’où les premiers habitants de la contrée pouvaient contrôler tout mouvement de navires. En effet, le site archéologique du cap Ivi fait partie d’une série de postes d’observation qui jalonnent l’accès à une véritable cité antique : la ville de Quiza qui se trouve sur le flanc sud de la montagne à moins de 3 km à vol d’oiseau. Selon certaines versions, elle aurait abrité l’unique port fluvial d’Algérie. On y accède en longeant sur 5 km, la rive droite du Chélif depuis l’embouchure.
Fruits et légumes en abondance
Des deux côtés du phare, des sites archéologiques d’une grande richesse, mais qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets, sont répertoriés. Celui de Chaïbia, en contrebas du phare, est sans doute le plus prometteur, car la profondeur des eaux et les ruines qui affleurent sur la plage laissent supposer l’existence d’un véritable comptoir phénicien. Mokhtar, le jeune gardien, qui officiait lors de notre visite, s’est monté peu loquace. Travaillant en relais avec deux autres collègues, il refusera un premier temps de nous laisser accéder à l’intérieur avant de se raviser. Construit sur la terre ferme, le phare de cap Ivi est une bâtisse immense. On y entrait en tournant le dos à la mer par une énorme porte, non sans avoir traversé une spacieuse cour que délimite un belvédère. Entouré d’une large muraille fortifiée, il s’accoude à la montagne en empruntant aux terres environnantes de larges espaces. La présence d’un puits en fait un cas d’espèce. En effet, jusqu’au tout récent raccordement au réseau public qui dessert les contrées du Dahra, le phare de Ouillis était totalement autonome. Les terres en contrebas offraient abondamment fruits et légumes. C’était du temps où le vieux gardien, aujourd’hui à la retraite, entretenait les lieux. En effet, natif du promontoire, Boukazoula Benyamina a été gardien entre 1967 et 1988. Entré dans les services des phares et balises en 1964, il fourbira ses armes aux îles Habibas. Revenu au terroir, il élira domicile au niveau du phare où naîtront tous ses enfants. Malgré une ouïe défaillante, il nous contera ses nombreuses années passées à remonter - toutes les 3 heures - les lourds contrepoids de 84 kilos qui permettent au dispositif de faire tourner, à vitesse constante, les lourds déflecteurs chargés de répercuter à des dizaines de km, le précieux faisceau. Depuis son départ, ce dispositif est alimenté par l’énergie électrique, réduisant considérablement l’effort des hommes. Si, au départ, le nouveau système se déclenchait à l’aide d’une minuterie, Mokhtar, le jeune gardien, se plaint de devoir, toutes les trois heures, actionner manuellement le moteur électrique. Avec la même régularité que ses prédécesseurs, les manivelles en moins. L’accès au cœur du dispositif se fait par un ample escalier en colimaçon. En effet, la faible hauteur du phare et la générosité du terrain d’assiette, ont permis à l’architecte de concevoir un escalier fort spacieux, dont les pièces seront moulées dans la fonte. Le dispositif d’éclairage a été construit par les ateliers Henry Lepaute. Son jeune gardien n’est pas peu fier de dire que ce dispositif est le même que celui qui équipe les phares allemands. Une information qu’il aurait glanée auprès de visiteurs germaniques. Une fois parvenus à hauteur du système d’éclairage, on est impressionné par la qualité de l’usinage. Toutes les pièces de l’immense dispositif sont travaillées tantôt dans un acier noble tantôt en cuivre ou en bronze.
Un monument sans mémoire
Une plaque rutilante indique le nom du fabricant et son adresse. Une minuscule lampe centrale - d’une puissance de 1000 watts - est entourée d’une série concentrique de lentilles dioptriques, ou lentilles de Fresnel, constituée d’un disque central, entouré d’une série d’anneaux concentriques d’une confortable épaisseur. Seul le gardien peut accéder au cœur du dispositif en empruntant une échelle qui fait corps avec la tourelle sur laquelle sont installés les quatre impressionnantes lentilles. Le tout est posé sur un rail circulaire de 1,20 m de diamètre. Grâce à un habile jeu de roulements, confortablement assis sur un bain de mercure que le gardien lubrifie régulièrement, le phare tourne à une vitesse constante - obtenue grâce à un dispositif très complexe qui fait penser à une gigantesque montre suisse - diffusant régulièrement une lumière douce et puissante à la fois. Celle qui permet non seulement aux bateaux d’éviter les écueils et de garder le cap mais aussi aux aéronefs qui amorcent l’atterrissage sur les nombreux aérodromes d’Oran, ou qui continuent leur trajet vers le cœur de l’Afrique de se positionner avec exactitude. Car ce phare a cette double vocation de servir à la fois la navigation aérienne et maritime. Mais le phare de cap Ivi souffre d’une double occupation. Celle que son locataire naturel doit partager depuis bientôt dix ans avec un détachement de la garde communale. Affectée à la protection de l’ouvrage stratégique, cette brigade a fini par occuper une grande partie des lieux, utilisant les logements d’astreinte et y régnant en maître. Une promiscuité qui semble desservir la sérénité habituelle de ces lieux. Par ailleurs, nombre d’objets, qui constituaient l’attirail du parfait gardien de phare, ont miraculeusement disparu. Certains auraient tout simplement été regroupés à Alger, voilà quatre ans pour le montage d’une exposition. Ils n’ont toujours pas été restitués. Mais le plus curieux est que le livre d’or fasse partie des objets transférés. A telle enseigne que la mémoire du phare a tout simplement quitté les lieux. Quel intérêt peut avoir un livre d’or qui débute chronologiquement en 2001, sachant que le phare est fonctionnel depuis 1868 ? En effet, les premiers enregistrements sur le livre journal encore disponible remontent à l’année 1870. Impossible de remonter le temps que seul un livre d’or peut restituer dans toute sa spontanéité. Aucune trace de ces visiteurs anonymes ou célèbres - Napoléon III, qui restitua la vielle mosquée du Derb au culte musulman, en ferait partie - qui se sont relayés plus d’un siècle durant, pour donner un peu de bonheur à ces vigiles infatigables et terriblement solitaires.
Bonjour, et merci pour ce témoignage ... Cet article est très éloquent mais vos souvenirs apporteraient et feraient mieux vivre cet endroit, on espère en savoir plus. Merci
Hichem - Webmaster - Tlemcen, Algérie
26/11/2011 - 22620
Le phare cap ivi fait parti de mon héritage morale, aujourd'hui je le vois disparaitre comme tous ces objets et une pensée pour mon oncle Benyamina Boukenzoula décédé en 2006. Un endroit que j'aime et que j'aimerai toujours.
zerrifi chrifa - agent hospitalier - BOLLENE, France
26/11/2011 - 22617
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Posté Le : 12/08/2004
Posté par : hichem
Ecrit par : Yacine Alim
Source : www.elwatan.com